Au mitan de l’année 1971, Jacques Lacan interrompt son séminaire pour un séjour de deux mois au Japon. Il a entre autres prévu, durant son voyage, de rencontrer l’équipe réunie par le Professeur Takatsugu Sasagi qui doit s’atteler à la traduction du français en japonais des Écrits, publiés cinq ans plus tôt.

Le séminaire de cette année là, D’un discours qui ne serait pas du semblant, en porte la marque, en ceci qu’il est très distinctement articulable en une première partie, qui court sur les cinq premières leçons, de janvier à mars 1971, sous la référence qui en surprendra jusqu’à ce jour plus d’un, de la lettre et de la pensée chinoise ancienne, préparation à ce séjour de Lacan en Orient Extrême, et une deuxième partie plus marquée par les auspices de la logique grecque, puisqu’il introduira dès son retour, de mai à juin 1971, la logique des quanteurs de la sexuation.


C’est principalement à Mencius, ou Meng-Zi, exégète et continuateur de la philosophie de Confucius, qui aura vécu, dit la tradition, à cheval entre le IVe et le IIIe siècle avant l’ère chrétienne, de 372 à 289 avant Jésus Christ, que Lacan prononcera, à de multiples reprises un certain nombre de références et allusions, allant jusqu’à écrire et commenter au tableau en caractères chinois, lors de la séance du 17 février 1971, une citation de Mencius.

Ce sera là sa dernière allusion au philosophe chinois, qui avait commencé dès la leçon du 6 juillet 1960, dans le séminaire sur L’éthique de la psychanalyse.



Qui était Mencius ?


Dans plusieurs passages de ce séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant, Lacan insiste auprès de ses auditeurs afin qu’ils se procurent et qu’ils lisent l’ouvrage éponyme, le Mencius.

« Ceux qui trouveront bon de se donner la peine d’en avoir » (il parle de la version anglaise du Mencius, Mencius on the Mind, présenté et commenté par un linguiste et spécialiste de la littérature comparée, Ivor Armstrong Richards) « s’ils ne peuvent pas se le procurer, une photocopie, peut-être n’en comprendront que mieux un certain nombre de références que j’y prendrai cette année, car j’y reviendrai [1] ».

Pour un occidental habitué aux arguments et raisonnements de la philosophie grecque et européenne, présentés de manière ordonnée et structurée, le premier contact avec cet ouvrage est plutôt déconcertant.

En l’absence de commentaires éclairés pour guider sa lecture et sa compréhension, ce qu’il découvrira risque fort de lui apparaître de prime abord comme un recueil finalement fade et ennuyeux de rencontres anecdotiques et de discussions de Mencius ou de ses disciples avec des princes et des rois de l’époque pré-impériale des Royaumes Combattants, et le découragera de poursuivre au-delà des premières pages. Lacan pourtant le présente, et demande à ses auditeurs, de le considérer comme « aux origines de la pensée chinoise [2] ».

Ce recueil fut établi et rédigé dans les dernières années de vie de Mencius, qui fit consigner par ses élèves les conversations qu’il est censé avoir tenu sa vie durant avec les princes feudataires de cette période, sillonnant un pays chaotique en proie aux guerres et aux révoltes, ainsi que ses réponses et ses argumentations concernant différents points de doctrine des questions de ce temps.

Vers la fin de la dynastie des Song (960-1279) alors que le système politique et économique féodal est sur son déclin, le pouvoir impérial élève le recueil des Écrits de Mencius au rang de Classique, qu’il fallait impérativement connaître et avoir lu pour obtenir de l’avancement ou pour s’assurer une réussite aux concours impériaux. Le Mencius devient ainsi un des prestigieux livres canoniques du Second Ordre, ou petits King, au même rang que les Entretiens de Confucius.


Sa doctrine se rattache au courant dit de l’« idéalisme subjectif ». Pour Mencius, il existe chez l’être humain une bonté naturelle, ou xingshan, fondée sur la nature innée de quatre vertus cardinales de base, qu’il appartient à chaque homme de cultiver et fortifier :


- Sens de l’humanité ou ren

- Sens de la loyauté, du devoir, de l’intégrité, ou yi

- Respect des rites, ou li

- Sens de la sagesse, ou zhi


Qui cultive, ces vertus devient alors un homme de bien, un sage, un saint, un shengsheng, terme que Lacan épingle avec humour comme étant « le seul point de la civilisation occidentale où le mot saint ait le même sens qu’en chinois ».


Voici comment Lacan le présente en 1960, dans le séminaire sur L’éthique de la psychanalyse : « Un nommé Mencius, comme l’ont appelé les jésuites, nous dit que la bienveillance de l’homme se juge de la façon suivante, sa bienveillance est naturelle à l’origine, elle est comme une montagne couverte d’arbres. Seulement, il y a des habitants dans les environs qui ont commencé par couper les arbres, le bienfait de la nuit est de rapporter un nouveau foisonnement de surgeons, mais au matin, les troupes viennent qui les dévorent, et finalement la montagne est une surface chauve sur laquelle rien ne pousse [3] ».


L’impact de la pensée de Mencius, dont on rapporte que des dizaines de chars ainsi que des centaines de personnes suivaient le sien lors de ses déplacements entre deux principautés vassales, dépassant de très loin en prestige et en magnificence le cortège qui accompagnait les pérégrinations de Confucius, est lié aux profondes mutations économiques et politiques de l’époque, période ayant démarré sous celles dites des Printemps et Automne de -741 à -481 avant l’ère chrétienne, puis des Royaumes combattants, de -403 à -249, et qui vit le passage de l’esclavagisme au féodalisme.

Une période d’essor absolument inédite se dessine alors, caractérisée par une grande libéralisation des idées : la culture cessant d’être l’apanage des propriétaires d’esclaves, le savoir peut se répandre dans d’autres couches de la société, et voit notamment l’apparition du milieu des lettrés, ainsi que la multiplication des écoles privées.

Les idées de Mencius sur l’éducation, exigeant des dirigeants vertueux, qui reçoivent un « mandat du ciel », jettent alors les bases morales de l’unification de la Chine. Dans son ouvrage La pensée chinoise, Marcel Granet écrira « Brillant écrivain, Mencius est plutôt un polémiste qu’un penseur [4] », et plus loin « ce qui a fait la gloire de Mencius, ce ne sont pas ses thèses rhétoriciennes, mais son attitude [5] ».


Cependant, Mencius propage une idéologie entièrement au service du pouvoir en place, conférant une valeur morale à l’action des forces de la nature, un ordre éthico-cosmique qui assure une légitimité aux différents renversements dynastiques, l’une perdant le mandat céleste au profit de la nouvelle, excluant ainsi l’idée de révolte, ou de progrès. [6]

Pour Mencius, en effet, il existe une correspondance entre le « cœur humain », et le « Cœur du ciel », ou tianxin. Le cœur humain, la nature humaine, et les « lois du ciel » sont indissociables, la nature, le ciel et les hommes ne forment qu’un tout, les catégories morales du « ciel » sont inscrites dans la nature humaine, les règles qui régissent le ciel prennent leur source dans la morale des hommes, et le cœur humain abonde en vertus naturelles.

Ce qui nous échoit par décret du ciel, pauvreté ou richesse, nous devons l’accepter. Ce que nous possédons comme bonnes dispositions, nous devons nous efforcer de les développer, et de les exploiter.


Pour Lacan, ces lois du ciel ne sont rien d’autre les lois du désir, tel que l’écrit Stéphane Thibierge, « ce monde de forces, de vie, de phénomènes diversement offerts à notre interprétation, de signifiants en un mot, mais de signifiants qui nous font signe, et auxquels nous prêtons un sens [7] ».

Dans cette même leçon du 6 juillet 1960, après avoir fait un développement sur les relations de la science avec les lois de la nature, Lacan explique : « [Mencius] en donne une démonstration absolument rigoureuse. Il est trop tard pour que je vous la dise ici. Les lois du ciel en question, ce sont bien les lois du désir [8] ».



Deux pères jésuites d’exception, Léon Wieger et Séraphin Couvreur


Le Mencius, dont Lacan nous dit « je vous le présente comme quelqu’un qui dans ce qu’il disait, savait probablement une part des choses que nous ne savons pas quand nous disons la même chose », n’a évidemment pas échappé à la vigilance des Pères Jésuites, premiers traducteurs des classiques de la Chine ancienne.

En cette année 1971, il se trouve disponible en langue française, dit Lacan, dans une édition en somme, dit-il « très très bonne ».

Notons que Lacan ne dit pas « très bonne », ni simplement « bonne », il redouble son appréciation d’excellence, il dit « très très bonne », traduction réalisée, annonce-t-il, par « un jésuite de la fin du XIXe siècle », le Père Wieger. [9]


Or, il se trouve que cette traduction n’a tout simplement jamais existé. En effet, le père Léon Wieger était un sinologue éminent, médecin de formation, qui a écrit vers la fin du XIXe siècle un dictionnaire chinois-français, et qui a également traduit de nombreux ouvrages de la Chine ancienne, notamment sur le taoïsme, mais précisément pas celui de Mencius.

C’est en réalité un autre père jésuite, Séraphin Couvreur, qui vécut vingt ans plus tôt, qui a traduit le Mencius, en 1895. C’est cette traduction à laquelle Lacan fait allusion. Et lorsqu’on connaît le champ d’intervention des deux jésuites, somme toute suffisamment délimité, il n’est pas possible de confondre les deux hommes.


Et si Lacan n’était, comme nul autre, à l’abri d’une erreur, ou d’une confusion, surtout dans une référence aussi spécialisée, qui ne devrait tirer à aucune conséquence interprétative de notre part, nous ne pouvons oublier qu’il avait coutume de déclarer à son auditoire qu’il parlait devant eux « en analysant ». Le sujet de l’énoncé n’est pas, nous le savons, le sujet de l’énonciation.

C’est pourquoi je vous propose de poser l’hypothèse qu’il pourrait s’agir, non pas d’une étourderie, mais d’un lapsus de Lacan. Libre à chacun par la suite de se faire son opinion.


Et tout d’abord, qui était donc ce si prolixe père Léon Wieger, qui, s’il est vrai qu’il ne fit pas de traduction de l’œuvre de Mencius, en fit cependant une présentation détaillée dans un ouvrage accueilli comme monumental : Histoire des croyances religieuses et des opinions philosophiques en Chine, depuis l’origine à nos jours [10].

Ce travail fut si remarqué qu’il fut tout d’abord professé oralement par un confrère, en pleine Guerre Mondiale, de 1917 à 1918, à l’Institut Catholique de Paris, puis, publié par la suite, en 1922.


La réputation de cet infatigable travailleur n’est pas sans nous intéresser. Souvent critiqué pour son franc-parler et son caractère irascible et coléreux, il aurait déclaré n’avoir accepté de ses supérieurs la tache de la traduction et des études chinoises qu’afin de faire connaître la Chine à ses pairs, et en conséquence de n’écrire que pour les missionnaires.

On lui reprochera sa rudesse d’écriture et son style direct et sans ménagement. Dans la préface de présentation de son ouvrage : La Chine à travers les âges [11], on peut ainsi lire :

Selon ma constante habitude, j’ai tâché d’être clair et pratique. J’aurais pu faire beaucoup plus long, mais j’ai jugé que, vu les temps, et pour le but, cette mesure suffisait.   

Dans le corps de l’ouvrage, il présente brièvement les différents livres canoniques, et déclare par exemple au sujet du Cheu-king, ou Maocheu, poésies tirées des répertoires anciens pour l’instruction de ses disciples par Confucius : « Texte plat, commentaires ineptes. Confucius croyait ce livre moralisateur. Il servit aux Lettrés de génération en génération, pour pervertir leurs élèves [12] ».

De fait, il s’expose ce faisant aux critiques, qui ne manqueront pas. Sa traduction du Tao sera par exemple très attaquée, on lui reprochera d’avoir été un doctrinaire, strict et rigide, modifiant le sens du texte d’une manière moralisatrice. Lui-même ne se prive pas de donner son appréciation, bien qu’à mots diplomatiques et couverts, des traductions de Séraphin Couvreur.


Ainsi, à la fin du chapitre XXVI de l’Histoire des croyances religieuses, partiellement consacré à Mencius, il cite la traduction de Séraphin Couvreur, que certes il loue, mais ne peut cependant s’empêcher de lui décocher un coup de griffe, en la qualifiant d’« un peu idéalisée ».

Se pourrait-il que sa boulimie de travail lui ait fait regretter de ne pas avoir eu la charge de sa traduction ? Dans un autre endroit du même ouvrage, il donne en effet cette appréciation élogieuse des Discours de Mencius :

     Rédigés, on ne sait par qui, style superbe, conservés intacts. [13]

En effet, si pour la plupart des textes anciens, leur rédaction, ainsi que leur conservation et leur établissement définitif, qui devaient servir, rappelons-le, de point d’appui à la Chine impériale est sujette à caution [14], ce n’est pas le cas du Mencius, dont Marcel Granet écrivait à son sujet qu’« assez brève, elle paraît avoir été transmise sans grand dommage. Elle est d’une lecture facile ».



Le souci de Lacan


Lacan pour sa part avait lu et travaillé longuement dans la langue chinoise originelle le Mencius, en compagnie du sinologue François Cheng. Ce dernier en témoigne de la manière suivante :

C’est du tout début des années soixante-dix que datent nos premières rencontres au cours desquelles nous avons étudié ensemble certains termes et sentences en chinois. Haute leçon pour moi que de le voir scruter, avec quelle obstination et finesse les idéogrammes sans rien négliger de leurs multiples implications. La psychanalyse à travers lui, m’apparaissait comme une capacité sans cesse renouvelée d’interroger les signes humains, non isolément mais dans le complexe réseau de leurs relations. Un mot tiré d’un quatrain, par exemple, qui n’était à mes yeux qu’un élément fixe, se mettait à scintiller de mille éclats selon qu’il était envisagé dans le vers ou hors du vers, dans le poème ou hors du poème, dans la tradition poétique à laquelle appartient le poème, dans le système linguistique auquel appartient la tradition, dans le pourquoi même de l’homme signifiant… [15]


Et dans un autre témoignage de son travail avec Lacan, François Cheng écrit encore :

Je voudrais souligner un point qui me frappe chez le Docteur Lacan, son étonnante capacité d’interroger les textes. Il aborde chaque texte avec une infinie patience, s’attardant à chaque détail. À des moments inattendus, là où les choses semblent aller de soi, il pose soudain une question qui au premier abord peut paraître saugrenue, et qui ouvre comme par malice des strates souterraines et insoupçonnées. Ainsi, avançant avec lui dans le texte, on a l’impression que le sol risque à tout moment de se dérober sous vos pieds. On ne peut plus s’accrocher à quelque chose de vraiment stable, sauf justement à l’essentiel. [16]


Avec une telle exigence, on comprend mieux l’insatisfaction de Lacan confronté à la version des pères jésuites, qui dit-il « traduisent comme ils peuvent, en perdant un peu le souffle [17] ».


Revenons alors à la question qui motive cet article : S’agit-il d’une simple erreur, ou d’un lapsus de Lacan, devant cette faiblesse des traducteurs, qui « couvrent » la complexité et réduisent la « vigueur » du texte chinois classique ?

À la vérité, Lacan est essentiellement préoccupé en ce mois d’avril par son voyage au Japon, et par la traduction en japonais des Écrits. Ces Écrits, qu’il compare à des Fleurs japonaises destinées à s’ouvrir dans l’eau des séminaires parlés, à leur lecture. À leur sujet, Lacan utilisera la métaphore des petits rochers que l’on voit dans les jardins zen, autour desquels il ratisse inlassablement par le biais de son discours. [18]


Le problème de la traduction de Lacan en japonais se présente d’une manière somme toute comparable à la traduction du Mencius dans une langue européenne.

Dans son ouvrage majeur, par ailleurs dédié en partie à Jacques Lacan, Souffle-esprit François Cheng décrit en effet la rigueur avec laquelle « les traits qui composent les idéogrammes de l’écriture chinoise entretiennent des rapports d’opposition et de corrélation suscitant un jeu complexe de vide et de plein, de fixité et de mouvement, de rupture et d’équilibre, etc. [19] » Et les milliers d’idéogrammes représentent autant de structures spécifiques ayant chacune ses lois de composition interne.


Or, pour des raisons qui tiennent à son histoire, la langue japonaise ne donne pas lieu à l’équivoque. Cela tient en effet au fait qu’elle a pris pour son écriture, les caractères chinois. De ce fait, il existe ainsi deux prononciations différentes de lire le japonais, écrit Lacan dans « Lituraterre » [20].

L’un est l’on-yomi, dont la prononciation repose strictement sur le phonème du caractère chinois, et n’évoque en tant que tel rien au japonais, car il ne signifie rien dans la langue.

L’autre est le kun-yomi. Il s’agit d’une traduction japonaise historiquement fixée, qui est censée dire au japonais ce que ce caractère chinois veut dire.


Comme nous le rappelle Stéphane Thibierge [21], les deux écritures coexistent côte à côte dans un texte. Les caractères chinois sont accompagnés, redoublés, de l’écriture de leur prononciation, et donc de leur lecture.

C’est pourquoi Lacan écrit dans ce même « Lituraterre », qu’au Japon, « le sujet est divisé, comme partout par le langage, mais un de ses registres peut se satisfaire de la référence à l’écriture, et l’autre de la parole ».

Le on-yomi c’est la référence à la lettre, tandis que le kun-yomi fait référence à l’Autre, l’Autre de la parole, yomi voulant dire lecture en japonais. Et le passage d’un registre à l’autre, « la pince qu’ils font l’un avec l’autre », écrit Lacan [22], se fait de manière automatique, par une correspondance déjà établie du registre de l’on-yomi à celui du kun-yomi, se passant de l’artifice du discours analytique.


Comment traduire, dès lors, et rendre compte dans la langue japonaise, de la division du sujet, telle qu’elle apparaît à la lecture des Écrits, alors que de structure, il s’agit d’une langue qui vient « colmater les formations de l’Inconscient [23] » ?

Sans l’équivoque, l’écrit peut en effet s’avérer totalement desséchant et induire une récusation du semblant. Adieu alors les fleurs japonaises, qui ne trouveront jamais l’eau indispensable pour étancher leur déploiement signifiant. Voilà l’enjeu de ce voyage au Japon, tel qu’il préoccupe Lacan. Rien moins que le statut de l’écrit dans la langue.


Dans l’intervention qu’il sera amené à prononcer le 21 avril 1971 à Tokyo, devant l’équipe de linguistes japonais réunie par le professeur Tagasuku Sasagi pour la traduction des Écrits [24], il prend un long temps préalable à retracer l’histoire de sa scission avec l’IPA (Association Internationale de Psychanalyse), et la manière dont son enseignement à lui Lacan, se démarque de la psychanalyse telle qu’elle est enseignée sur le territoire américain, dans une lecture de l’œuvre de Freud qui n’a plus aucun autre caractère que normatif. Ceci afin de bien faire apparaître très pédagogiquement la fonction du signifiant.

Parlant de l’expérience analytique, il insiste sur la fonction de la lecture d’une parole. L’inconscient, en effet, est à lire. « Nous ne nous apercevons pas — écrit-il — que tout un morceau, tout un paragraphe de ce qui vient d’être dit, tout son poids particulier veut dire quelque chose, qui n’est, bien entendu, pas le texte. »

Et, plus loin, il leur tient ce discours déconcertant « Une traduction ne peut exister qu’à partir du langage ».

Et encore, « Le signifié, c’est toujours autre chose que ce que le signifiant a l’air d’indiquer… Il n’y a pas un seul mot de la langue qui échappe à cette règle que ce qu’il a l’air d’indiquer, c’est justement ça dont il convient de se détacher pour comprendre ce que c’est que l’usage de la langue ».

Il leur explique qu’il n’y a pas de métalangage : « Plus on parle du langage, plus vous vous enfoncez dans ce que l’on pourrait appeler ses failles et ses impasses ». Et c’est pourquoi « Ces Écrits représentent quelque chose qui est du Réel, à savoir, de l’impossible à dire. C’est forcé qu’ils soient écrits comme ça. »


Nous savons que c’est au retour de son voyage, alors qu’il survolait les plaines sibériennes, et les méandres du fleuve Amour, qu’il lui vint l’inspiration « d’entre-les-nuages » du « ruissellement de signifiants », qui ne se détache du littoral qu’à ce « qu’y domine la rature [25] ». « L’écriture — poursuit-il — est dans le réel le ravinement du signifié, ce qui a plu du semblant en tant qu’il fait le signifiant ». Lacan n’était cependant pas très optimiste quant à la réception de ses Écrits en japonais.


« Qu’on me traduise en japonais me laisse perplexe », commence-t-il son exergue au lecteur japonais des Écrits [26]. Quelques phrases plus loin, à peine : « Du Japon, je n’attends rien… Notamment pas d’y être entendu. »

Il insiste sur l’impasse, tant pour la compréhension de son ouvrage que pour la production du discours analytique dans la langue, que représente la correspondance automatique entre les deux lectures du japonais, l’on-yomi et le kun-yomi :

Tout le monde n’a pas le bonheur de parler chinois dans sa langue, pour qu’elle en soit un dialecte, ni surtout, — point plus fort — d’en avoir pris une écriture à sa langue si étrangère que ça y rende tangible à chaque instant la distance de la pensée, soit de l’inconscient à la parole.


« Maintenant il faut que la psychanalyse survive », s’interrogeait Lacan à la fin de son entretien avec l’équipe japonaise. « C’est un grave problème. Survivra-t-elle quand je serais mort ? »




Télécharger la traduction du Mencius (en anglais) par James Legge (1895) par ici


Télécharger la traduction du Mencius par le père Séraphin Couvreur par ici

 

Un lapsus de Lacan dans le séminaire

D’un discours qui ne serait pas du semblant ?


Thierry Florentin


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Lacan J. (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, Paris, Éd. du Seuil, 2006. Leçon du 17 février 1971.








Lacan J. (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, op.cit., Leçon du 20 janvier 1971.
















































Lacan J. (1959-1960). L'éthique de la psychanalyse, Le Séminaire livre VII, Paris, Éd. du Seuil, 1986. Leçon du 6 juillet 1960.




















Marcel Granet, La pensée chinoise, Éd. Albin Michel, Nouvelle éd.1999, p. 325. ou téléchargeable en ligne (texte de 1934) sur le site du département de sciences sociales de l’université de Chicoutimi (par ici)


Marcel Granet, La pensée chinoise, op.cit. p. 328.





Lire à ce sujet « La conception chinoise de l’histoire » par Léon Vandermersch. In La pensée en Chine aujourd’hui, Sous la direction d’Anne Cheng. Folio. Gallimard. 2007.










Thibierge S. Remarques sur l’écriture et la lettre dans « D’un discours qui ne serait pas du semblant ». Exposé le 27 août 1996 dans le cadre des Journées de travail de l'Association freudienne autour du Séminaire D'un discours qui ne serait pas du semblant de Jacques Lacan, publié dans le Bulletin n° 71, 1997.


On consultera avec le plus grand intérêt à propos de Mencius l’excellent travail effectué par Guy Flecher, en ligne sur ce site, et notamment les articles « Introduction au dialogue de Lacan avec Mencius »,

« Plus de Chine »,

et « Citation de Mencius dans le séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant »










Lacan J. (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, op.cit., Leçon du 17 février 1971.





























Texte téléchargeable sur le site canadien du département de sciences sociales de l’université de Chicoutimi, grâce au travail admirable et bénévole de numérisation et de mise en ligne de Pierre Palpant (par ici)














Texte téléchargeable sur le site de l’université de Chicoutimi (par ici)











Wieger L., La Chine à travers les âges, op.cit., p. 130



















Wieger L., La Chine à travers les âges, op.cit., p. 130.



À ce propos lire ce qu’en écrit Wieger par ici.




























Témoignage de François Cheng dans l’Âne, n° 4, février –mars 1982, témoignage également consultable en ligne sur ce site (par ici)











Interview de François Cheng dans l’Âne n° 25. Février 1986, également consultable en ligne sur ce site (par ici).




Lacan J. (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, op.cit., Leçon du 20 janvier 1971.








« Discours de Tokyo ». 21 avril 1971. Transcription réalisée à partir d’un enregistrement du correspondant du journal Le Monde, Philippe Pons. Annexe IV de l’édition du séminaire D’un discours qui ne serait pas du semblant. Association Lacanienne Internationale. Publication hors commerce. Consultable également en ligne sur le site de l’École Lacanienne de Psychanalyse (par ici)





Cheng F., Souffle- Esprit. Textes théoriques chinois sur l’art pictural, Réed. Points Essais, 2006, p. 17.








Lacan J. (1971). « Lituraterre », in Autres écrits, Paris, Éd. du Seuil, 2001.









Thibierge S. « Remarques sur l’écriture et la lettre dans D’un Discours qui ne serait pas du semblant ». art.cit.








Préface à l’édition japonaise des Écrits, parue dans La lettre mensuelle de l’École de la cause freudienne, octobre 1981, n° 3, p. 2-3. Également sous le titre « Avis au lecteur japonais », in Autres écrits, Paris, Éd. du Seuil, 2001, p497-499.



Lacan J. (1971), « Avis au lecteur japonais », in Autres écrits, op.cit..











Lacan J. (1971), « Avis au lecteur japonais », in Autres écrits, op.cit..
































Lacan J. (1971). « Lituraterre », in Autres écrits, op.cit.







Lacan J. (1971), « Avis au lecteur japonais », in Autres écrits, op.cit..