L'identification
24 janvier 1962
Petite chronique à propos de
奇
Des pannes cybernétiques peuvent couper un élan.
Un tel élan s’est avéré bien nécessaire à l’élaboration de ces petites chroniques dont on peut à juste titre interroger la motivation.
Il convient quand même d’y apporter un semblant de conclusion.
Je repars donc du 跱 qi, ce pied qui a fait pied de grue alors que je m’étais fait promesse d’en effet repartir.
C’est ce qui boîte, donc.
Et qui me permet d’embrayer sur la conjonction de 奇 et de 田, 奇 muni de la clé des champs ! Où, comme on dit, le premier est d’un usage phonétique et le second constituant la clé n°102.
On connaît les nombreux avantages que présente un champ à la forme régulière : disons un quadrilatère parfait. Depuis l’aisance du calcul de sa superficie pour y rapporter le volume et le poids des semences à répartir, jusqu’au nombre des sillons parallèles à y tracer. Aussi bien que du temps de travail nécessaire. Ceci est quasi indiqué par la forme même de la clé.
Un champ affectant une forme biscornue complique pas mal les choses et l’écriture y applique le terme 奇 ji qui désigne ce manque de régularité. Cela donnera 畸 spécifiant un champ mal foutu.
Comme souvent ce terme n’est plus employé pour cette désignation et il faudrait remonter au temps de sa création pour le retrouver comme tel dans un certain contexte. Mais l’emploi s’en est étendu aux significations de ce qui est anomalique. De nos jours 畸 est encore employé dans l’expression 畸形 ji xing (形 voulant dire la forme) pour désigner les malformations ou les difformités physiques.
On saisit aussi pourquoi 畸 a trouvé emploi afin de qualifier des relations sexuelles aberrantes voire l’inceste.
Terminons-en avec cette petite exploration de 奇 avec ses emplois, seul ou en composition, dans un certain nombre de chengyu. Ce sont ces expressions la plupart du temps quadri syllabiques, véhiculées par la tradition et qui ont pris la fonction de locutions dont tout l’art consiste à les placer habilement dans une conversation. Il y en pas loin de 200 . Ce qui est infime par rapport au nombre total des chengyu qui avoisine les 30.000.
On trouve avec le dernier cité : 畸轻畸重 (jī qing ji zhòng) qui veut dire à peu près : mépriser les aberrations c’est encore leur donner trop d’importance. Ou, avec la forme phonique chòng : ce serait les répéter.
Jacques Lacan, dans son séminaire sur l’angoisse, se distinguait comme homme de l’attente, au regard de Sartre l’homme du sérieux et de Heidegger l’homme du souci. C’est pourquoi je lui ferais hommage du chengyu : 倚门倚闾 yi men yi lü , littéralement : s’appuyer à la porte, s’appuyer à la porte de la ruelle, qui désigne l’impatience anxieuse de parents attendant le retour de leur progéniture. Certes on ne saurait imputer ces sentiments à cette attente évoquée par Lacan. Quoique … !