L'identification

24 janvier 1962                   

Petite chronique à propos de


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Ce petit travail que je fais pose par lui-même la question de l’exhaustivité. De l’exhaustivité et du ramassis.

Suivre toutes les pistes qui s’ouvrent s’encourage du travail du symptôme, à la seule condition, logique, de sa réelle fonction de métaphore.

Le côté ramassis m’apparaît avec le recueil exhaustif dans une banque de données comme la Table des caractères de Windows. On ne sait rien des sources. On fait pourtant des trouvailles chemin faisant. C’est ainsi qu’à l’appui de l’élucubration à partir de , pour expliquer la forme phonique yi, ladite table donne ce dernier caractère à l’appel de la clé , “debout”, et parmi les termes comportant quatre traits. Autrement dit ce qui est écrit sous c’est pluset non . L’origine en est peut-être cette histoire du trait oublié.

Est-ce de là que s’originerait la lecture de « debout sur un pied » ? Ce serait drôle !


On y voit apparaître aussi à l’appel du pinyin ai. Ce dont je n’ai trouvé nulle part une quelconque confirmation.


Dans cette affaire de phonétique concernant , il s’agit d’une part d’en faire recoller la prononciation avec et d’autre part d’expliquer le saut phonique.

D’où le recours au tableaux de rimes et singulièrement au Shijing 诗经, le Livre des Odes.

Pour c’est peine perdue puisqu’il ne s’y trouve nulle part. On est donc contraint de s’en remettre aux occurrences de caractères où entre en tant qu’indicateur phonétique. Elles sont fort peu nombreuses. On trouve ces composés de dans neuf poèmes du Shijing (les chants XV, 55, 106, 148, 157, 174, 191, 197 et 200).


Le caractère qui apparaît le plus souvent est qui se prononce et dont j’ai compté 12 occurrences. Il supporte plusieurs significations, la principale est justifiée par le genre lyrique puisque c’est une exclamation qui se traduit le plus souvent par “hélas !” mais ce peut être aussi un cri d’admiration. On traduit aussi par “beau”, “verdoyant” et par “tendre”, “souple”, “flexible”. Ce peut être encore une particule finale. Mais tout cela ne semble pas conforter l’hypothèse de l’existence de la gutturale. Couvreur mentionne cependant la possibilité d’une autre prononciation qu’on écrirait actuellement wo en pinyin, dont l’émission comporte un coup de glotte.


Ensuite, on trouve qui compte deux occurrences et… deux prononciations, c'est-à-dire qu’il s’agit de deux termes différents : est traduit par "marmite à trois pieds" et par “ciseau”, enfin et qui n’apparaissent qu’une seule fois. , dans ce contexte, ne signifie pas une chaise mais un arbre semblable au catalpa.

Ces caractères ne se montrent à la rime qu’une ou deux fois en tout. C’est pourquoi on se fiera avec plus de succès aux parallélismes qui sont la règle dans l’écriture poétique chinoise.


Ce n’est donc qu’avec et (“tirer” ou peut-être “lier”) qu’est mentionnée l’existence d’une occlusive postérieure [ge].


Il résulte de ces précisions que si , tout au moins dans en tant que composant phonétique, peut être rattaché à du fait d’une prononciation ancienne, ce n’est que dans les cas où celle-ci se serait transformée en qi ou ji. Ce qui laisse tous les termes en yi hors du coup !


Alors on se rabat sur le fait que l’homophone 异 [異] renvoie à la plupart les significations appendues à , à savoir : l’exceptionnel, le remarquable, le différent et l’étrange.

L’usage vulgaire aurait favorisé la contamination mutuelle des deux termes, tant du point de vue phonétique, où aurait suivi la prononciation de , que du point de vue sémantique où chacun se serait chargé des significations de l’autre ; principalement en ce qui concerne l’étrangeté.

Le phénomène aurait été favorisé par le fait que est susceptible d’une double lecture : prononcé jī le terme ouvre un éventail de significations plutôt péjoratives ; prononcé qí, c’est du côté du merveilleux et de l’extraordinaire que se déploie le versant sémantique.


En tout cas les deux formes que donne Lacan, en tant que dérivées phonétiquement de , à savoir qí 骑 [騎] « s’installer à califourchon » nous dit-il et en tant qu’il désigne la chaise, ne proviennent pas du Shijing. Ce sont des termes que l’on trouve actuellement dans n’importe quel lexique chinois-français. Ce qu’il y a à retenir c’est que Lacan s’étant d’abord occupé de jī , il signale ce faisant les deux autres formes phoniques attachées au caractère. Economie de moyens.


A ce propos on remarque que le dictionnaire de poche de Weng Zhongfu édité par la Librairie You Feng, qui annonce quand même 10 000 mots usuels de la langue de Beijing, n’a pas d’entrée pour jī . On l’attendrait pourtant pour la mention du nombre impair jīshù . Mais on y trouve jì (quatrième ton) qui, outre les significations de “poster”, “envoyer”, “mettre en consigne” ou “confier”, conserve l’aspect péjoratif plus haut mentionné, qui apparaît avec l’expression jì shēng 寄生, “vivre en parasite”, de même que jī (au premier ton) auquel j’accorderai plus d’attention une autre fois, employé dans jixing 畸形, “la difformité” ou “la malformation”.


Je ne désespère pas de trouver avec et ses deux versants une expression permettant de compléter l’entrée laissée libre dans le glossaire de Rainier Lanselle, celle de l’Unheimlich.

Car le terme en lui-même l’évoque suffisamment, cette inquiétante étrangeté.

Peut-être quelque chose comme 不安 ?




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À propos de ce qu’il y a de chinois

dans les séminaires de Lacan

Guy Sizaret


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