L'identification

24 janvier 1962                   

Petite chronique à propos de


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Dans la rédaction du Séminaire, on ne peut plus laisser subsister la figuration de la conjonction de dīng et de kǒu comme entrant dans la constitution de . C’est une représentation qu’on me doit pour une bonne part et elle est fautive.


En tout cas elle n’a rien à voir avec le propos de Lacan, puisque ce qu’il mentionne au sujet de cette constitution et de la présence de l’occlusive, découle directement de sa référence explicite au Shuo Wen Jie Zi où l’on explique le procédé de formation de par la conjonction sémantique de et de  ; avec le petit commentaire conférant à la fonction de représenter la colonne d’air bloquée par l’occlusive.

C’est une explication comme beaucoup d’autres. La question est de savoir si elle influence la lecture.

Car j’ai déjà eu l’occasion d’insister sur la différence radicale à faire entre la constitution d’un système d’écriture (à partir ou non de la phonologie de la langue) et son usage subséquent. La confusion des temps entraîne des conceptions erronées, notamment dans la mise en place des procédés d’apprentissage. Une lettre de notre alphabet n’est pas un signe phonétique, même s’il arrive qu’on la fasse servir à cet usage.

On change en effet de niveau : dans la lecture de ce qui s’écrit de la langue, il s’agit de signifié. La procédure « redouble » celle en œuvre dans ce qu’on appelle la compréhension du message : lecture de ce qu’on entend de signifiant. Lacan insiste d’ailleurs sur ce point dans son séminaire Encore.


C’est une brève digression. Pour nous ramener à la considération de… dīng  !


, la plus simple des lettres.

La calligraphie a très tôt substitué, dans la formation de , la verticalité du deuxième trait à celle de , considéré désormais comme une forme archaïque.

C’est donc qui est offert à la lecture. Les conséquences sont que cette dernière peut être contaminée des significations de et, à mon sens, cela n’a pas manqué.

Et j’y vois pas mal d’explications aux différentes significations appendues à , à commencer par leur répartition selon une double lecture.


Pour introduire , autant citer ce qui court un peu partout à son sujet et qu’on trouve dans les annales des Tang : rǔ bèi wǎn liǎng shí gōng bù rú shí yī dīng zì 汝辈挽两石弓,不如 avec la traduction qu’en a donnée S. Couvreur : « au lieu de savoir bander des arcs qui exigent une force de deux cent quarante livres, il serait mieux pour vous de connaître la plus simple des lettres, la lettre  ».

Le moderne Petit Dictionnaire Chinois-Français pourvoit cette lettre de deux définitions :

    1/ Quatrième (sans plus)

    2/ Petit morceau.

Voilà qui n’est pas sans attirer l’attention de ceux qui connaissent un peu le vocabulaire lacanien. Mais laissons cela pour remarquer le poids des termes dont sont composés les lexiques usuels : ils sont le signe de ce qui est passé, bateau, dans l’usage courant, après avoir rompu ses amarres du temps de la création littéraire et de l’usage antique

Car a été employé dans l’antiquité chinoise pour désigner le quatrième des dix « troncs » célestes (tiangan 天干) qui, combinés aux douze « branches » terrestres (dizhi 地支), permettait le calcul dans le premier système calendaire.


Ce terme était figuré sur les gravures sur os par un simple cercle.

De nombreuses significations lui sont attribuées selon le contexte, une part tient à la forme graphique et c’est un clou (s’il est parfumé, xiang , ce sera du “lilas” ou du “girofle”) ou la figuration d’un confluent de rivière, d’une rue perpendiculaire à une autre voire le dard du scorpion ou, pourquoi pas, le pilon de l’unijambiste et, pour sa forme circulaire, on interprète : un clou vu de dessus ! Une autre part tient à la forme phonique et c’est le tintement, la clochette ou la cymbale. Se profilent sur ce versant sémantique toutes les acceptions liées à l’acuité, de celle de ce regard qui vous fixe () au commandement qui vous fige ().

Concernant l’individu, sa singularité, désignera le quidam, sa solitude (), sa simple particularité (白丁) voire sa détresse (lingding 零丁, seul, destitué de tout secours, l’anglais dit : out on a limb), c’est, disons, le côté yin. Ce qui ne va pas sans le côté yang désigne la solidité et la robustesse de l’homme accompli.


Si la levée du souffle contraint, représenté par , donne l’explication des significations de la possibilité () voire du chant (), rien de tel n’est conservé dans les divers sens appendus au caractère . Il apparaît que c’est bien plutôt qui interférerait dans les acceptions de et tout particulièrement avec la phonie jī, pour signifier “impair”, “seul”, “dépareillé”, “qui n’a pas son semblable”, et, nominativement, “reste”.


On en revient donc à l’ensemble des significations potentielles de , qu’on retrouvera en fonction du contexte, mais aussi dans plusieurs des combinaisons de avec certaines clés.

Ce sont ces combinaisons qui suggèrent que ne se résume pas à un simple emploi phonétique, comme on le dit pour simplifier. C’est-à-dire qu’il ne s’agit pas dans son cas, du seul procédé d’écriture dit xíngshēng 形声 [形聲] ou complexe phonique, où la partie dite « phonétique » se trouve débarrassée de toutes ses autres propriétés de terme. On aurait plutôt affaire aux procédés huìyì 会意[會-] (agrégat logique), zhuànzhù 专注 [轉-] (fonction mutuellement explicative des deux éléments) voire jiajiè 假借 (acception d’un caractère dans un sens qui ne lui appartient pas originellement).

Quand on considère les diverses combinaisons binaires de , on s’aperçoit qu’elles illustrent bien le dit lacanien dans ce séminaire, que « quelque chose a un sens, se transforme en équivoque et retrouve son sens… », mais, du même coup, rendent plus futile cette remarque concernant ces mêmes combinaisons : « et ainsi de suite, ça continue comme cela, cela n’a pas de raison de s’arrêter ».


Lacan a, selon toute vraisemblance, épluché un peu le lexique pour pouvoir évoquer l’impair au sens qu’il peut prendre, dit-il, de glissement, de faute, de faille, de quelque chose qui ne va pas, qui boîte. D’une part parce cela n’est pas aussi gentiment illustré qu’il le dit, en anglais, par le mot odd, et d’autre part ces significations ne sont pas immédiatement déductibles du terme jī .


Séraphin Couvreur a découvert, pour les recueillir dans son dictionnaire, des acceptions dérivées de jī , dans le sens du surplus, de l’excédent, du surnuméraire, du nombre fractionnaire, mais aussi de ce qui est contraire aux règles ou aux usages, désordonné ou pervers. Bien entendu, tout cela fortement dépendant du contexte.


Cela ne suffit pas à étendre le sens à ce qui ne va pas, qui boîte. L’anglais, d’ailleurs, ne le rendrait pas par odd ou queer mais par halt. Ce dernier terme correspond à une composition de qui est , écrit comme on le voit avec la clé , le pied.


Sur lequel je repartirai dans cette petite chronique à propos de .



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À propos de ce qu’il y a de chinois

dans les séminaires de Lacan

Guy Sizaret


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