LA VOIX DU SILENCE (René MAGRITTE 1928)
Guy Flecher vous a fait parvenir un texte avec du retard sur les délais qui avaient été fixés. Ce retard est entièrement de mon fait. Je me suis embarqué dans un travail qui m’a totalement débordé et accaparé. Guy Flecher grâce à qui je suis là aujourd’hui pourrait en témoigner s’il était présent. Nos échanges furent nombreux, intenses et féconds, parfois passionnés.
Mon texte ne répond donc à aucun souci didactique ou pédagogique de ma part, mais il s’imposait à moi comme un détour nécessaire pour y voir un peu plus clair. J’ai été confronté en même temps, non seulement à mon ignorance de la Chine et du chinois, de l’histoire et de la place de la psychanalyse en Chine, mais aussi à la lecture d’un Séminaire, D’un discours qui ne serait pas du semblant [1], particulièrement difficile, opaque et éprouvant. Tout cela, dans un laps de temps très bref. Je dois ajouter qu’à cette occasion s’est également réactivée à mon insu la question de mes propres rapports à la psychanalyse, à Freud et Lacan. La psychanalyse ne laisse pas indifférent et ce n’est pas sans raison qu’elle suscite encore et toujours, et à toutes les latitudes, une forte résistance qui peut prendre des formes toujours plus sophistiquées au fur et à mesure qu’elle se diffuse dans la culture, jusqu’à aller puiser ses forces dans la psychanalyse elle-même. Il est plus que probable que la psychanalyse ne soit pas faite pour les gens heureux, voire sages, sinon pourquoi en prendraient-ils le chemin ? Elle n’est pas plus une école du bonheur, ni la voie des plaisirs, ni même celle du souci de soi comme idéal des stoïciens. Elle est peut-être le propre de l’occidenté, comme dit Lacan, ce que je comprends au sens des accidentés de l’occident. Chez nous, en occident précisément, on parle du malaise dans la civilisation. Je ne sais pas si chez vous cela a une quelconque résonance. Toujours est-il que la navigation au plus près de textes qui remettent la psychanalyse en jeu et qui frisent avec le fil de son tranchant ne va pas sans risque et ne laisse pas indemne. C’est le cas de ce Séminaire de Lacan.
Retour sur la nature de l’être parlant
Dans le texte qui vous a été remis traduit (dommage que la traductrice, Jiang Yu, avec laquelle j’ai eu bon nombre d’échanges ne puisse pas être là) j’ai été confronté au fur et à mesure de mon travail à la perplexité grandissante que m’a suscité la formule la nature de l’être parlant. Certes Lacan en fit usage, mais il ne faut se méprendre. La subversion est radicale. La formulation pêche aussi bien sur le plan lexical, que syntaxique et grammatical. Le terme nature pris au sens de réalité ou de donnée naturelle ne convient pas du tout et est source de confusion. Le texte de Guy Flecher en est une démonstration magistrale. J’ajouterais encore cette parole de Lacan sans ambiguïté et dont les choix des mots devraient nous arrêter afin d’en mesurer toute la portée.
L’effet de cisaille que le langage apporte dans les fonctions de l’animal qui parle : par tout cet étagement de structures que j’ai décrites sous leur nom le plus commun, car elles s’appellent la demande et le désir, en tant qu’elles remanient radicalement le besoin. Ainsi proprement se conçoit la succession de ces phases diversement interférentes que Freud a isolées comme pulsions […] Freud montre que ces effets de cisaillement sont majeurs dans ce qu’on doit appeler la pratique sexuelle de l’être parlant. [2]
Pris au sens de substance ou synonyme d’essence il ne convient pas plus. L’essence, comme l’être ne sont que des effets de langage, des semblants dit Lacan. Et pour enfoncer le clou il inventera le néologisme de parlêtre, puis celui de parêtre associé à celui de s’emblant ! [3]
Le sujet est certes parlant, mais ce n’est pas son privilège
Car on oublie que la parole n’est pas le langage, et que le langage fait drôlement parler l’être qui, dès lors, se spécifie de ce parlage. Il est évident que ma chienne peut parler et même que, ce faisant, elle s’adresse à moi, mais que, lui manquant le langage, cela change tout. [4]
Le sujet est parlant, mais il est d’abord parlé c’est-à-dire inscrit dans un langage qui lui préexiste et quand Lacan dit langage il entend structure.
Mes Écrits rassemblent les bases de la structure dans une science qui est à construire – et structure veut dire langage – pour autant que le langage comme réalité fournit ici les fondements.
Le structuralisme durera ce que durent les roses, les symbolismes et les Parnasses : une saison littéraire, ce qui ne veut pas dire que celle-ci ne sera pas plus féconde.
La structure, elle, n’est pas près de passer parce qu’elle s’inscrit dans le réel, ou plutôt qu’elle nous donne une chance de donner un sens à ce mot de réel, au-delà du réalisme qui, socialiste ou non, n’est toujours qu’un effet de discours. [5]
Il ne s’agit donc pas de n’importe quelle structure, ni de celle des linguistiques ni de ceux qui ont été rangés sous la bannière des structuralistes en général. Mais d’une structure qui, comme nous le verrons, se caractérise d’être trouée. Elle est une a-structure. Je vous proposerai, concernant Lacan, à la place de la nature de l’être parlant la formule suivante écrite en idiome lacanien :
L’a-structure du parlêttre.
Quant au rapport de Mencius et de Lacan, je crois qu’il est bon de rappeler, même si cela paraît une évidence, qu’ils n’occupent pas la même place. Mencius est à celle de l’éducateur et de « l’homme politique » et Lacan ⎯ il ne cesse pas de rappeler et même avec insistance ⎯ à celle du psychanalyste.
La tenue d'une certaine place, ceci je le souligne, cette place n'est autre ⎯ je le souligne parce que je n'ai pas à l'énoncer pour la première fois, je passe mon temps à bien répéter que c'est de là que je me tiens ⎯ que la place que j'identifie à celle d'un psychanalyste. [6]
Mais ils ont néanmoins un point commun. Celui d’exercer un métier que Freud avait rangé parmi les trois métiers impossibles : éduquer, gouverner, psychanalyser.
Aujourd’hui, dans le prolongement du texte écrit je souhaiterais vous parler du signe (xing), de la métaphore et du symptôme en m’appuyant sur l’usage énigmatique par Lacan du caractère si 厶 que j’interprète, c’est mon hypothèse, comme une écriture lacano-chinoise du symptôme. Mais auparavant j’aimerais revenir sur le sens du recours non négligeable au chinois dans ce Séminaire XVIII en particulier. Toujours dans le fil de ma propre démarche de clarification initiée par vous, par l’intermédiaire de Guy Flecher, et que je poursuis devant vous. Il existe un certain nombre d’interventions satellites au séminaire qui sont d’importance et donnent un peu de lumière. Les plus significatifs sont Radiophonie [7] de juin 1970, la veille donc du Séminaire, et au milieu de celui-ci son intervention au Japon au printemps 1971 à l’occasion de la traduction de ses Écrits [8].
La place du chinois dans les retours à Freud de Lacan.
Ce recours au chinois a de multiples raisons. J’en ai suggéré quelques-unes dans mon texte. Mais, il m‘est apparu à la longue, presque comme une évidence, qu’il participe du retour à Freud de Lacan et contribue à ses essais de clarification et de formalisation de l’expérience psychanalytique. On peut au passage s’interroger sur le sens de « l’oubli » des références chinoises, dans des commentaires et des études, par ailleurs excellents, qui en ont été faits par de très fins connaisseurs de Lacan. Un bon nombre de recensions écrites lors de sa parution font également l’impasse et sur la page de quatrième de couverture du livre, pas un mot. Cet oubli n’emporte-t-il pas avec lui un certain oubli de Freud dans la volonté de « dépasser » Freud, « d’aller au de-là », « d’aller plus loin » ? Bref faire du Lacan sans Freud, surtout en France où on ne lisait guère Freud, encore moins en allemand. Mais cet oubli peut aussi prendre cette autre figure qui pointe son nez depuis peu, faire du Lacan avec du chinois, mais toujours sans Freud. Tout dépend évidemment de la façon dont on interprète le fameux retour à Freud de Lacan dont j’ai montré dans mon écrit que très tôt le chinois y a explicitement joué un rôle, même si les références sont au début de son enseignement oral clairsemées et quasiment absentes de ses publications. Ce retour n’est pas pour Lacan celui qui se serait fait d’un coup au départ - les trois coups de Lacan en somme - et dirigé contre les seules dérives des premiers disciples de Freud. Il serait maintenant un acquis et derrière nous. Ce serait chose entendue, bien protégée dans la réserve lacanienne. On pourrait donc tourner la page freudienne. J’ai souligné dans mon écrit l’insistance de Lacan tout du long de son enseignement de la nécessité de ce retour. Ce retour chez Lacan est constant, il y revient toujours. Freud demeure son interlocuteur privilégié, et même dans la critique il reste le point d’appui et le levier d’Archimède. En 1977 il écrit encore
La clinique psychanalytique consiste à réinterroger tout ce que Freud a dit [9]
Le retour est donc insistant, mais il change de signification en fonction de ses propres avancées ; lorsqu’il s’agit de traiter de problèmes cruciaux de la pratique et de la théorie psychanalytique ; lors des moments de bascule de sa propre théorie. Mettre Freud à l’endroit d’abord, puis le reprendre « par l’envers » [10]. C’est le cas dans le séminaire de 1971 et nous verrons le sens ou les sens que cela peut avoir. Toujours est-il que lors de ces tournants il y a avec Freud la présence du chinois et d’auteurs chinois. Le retour à Freud ce n’est donc évidemment pas un simple retour sur l’histoire, sur une origine prétendue « pure » de la psychanalyse. Ce n’est pas non plus un retour sur l’analyse de Freud, les circonstances et les vicissitudes de sa vie personnelle, mais sur « l’essence de ce discours qui part d’un point de rupture » et sur la « fonction qu’il a eue comme cassure » [11] Cassure qui traverse la psychanalyse et chacun d’entre nous.
Le Séminaire XVIII s’inscrit donc dans une reprise par l’envers du projet freudien. D’une reprise par la face non signifiante du symptôme en somme. C’est pour ainsi dire un retour sur le retour, sur le retour initial au sens de Freud dont est issu l’axiome « l’inconscient est structuré comme un langage » et qui remettait le langage et la parole au centre de la psychanalyse. Il va connaître un succès au-delà de ce que Lacan pouvait escompter du moins chez ses partisans. Mais pas seulement. À l’époque la psychanalyse se diffusait à travers tous les pans de la culture, littérature, art, philosophie, mais aussi la psychiatrie, la psychologie, etc. La tentation de la ravaler au rang d’une idéologie de recours à la récollection du lien sociale était grande. Le séminaire de Lacan devenait un lieu mondain où il était important de se faire voir, surtout lorsque l’on affichait son goût du scandale et de la subversion. On avait de plus en plus affaire à un usage excessif de la terminologie linguistique, de l’emploi à tout va sa de la métaphore et de la métonymie, à une inflation du sens et à l’emballement interprétatif qui en est la conséquence. Bref la linguisterie dominait ; le lexique freudien et lacanien, les formules à l’emporte pièce, L’art du jeu de mots faisaient partie du langage ordinaire et des tics de la rhétorique quotidienne [12]. Comme s’en plaint Lacan l’inconscient se trouve à tous les coins de rue et ceux qui l’ont rencontré sont légion et s’en revendiquent.
Il faut dire que la psychanalyse tout le monde croit avoir là-dessus une certaine idée, une idée suffisante. Il n’y a plus de problème, l’inconscient, eh bien, c’est l’inconscient, tout le monde sait maintenant qu’il y a un inconscient. Il n’y a plus d’objections, il n’y a plus d’obstacles. Mais qu’est-ce que c’est que cet inconscient ? [13]
Tous ces travers découlent en grande partie de la tendance spontanée à prendre les mots pour les choses, à céder au leurre du signe [14], à naturaliser, chosifier, fétichiser le signifiant. Marx - Lacan s’y réfère souvent dans le Séminaire XVIII - l’avait montré de son côté en dévoilant les mécanismes du fétichisme de la marchandise. Lacan déplore avec amertume, voire colère cette fétichisation du signifiant au point qu’il ne parlera plus du signifiant comme tel, mais de la fonction du signifiant.
Ce quelque chose où le psychanalyste, interprétant, fait intrusion de signifiant, certes je m’exténue depuis vingt ans à ce qu’il ne le prenne pas pour une chose, puisque c’est faille, et de structure. [15]
Effectivement. Et on ne peut ici qu’évoquer comme exemple de cet effort et de cette opiniâtreté de Lacan Le Séminaire de 1961-1962 où il introduit le trait unaire, Cet idéal de simplicité dont rêve toute science [16].
Il s’agit précisément du un en tant que trait unique : /. Nous pourrons raffiner sur le fait que l’instituteur écrit le un comme cela 1, avec une barre montante qui indique en quelque sorte d’où il émerge. Ce ne sera pas un de pur raffinement d’ailleurs, parce qu‘après tout, c’est justement ce que nous aussi nous allons faire : essayer de voir d’où il sort. [17]
Le renvoi au chinois y est patent, à Shitao notamment, même s’il n’est pas nommé explicitement.
Le trait unaire, donc, qu'il soit comme ici vertical - nous appelons cela faire des bâtons - ou qu'il soit, comme le font les Chinois, horizontal, il peut sembler que sa fonction exemplaire soit liée à la réduction extrême, à son propos justement, de toutes les occasions de différence qualitative. [18]
Lacan pense ici au YI :
一
dont François Cheng dit qu’il est
Le plus important sans doute parmi les traits de base, il peut être considéré comme le « trait initial » de l’écriture chinoise. Son tracé, selon l’interprétation traditionnelle, est un acte qui sépare (et unit en même temps) le ciel et la terre. Aussi le caractère 一 veut-il dire à la fois « un » et « unité originelle ». En combinant les traits de base et en s’appuyant, dans bien des cas, sur les « idées » qui les sous-tendent, on obtient d’autres idéogrammes. [19]
Le trait unaire devient le support et l’essence même du signifiant qui
comme tel, sert à connoter la différence à l’état pur ? Et la preuve c’est qu’à sa première apparition le un manifestement désigne la multiplicité comme telle. [20]
Ce qui n’est pas sans évoquer le début § 42 de Laotzi
Le Dao engendre l’Un
Un engendre le Deux
Deux engendrent le Trois
Trois les dix milles êtres
[…]
Le signifiant n’est ni une chose, ni une substance. Ce qui fait son unité c’est justement de n’être que différence, différence absolue c’est-à-dire sans rapport. C’est en tant que pure différence que l’unité, dans sa fonction signifiante, se structure, se constitue. Et la fécondité du signifiant provient justement de ce qu’il ne peut en aucun cas être identique à lui-même. Pour plus de précisions sur ce chapitre, je vous renvoie au travail éclairant d’Erik Porge qui vous est, semble-t-il, accessible puisqu’il s’agit d’un exposé qu’il a présenté ici même, à Chengdu [21].
Lacan ne cessera de le marteler [22] — Et de se plaindre de ne pas être entendu. Un retour s’impose donc. Mais un retour sur le retour inaugural, autrement un retour de Lacan sur lui-même. Il n’y a pas que Freud qu’il s’agit de prendre à l’envers mais aussi le premier Lacan lui-même. Une reprise de Lacan par lui-même donc, qui est aussi un retour – thèse que je ne pourrais étayer ici - sur le Freud d’avant L’interprétation des rêves, de Freud saisi dans le mouvement de découverte de la structure langagière du symptôme névrotique. C’est ce Lacan semble nous dire à mots couverts (p. 44) ⎯ du moins je l’entends ainsi.
L’inconscient ne veut rien dire si ça ne veut pas dire ça, que, quoi que je dise, et d’où que je me tienne, même si je me tiens bien, je ne sais pas ce que je dis […].
Même si je ne sais pas ce que je dis ⎯ seulement, je sais que je ne le sais pas, et je ne suis pas le premier à dire quelque chose dans ces conditions, ça s'est déjà entendu ⎯ je dis que la cause de ceci n'est à chercher que dans le langage lui-même. Ce que j'ajoute à Freud ⎯ même si dans Freud c'est déjà là, patent, parce que quoi que ce soit qu'il démontre de l'inconscient n'est jamais rien que matière de langage ⎯ , J'ajoute ceci, que l'inconscient est structuré comme un langage. Lequel ? Eh bien, justement, cherchez-le. C’est du français ou du chinois que je vous causerai.
Retour su l’algorithme lacanien S/s. Retour sur le symptôme qui ne peut plus être réduit à une simple cristallisation de sens et à son enveloppe formelle, mise à plat de la métaphore et de son ressort secret, à savoir la substitution dont le mécanisme porte chez Freud le nom de refoulement originel. Ce n’est donc pas un hasard si dans le Séminaire qui retient notre attention, Lacan réinterroge également le prototype même de la métaphore : la métaphore primordiale, la métaphore paternelle et son produit, le (ou les) Nom-du-Père. Là encore les enjeux sont multiples et croisés. Lacan avait cessé d’évoquer la question du Père depuis l’interruption brutale de les Noms du père en 1963 à la suite de son exclusion de l’IPA [23] et ce jusqu’au Séminaire de 1968-1969 d’un Autre à l’autre et surtout les suivants. La problématique du Père forme un palimpseste, une stratification complexe où s’entremêlent des préoccupations personnelles, institutionnelles et théoriques, une reprise critique de la place du père chez Freud et dans son œuvre [24], une dénonciation de la figure du Père de la psychanalyse telle qu’elle a été annexée par l’annafreudisme. Toujours est-il que le Séminaire XVIII s’achève sur une reprise critique du mythe freudien du père, reprise qui ne s’étaye plus sur des références bibliques comme par le passé, comme si le chinois s’y était substitué en permettant de mieux penser la « métaphore faite pour ne pas marcher et dans laquelle se déplace toutes voiles dehors la psychanalyse » (p. 46) — encore une piste à suivre ! C’est vrai de la métaphore paternelle. Elle est faite pour ne pas marcher, d’où la nécessité du mythe.
Cette petite faille de mon discours qui s’appelait les Noms-du-Père et qui reste béante » disait Lacan le 4 décembre 1968. [25]
Faille de la structure, Faille des Noms-du-Père. Un retour au signe ⎯ ce casse-tête ⎯ s’imposait.
La question du signe
À un tournant du Séminaire surgit une formule à ma connaissance pas si fréquente chez Lacan, mais qui reviendra souvent par la suite :
J'en reviens au même point, hein, je tourne en rond. [26]
Dit Lacan dans un soupir. L’entend-on ? Il le souffle au milieu de propos sur le symptôme hystérique et la division sans remède de la jouissance et du semblant (p. 151).
Il avait déjà affirmé quelque chose d’équivalent dans son Séminaire précédent :
Sans doute me direz-vous que là, en somme, nous tournons toujours en rond ⎯ le signifiant, l’Autre, le savoir, le signifiant, l’Autre, le savoir, etc. Mais c’est bien là que le terme de jouissance nous permet de montrer le point d’insertion de l’appareil ? Ce faisant, sans doute sortons-nous de ce qu’il en est authentiquement du savoir, de ce qui reconnaissable comme savoir, pour nous rapporter aux limites, à l’hors-champ [27] comme tel, celui que la parole de Freud ose affronter. De tout ce que celle-ci articule résulte quoi ? Non le savoir, mais la confusion. Eh bien, de la confusion nous avons à tirer réflexion, puisqu’il s’agit des limites, et de sortir du système. En sortir en vertu de quoi ? ⎯ D’une soif de sens comme si le système en avait besoin. Il n’a aucun besoin, le système. Mais nous, êtres de faiblesse, tels que nous nous retrouverons dans le cours de cette année à tous les tournants, nous avons besoin de sens. [28]
Il le répétera souvent par la suite, jusque dans ses Séminaires les plus tardifs comme par exemple dans le XXIV : « l’homme tourne en rond parce qu’il est torique » [29].
Nous retiendrons surtout l’assertion suivante :
« Aïe ! Je me casse la tête contre ce que j'appellerais, à l'occasion, un mur, un mur, bien sûr, de mon invention. C'est bien ce qui m'ennuie. On n'invente pas n'importe quoi. Et ce que j'ai inventé est fait en somme pour expliquer - je dis expliquer, mais je ne sais pas très bien ce que ça veut dire – expliquer Freud. Ce qu'il y a de frappant, c'est que, dans Freud, il n'y a pas trace de cet ennui ou plus exactement de ces ennuis, de ces ennuis que j'ai et que je vous communique enfin sous cette forme : « je me casse la tête contre les murs. » Ça ne veut pas dire que Freud ne se tracassait pas beaucoup [30]…Je me casse la tête, ce qui est déjà embêtant, parce que je me la casse sérieusement ; mais, le plus embêtant, c'est que je ne sais pas sur quoi je me casse la tête… Tout ce qui est mental, en fin de compte, est ce que j'écris du nom de « sinthome », c'est-à-dire signe. Qu'est-ce que veut dire être signe ? C'est là-dessus que je me casse la tête. [31]
C’est dans le cadre du séminaire de 1971, qui nous occupe aujourd’hui, que fait retour dans le discours de Lacan la question du signe, du xing ? Il l’annonce avec force et à la surprise générale en juin 1970 dans radiophonie :
Sous prétexte que j’ai défini le signifiant comme ne l’a osé personne, on ne s’imagine pas que le signe ne soit pas mon affaire ! Bien au contraire c’est la première, ce sera aussi la dernière. Mais il y faut ce détour. [32]
Et au début de l’interview, il répond à la question concernant les rapports à la linguistique :
La linguistique, avec Saussure et le Cercle de Prague, s’institue d’une coupure qui est la barre posée entre le signifiant et le signifié, pour qu’y prévale la différence dont le signifiant se constitue absolument, mais aussi bien effectivement s’ordonne d’une autonomie qui n’a rien à envier aux effets de cristal : pour le système du phonème par exemple qui en est le premier succès de découverte [33]
Mais en linguistique, il n’est question ni de barre, ni de coupure [34]. Il y a donc entre les linguistes et Lacan un profond malentendu concernant le signe et a fortiori la métaphore. Les premiers érigent le signe comme objet de science. Mais, affirme Lacan, il s’avère que ce « langage-objet » est insaisissable.
En cela il est plus fidèle au fondateur de la linguistique moderne Ferdinand de Saussure que ne le sont ses successeurs. En effet, ce dernier ne cesse de souligner le mystère de la pensée-son, que la linguistique a besoin de métaphore parce que son objet est singulier et irréductible à une science de d’observation, que le signe n’est rien d’observable et que tout dans le phénomène du langage est psychique, non seulement le sens, mais le signe lui-même. [35]
J’oserai ici ce parallèle, peut être un peu forcé : les linguistes post-saussuriens sont dans le même rapport à Ferdinand de Saussure que les post-freudiens et dans une certaine mesure les lacaniens des années soixante-dix le sont par rapport à Freud… et Lacan. Lacan est plus saussurien que les linguistes et plus freudien que la plupart des psychanalystes. II l’est d’autant plus qu’il a fait du chinois, dit-il.
La linguistique ne peut être qu'une métaphore, qui se fabrique pour ne pas marcher. […]. La psychanalyse, elle, se déplace toutes voiles dehors dans cette même métaphore. C’est bien là ce qui m’a suggéré ce retour, comme çà […], à mon vieux petit acquis chinois (p. 46).
Les linguistes dont ils parlent ne sont pas dans la salle. Mais les psychanalystes qui « linguistisent » pas mal, oui. Il ne parle donc pas seulement contre les linguistes pour reprendre le titre donné par Jacques Alain Miller à la séance du 10 février 1971 mais aussi contre les psychanalystes. Il le rappellera deux ans plus tard
Si l’inconscient est structuré comme un langage, je n’ai pas dit : par –. L’audience, s’il faut entendre par là quelque chose comme une acoustique mentale, l’audience que j’avais alors était mauvaise, les psychanalystes ne l’ayant pas meilleure que les autres. Faute d’une remarque suffisante de ce choix (évidemment pas un de ces traits qui les touchaient, de les é-pater – sans plus d’ailleurs), il m’a fallu auprès de l’audience universitaire, elle qui dans ce champ ne peut que se tromper, faire étal de circonstances de nature à m’empêcher de porter mes coups sur mes propres élèves, pour expliquer que j’aie laissé passer une extravagance telle que de faire de l’inconscient « la condition du langage », quand c’est manifestement par le langage que je rends compte de l’inconscient : le langage, fis-je donc transcrire dans le texte revu d’une thèse, est la condition de l’inconscient. [36]
Pour Lacan le langage n’est pas concevable autrement que comme l’habitat de l’humain et le signe est d’abord une réalité psychique, mentale dit-il encore à l’instar de Ferdinand de Saussure. Dans le Séminaire III, il dit que La psychanalyse devrait être la science du langage habité par le sujet. Dans la perspective freudienne, l’homme c’est le sujet pris et torturé par le langage [37]. L’objectivation du signe par la science suppose comme condition préalable une opération de réduction qui exclut de son champ le sujet et la jouissance. La linguistique ne se préoccupe pas du parlêtre. Toujours dans l’étourdit il le réaffirme.
Ainsi la référence dont je situe l’inconscient est-elle justement celle qui à la linguistique échappe, pour ce que comme science elle n’a que faire du parêtre [oui ! Il faut bien lire parêtre], pas plus qu’elle ne noumène. Mais elle nous mène bel et bien, et Dieu sait où, mais sûrement pas à l’inconscient, qui de la prendre dans la structure, la déroute quant au réel dont se motive le langage : puisque le langage, c’est ça même, cette dérive. [38]
Plus tard Lacan inventera par la suite pour répondre à cette exigence et se démarquer de la linguistique scientifique le néologisme de lalangue
Ce dire ne procède que du fait que l’inconscient, d’être « structuré comme un langage », c’est-à-dire lalangue qu’il habite, est assujetti à l’équivoque dont chacune se distingue. Une langue entre autres n’est rien de plus que l’intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister. [39]
déjà annoncé dans Lituraterre par l’introduction de la lettre, le littoral entre le savoir et la jouissance », le langage et le corps. Littoral plutôt que coupure trop séparatrice et tranchée. Le littoral est une limite souple et mobile, plus un pli qu’un tracé. Le littoral est un a-topos où se mêlent, s’enchevêtrent, sans se fondre l’une dans l’autre, deux réalités hétérogènes. La mer envahit le sable, se retire en y laissant sa marque, le sable se mêle à la mer, la colore, la brouille, mais sans y disparaître.
Le chinois, son écriture, sa calligraphie, sa poésie etc., sont d’un grand appui pour Lacan dans sa critique de la linguistique, y compris celle de la théorie de la double articulation qui définit le phonème comme unité minimale de la langue dénuée de sens conformément à l’idéal-type de la langue – objet. Par contre, nous dit Lacan, en chinois… c’est la première articulation qui est toute seule, et qui se trouve produire du sens (p. 47). Je ne saurais trancher. C’est aux chinois de répondre. Le pourront-ils s’ils opèrent sur leurs langues la même opération de réduction scientifique ? Toujours est-il que pour Lacan la praxis scripturale et langagière du chinois, du moins celle qu’il a lui-même expérimentée, lui semble plus proche de l’expérience langagière en psychanalyse où effectivement le phonème peut s’avérer chargé de sens.
J’en viens, enfin ! Me direz-vous, au si 厶 qui surgit de façon surprenante en plein milieu d’une séance.
厶
Au beau milieu de la séance du 17 février Lacan écrit en effet au tableau ce caractère [40] chinois. Rappelons que cette séance s’ouvre avec Mencius et que s’y trouve la référence à la « nature de l’être parlant » qui nous a retenue. Il écrit ce si 厶, sans que rien ne le laissait prévoir. Il vient là comme un corps étranger, un petit caillou, un petit clou de tapissier, dont il a d’ailleurs la forme, qui nous surprend et nous déroute. Il paraît encore bien énigmatique. Il occupe à peine deux pages, mais fait coupure, effraction dans le discours de Lacan, comme peut le faire un lapsus, un mot d’esprit, un rêve, un symptôme, bref une formation de l’inconscient, dans le fil du dit de l’analysant. Je vous avais annoncé mon hypothèse selon laquelle nous aurions affaire là à une écriture lacano-chinoise du symptôme, de la nouvelle version du symptôme qui cherche à articuler l’enveloppe signifiante de celui-ci avec son noyau de jouissance, le hors-sens. Je vais m’appuyer sur quelques éléments fournis par Lacan lui-même pour l’étayer.
1 - Le contexte sémantique
Le caractère s‘insère entre des considérations sur l’association libre :
Il va s'agir aujourd'hui de la situation par rapport à la vérité qui résulte de ce qu'on appelle la libre association, autrement dit un libre emploi de la parole. Je n'en ai jamais parlé qu'avec ironie. Il n'y a pas plus de libre association qu'on ne pourrait dire qu'est libre une variable liée dans une fonction mathématique. La fonction définie par le discours analytique n'est bien évidemment pas libre, elle est liée. Elle est liée par des conditions que je désignerai rapidement comme celles du cabinet analytique (p. 62)
Suivi d’une brève notation sur l’obscurité du transfert et l’énigme du sujet supposé savoir :
Je ne tranche aucunement de ce que c’est, le transfert. C'est très précisément en disant le sujet supposé savoir, tel que je le définis, que la question reste entière de savoir si l’analyste peut être supposé savoir ce qu'il fait » (p. 63).
Il y a évidemment un ressort secret qui relie la dite « libre association » et le transfert, les deux piliers de la « technique psychanalytique. Le transfert étant la mise en jeu sur la scène analytique de ce qui opère dans le discours « débridé » de l’analysant et dont il ignore la provenance. L’analyste venant incarner la cause de son dire. Puis il précise le topos, l’habitat de ce 厶, « la demansion, la résidence de l’Autre de la vérité ».
Lacan passe ensuite, sans transition, du moins apparente, au « il n y a pas de rapport sexuel chez l’être parlant » supporté par l’écriture du yin et du yang, les deux principes mâle et femelle. C’est pour en contester la dualité, la bipolarité par l’intrusion de cet opérateur logique tiers, le phallus (à ne pas confondre avec le pénis) « qui est, nous dit Lacan, l’organe en tant qu’il est, e.s.t.- il s’agit de l’être -, en tant qu’il est la jouissance féminine. Mais laissons cela qui nous mènerait trop loin, bien que ce ne soit pas sans lien avec ce qui nous préoccupe. Retenez-en simplement la ternarité, la nécessité du trois.
Le il y n’a pas de rapport sexuel n’est pas sans lien avec le « ratage » de la métaphore. Lacan dit le rapport sexuel c’est la parole elle-même (p. 83) mais c’est une suppléance, comme l’amour, cette forme insigne de la métaphore, l’est de l’impossible jouissance. Le symptôme c’est une métaphore cristallisée, pétrifiée, verrouillée. La « métaphore vive », pour utiliser cette belle formule de Paul Ricoeur, est délivrance, déchaînement du sens, création de sens. Mais la Chose échappe à sa nasse. Il y a toujours un reste. Le pas du sens produit un pas-de-sens qui relance la chasse métonymique de la Chose.
Mais alors pourquoi faire usage d’un caractère chinois devant un public fait en majorité de psychanalystes qui n’ont aucune notion de cette langue ? Pourquoi avoir choisi un caractère chinois devant un public qui n’en entrave rien et qui n’aura pas la curiosité de vérifier. Lacan ne se fait aucune illusion à ce sujet malgré ses appels du pied. Lacan fait usage du chinois à sa guise, comme il dit explicitement l’avoir fait, entre autres, « des termes linguistiques : usage dans lequel je ne me sens aucunement dans la dépendance du linguiste. J’en fais ce qui me convient, et jusqu’à un certain point, si j’écris comme j’écris, c’est à partir de ceci, que je n’oublie jamais, à savoir qu’il n’y a pas de métalangage dira-t-il au Japon. Dans le cas du 厶 s’agirait-il de coquetterie, de snobisme, de préciosité ? Je n’en crois rien. Avec l’usage du 厶 Lacan veut une nouvelle fois dérouter [41], réveiller un auditoire endormi par le savoir psychanalytique ⎯ y compris « lacanien » ⎯, l’accumulation des données cliniques qui s’interposent comme autant de nouveaux préjugés rendant sourd à la singularité des sujets et de leurs symptômes. C’est à mon sens pour restituer l’étrangeté du symptôme, pour reproduire l’équivalent des hiéroglyphes de l’hystérie auxquels était confronté Freud à ses débuts. À la fin de la séance précédente du 10 février 1971 Lacan dit :
Le symptôme, c'est autour de quoi tourne tout ce dont nous pouvons ⎯ comme on dit, si me mot avait encore un sens ⎯ avoir l'idée. Le symptôme, c'est là-dessus que vous vous orientez, tous tant que vous êtes. La seule chose qui vous intéresse, et qui ne tombe pas à plat, qui ne soit pas simplement inepte comme information, c’est des choses qui ont l'apparence de symptômes, c'est-à-dire, en principe, des choses qui vous font signe [xing] [42], mais à quoi on ne comprend rien. C'est la seule chose sûre ⎯ il y a des chose qui vous font signe, à quoi on ne comprends rien (p. 52).
Et dans la séance du 17 mars 1971 il dit à propos de ses Écrits ⎯ ses rochers :
On n’y comprend rien, qu’ils ont dit.
Remarquez que c'est beaucoup. Quelque chose auquel on ne comprend rien, c'est tout l'espoir, c'est le signe qu'on en est affecté, heureusement qu'on n’a rien compris, parce que l'on ne peut jamais comprendre que ce qu’on a déjà dans la tête. Mais enfin je voudrais essayer d'articuler ça un peu mieux.
Il ne suffit pas d'écrire quelque chose qui soit exprès incompréhensible, mais de voir pourquoi l'illisible a un sens (p. 105).
2 - Sa forme graphique
On peut y voir une condensation extrême de la boucle béante de la poire d’angoisse du graphe du désir que Lacan retrace au tableau la séance suivante et de l’algorithme S/s, cisaillé par la barre. L’algorithme ⎯ corrélât de l’axiome l’inconscient est structuré comme un langage ⎯ était l’écriture de la première version du symptôme des années cinquante définit comme :
Le signifiant d’un signifié refoulé de la conscience du sujet. Symbole écrit sur le sable de la chair et sur le voile de Maïa, il participe du langage par l’ambiguïté sémantique que nous avons déjà soulignée dans sa constitution. [43]
Et, poursuivait Lacan :
Freud nous appris à suivre dans le texte des associations libres la ramification ascendante de cette lignée symbolique, pour y repérer aux points où les formes verbales s’en recroisent les nœuds de sa structure ⎯, il est déjà tout à fait clair que le symptôme se résout tout entier dans une analyse de langage, parce qu’il est lui-même structuré comme un langage, qu’il est langage dont la parole doit être délivrée.
À quoi correspondait le rôle de l’analyste
Qui interprète le symbole, et voici que le symptôme, qui l’inscrit en lettres de souffrance dans la chair du sujet, s’efface. Cette thaumaturgie est malséante à nos coutumes. Car enfin nous sommes des savants et la magie n’est pas pratique défendable. On s’en décharge en imputant au patient une pensée magique. [44]
Avec le Séminaire XVIII s’élabore une conception du symptôme, non seulement comme cryptage d’un sens mais comme écriture, chiffrage d’une jouissance.
Mais continuons à étayer notre hypothèse en suivant au plus prés les dits de Lacan. Il s’arrête avec insistance sur la forme du caractère :
Mais ce qui me paraît remarquable, c’est sa forme écrite, qui va me permettre tout de suite de vous dire où se placent les termes autour desquels va tourner mon discours aujourd’hui. [45]
On pourrait y voir la forme d’une bouche béante silencieuse, d’où peut surgir, du fond de la gorge un cri ou une parole. D’autres y ont vu un triangle ouvert, éclaté – la faille ou le trou du triangle œdipien ? Lorsque Lacan utilise la forme comme support des termes qu’il y reporte, elle devient écriture, écriture d’un graphe, celui du signe-symptôme, selon mon hypothèse. Le point de croisement vient ici à la place de la barre résistante à la signification de l’algorithme S/s du début de l’enseignement de Lacan.
La barre entre le signifiant et le signifié se contracte de plus en plus à la dimension d’un point limite non localisable, d’un point infini. Puis, elle se déplace et devient erratique. Le point de « croisement » (2) représente maintenant le centre de gravité caché du désir. Le point-source d’une parole écartelée entre la rencontre et la divergence du signifiant et de la lettre, du langage et de l’écrit, du langage et du corps. Non plus seulement un nœud dense de significations à démêler, mais le « point noyau où le discours fait trou ». L’ombilic déjà évoqué très tôt par Freud :
Dans les rêves les mieux interprétés, on doit souvent laisser un point dans l’obscurité, parce que l’on remarque, lors de l’interprétation, que commence là une pelote de pensées de rêve qui ne se laisse pas démêler, mais qui n’a pas non plus livré de contributions supplémentaires au contenu du rêve. C’est alors là l’ombilic du rêve, le point où il repose sur le non-reconnu [Unerkannt]. Les pensées du rêve auxquelles on arrive dans l’interprétation doivent en effet, d’une manière tout à fait générale, rester sans achèvement et déboucher de tous côtés dans le réseau inextricable de notre monde de pensée. D’un point plus dense de cet entrelacs s’élève alors le souhait de rêve comme le champignon de son mycélium. [46]
On pourrait ajouter que ce point 2 correspond au xin, le point 1 des effets de langage au ming et le 3 le fait de l’écrit au xing. Dans Lituraterre le point de croisement devient lettre qui fait littoral entre savoir et jouissance. Je suis conscient que je fais vite, trop vite. Ce ne sont là que quelques points de repère dans la lecture d’un texte obscur.
On peut deviner aussi dans la forme du 厶, à y regarder de près, la préfiguration du nœud borroméen. Dans le dernier enseignement de Lacan il semble que nous assistions à un serrage de plus en plus étroit du nœud jusqu’au point-nœud de la nodalité même du nœud, le trou, le réel même du nœud. Ce n’est pas sans raison qu’il arrivera à Lacan de remplacer le troisième rond du nœud par une droite infinie.
L’écriture en question vient d’ailleurs que du signifiant. Ce n’est tout de même pas d’hier je me suis intéressé à cette affaire de l’écriture, et que je l’ai promue la première fois que j’ai parlé du trait unaire, einziger Zug dans Freud.
Du fait du nœud borroméen, j’ai donné un autre support à ce trait unaire. Cet autre support, je ne vous l’ai pas encore sorti. Dans mes notes, je l’écris DI. Ce sont des initiales de droite infinie.
La droite infinie […], je la caractérise de son équivalence au cercle. C’est le principe du nœud borroméen. En combinant deux droites avec le cercle, on a l’essentiel du nœud borroméen. Pourquoi la droite infinie a-t-elle cette vertu, ou qualité ? Parce qu’elle est la meilleure illustration du trou, meilleure que le cercle. La topologie nous indique que dans un cercle, il y a un trou au milieu […].
La droite infinie, elle, a pour vertu d’avoir le trou tout autour. C’est le support le plus simple du trou. [47]
3- Les sens de 厶
Les autres éléments venant étayer mon hypothèse ce sont les deux sens retenus par Lacan parmi tous ceux que peut prendre ce caractère en fonction du contexte : retors et personnel au sens de privé (64). Sizaret, dans son excellent travail sur la traduction des différents termes chinois utilisés par Lacan, conteste ces choix tout en reconnaissant en partie la pertinence dans certaines occurrences [48]. Lacan n’est lui guère explicite. Nous sommes voués à nous appuyer sur le contexte déjà évoqué ci-dessus. Nous y ajouterons un certain nombre d’arguments supplémentaires.
a) Commençons par le sens de personnel et privé. Ne convient-il pas à merveille au symptôme dans son sens psychanalytique. N’y a-t-il rien de plus personnel, de plus privé, de plus singulier qu’un symptôme et sa formation ?
Si les humains s’entendent lorsqu’ils se parlent c’est grâce à l’existence d’un code qui est le même chez l’émetteur et le récepteur, celui de la langue française pour des Français par exemple. La compréhension d’un symptôme au sens médical suppose également un code, celui de tout le savoir accumulé et une technique de déchiffrage qui existent indépendamment du médecin et du malade. De même le psychiatre se réfère à un système de classification, à une nosographie qui, comme les différentes versions du DSM, a l’ambition d’être un code international commun à tous les psychiatres du monde et applicable à tous les patients. Il n’en va pas de même pour les symptômes névrotiques. Les médecins à l’époque de Freud ⎯ les choses ont à peine changé aujourd’hui ⎯ en ont fait l’amère expérience avec l’hystérie qui était devenue leur « bête noire ». Thomas Sydenham, l’Hyppocrate anglais écrivait déjà en 1682
Cette maladie est un protée qui prend une infinité de formes différentes ; c’est un caméléon qui varie sans fin ses couleurs… Ses symptômes ne sont pas seulement en très grand nombre et très variés, ils ont encore cela de très particulier entre toutes les maladies, qu’ils ne suivent aucune règle, ni aucun type uniforme, et ne sont qu’un assemblage confus et irrégulier : de là vient qu’il est difficile de donner l’histoire de l’affection hystérique. […] Elle imite presque toutes les maladies qui arrivent au genre humain, car dans quelques parties du corps qu’elle se rencontre, elle produit aussitôt les symptômes qui sont propres à cette partie ; et si le médecin n’a pas beaucoup de sagacité et d’expérience, il se trompera aisément et attribuera à une maladie essentielle et propre à telle partie ou telle, des symptômes qui dépendent uniquement de l’affection hystérique. [49]
Les tentatives d’arraisonnement, comme celles de Jean-Martin Charcot, de l’hystérie dans les rets du code médical échouent. Pour Freud les signes, les symptômes de l’hystériedevienne des hiéroglyphes, c’est-à-dire l’équivalent d’un discours, d’un texte, à lire et à a déchiffrer.
Le symptôme névrotique a cette caractéristique particulière de ne répondre, contrairement à la langue des linguistes, à aucun code préétabli. On opère avec un code qui lui est tout à fait insaisissable.
C’est structuré comme un langage, ces choses qui sont d’abord les symptômes, mais le code, dans cette chose qui pourtant opère comme un langage, le code, nous somme incapables de mettre la main dessus. [50]
Le névrosé sous transfert construit, délivre, ou forge aux détours de ses associations, de ses narrations, de la reconstruction de son histoire, du dérouler de son discours son propre code d’interprétation, on peut aller jusqu’à dire que la création du code c’est le processus d’interprétation lui-même. Lacan le ramasse dans une formulation à la fois clair et concise :
Le trait différentiel de l’hystérique est précisément celui-ci ⎯ c’est dans le mouvement même de parler que l’hystérique constitue son désir. De sorte qu’il n’est pas étonnant que ce soit par cette porte que Freud soit entré dans ce qui était, en réalité, les rapports du désir au langage, et qu’il a découvert les mécanismes de l’inconscient. [51]
On oublie bien souvent, surtout lors de la traduction, que Freud parle aussi bien de Symptom, de Symptombildung, de mechanismus der Symbolisierung que de Symbol tout court. De même lorsqu’il parle du rêve il emploie presque indifféremment les termes de Wubscherfüllung, Wunschbildung, Traumbildung.
La théorie psychanalytique, les acquis de l’expérience cliniques ne peuvent, pas plus que la linguistique, être érigés en métalangage. Et ce d’autant plus que leurs praticiens devraient logiquement être avertis de cette tendance naturelle à faire du signifiant un signe et de la symptomatologie une sémiologie qui écrase la singularité du dire du sujet et obture l’écoute [52].
Cette tendance devient manifeste dans l’usage abusif à mon sens du terme de structure en psychopathologie. Lacan en porte en partie la responsabilité. C’était certes salutaire dans un temps du retour à Freud. Mais utilisé à plus soif il rabat la clinique psychanalytique sur la psychopathologie, qu’elle soit d’inspiration psychologique ou psychiatrique. Lacan préférera, lorsqu’il s’agit d’entités cliniques parler de type, de style, plutôt que de structure.
Que les types cliniques relèvent de la structure, voilà qui peut déjà s’écrire quoique non sans flottement. Ce n’est certain et transmissible que du discours hystérique. C’est même en quoi s’y manifeste un réel proche du discours scientifique. On remarquera que j’ai parlé du réel, et pas de la nature.
Par où j’indique que ce qui relève de la même structure, n’a pas forcément le même sens. C’est en cela qu’il n’y a d’analyse que du particulier : ce n’est pas du tout d’un sens unique que procède une même structure, et surtout pas quand elle atteint au discours.
Il n’y a pas de sens commun de l’hystérique, et ce dont joue chez eux ou elles l’identification, c’est la structure, et non le sens comme ça se lit bien au fait qu’elle porte sur le désir, c’est-à-dire sur le manque pris comme objet, pas sur la cause du manque. (Cf. le rêve de la belle bouchère – dans la Traumdeutung – devenu par mes soins exemplaire. Je ne prodigue pas les exemples, mais quand je m’en mêle, je les porte au paradigme).
Les sujets d’un type sont donc sans utilité pour les autres du même type. Et il est concevable qu’un obsessionnel ne puisse donner le moindre sens au discours d’un autre obsessionnel. C’est même de là que partent les guerres de religion : s’il est vrai que pour la religion (car c’est le seul trait dont elles font classe, au reste insuffisant), il y a de l’obsession dans le coup. [53]
Ce n’est guère en faveur de la ”structure”. Par contre, il est vrai que Lacan maintient tout de même le concept dans le cas de l’hystérie. Parmi les structures des quatre discours, l’hystérique figure en bonne place. Mais ce que le discours de l’hystérique, avec la barre, la coupure qui sépare $ de a, $/a, met en évidence, c’est précisément la structure au sens où l’entend Lacan, d’être une structure trouée. Trou figuré par la barre, l’élément inamovible des quatre discours. Lacan portera de plus en plus l’accent sur la dimension de la barre, de la coupure, de la faille… du trou. Et lorsqu’il lui arrive de parler de l’homme en général, disons de l’homme “normal”, il dit qu’il présente une structure torique ou encore une structure a-sphérique, c’est-à-dire d’une sphère munie d’une coupure [54]. Déjà dans son séminaire sur L’angoisse, il évoque l’idée d’un “vice de structure”. Toute structure a un vice et c’est ce qui fait la structure au sens lacanien du terme. Il appelle vice de structure, le point de la structure d’où surgit qu’il y a du signifiant. Autrement dit le vice de structure c’est le point manque du signifiant dans la structure [55].
b) Sens de retors. Là encore Lacan n’est pas prolixe. Mais on peut se fier à son art d’exploiter les ressources sémantiques, étymologiques, homophoniques, connotatives d’un terme comme celui de retors. Les sens les plus communs retenus par les dictionnaires 1. Sens technique en corderie et filature : qui a été tordu en plusieurs fois ; tours ; torsions données aux brins pour former un fil ou une corde solide ; on appelle un retors un tissu fabriqué avec du fil retors. 2. Sens figuré : artificieux ; ficelle ; rusé ; malin ; tordu ; trompeur ; tore ; torsion ; feint ; fictif, artifice, factice, faux, semblant, etc. On peu y ajouter toute la série commandée par le préfixe simili-, ou celui de pseudo- qui vient du grec pseudos dont on connaît l’usage qu’en a fait Freud à propos précisément de l’hystérie. Retors, simili, pseudo… On pourrait ici y ajouter le sens qu’accorde Lacan, en passant, à wei.
Qui veut dire « agir », mais pour un rien vous le voyez employé au titre de comme. Cela veut dire comme, c'est-à-dire que ça sert de conjonction pour faire métaphore ou bien encore ça veut dire en tant que ça se réfère à telle chose, qui est encore plus dans la métaphore. En effet, dire que ça se réfère à telle chose, c’est dire justement que ça n’en est pas puisque c'est bien forcé de s'y référer. Quand une chose se réfère à une autre, la plus grande largeur, la plus grande souplesse est donnée à l'usage éventuel de ce terme wéi, qui veut néanmoins dire agir (p. 47)
Je ne reviendrai pas sur la fortune que connaîtra le premier sens technique de retors chez Lacan dans sa logique en caoutchouc, l’usage et la manipulation des ronds de ficelle. Quant au second sens n’oublions pas que les termes ont souvent été utilisés pour parler du langage en général et de la métaphore en particulier dans toute une tradition qui va de Platon à Nietzsche, mais avec des accents bien sûr différents quant à l’appréciation. Et dois-je vous rappeler que le Séminaire qui nous occupe a un titre où figure le terme de semblant ? Il s’inscrit dans une logique du discours et de la structure de la vérité comme fiction. Mais il n’y a pas place ici pour développer les rapports complexes entre semblant, signifiant, vérité et réel.
Pour terminer sur retors, je vous propose quelques citations de Lacan où le sens de retors revient sous celui de falsus par quoi Lacan désigne le symptôme
Car me voici revenir au cristal de la langue pour, de ce que falsus soit le chu en latin, lier le faux moins au vrai qui le réfute, qu’à ce qu’il faut de temps pour faire trace de ce qui a défailli à s’avérer d’abord. À le prendre de ce qu’il est le participe passé de fallere, tomber, dont faillir et falloir proviennent chacun de son détour, qu’on note que l’étymologie ne vient ici qu’en soutien de l’effet de cristal homophonique.
C’est le prendre comme il faut, à faire double ce mot, quand il s’agit de plaider le faux dans l’interprétation. C’est justement comme falsa, disons bien tombée, qu’une interprétation opère d’être à côté, soit : où se fait l’être, du pataqu’est-ce.
N’oublions pas que le symptôme est ce falsus qui est la cause dont l’analyse se soutient dans le procès de vérification qui fait son être. [56]
4) La calligraphie
Et j’en viens à la calligraphie, toujours pour étayer ma thèse concernant si 厶, sur l’allusion implicite à la calligraphie. Lacan se plaint régulièrement au cours de son séminaire d’être obligé de faire usage de la craie qui n’a en rien la souplesse du pinceau du calligraphe chinois. Il le refait ici en écrivant si 厶 au tableau :
Je regrette beaucoup que la craie ne me permette pas d’y mettre les accents que permet le pinceau. (p. 63)
Je ne vous ferais pas l’affront de préciser le sens et l’importance de la calligraphie dans vos traditions et votre culture. Vous en savez plus que moi et de beaucoup ! J’essaie juste de m’éclairer sur l’importance qu’elle a eue pour Lacan qui évoque souvent avec admiration cet art de l’écriture, cet art insigne de la métaphore et de la création métaphorique associé à la pensée, la peinture et la poésie où
Le singulier de la main écrase l’universel. (p. 121)
Il ne serait certainement pas vain de réinterroger la nature de l’être parlant sous cet angle, ainsi que les rapports du corps et du langage que, nous avons tendance à penser et à vivre, dans notre tradition, comme séparés de façon trop tranchée. C’est peut-être aussi en référence à cette expérience de la calligraphie qu’il pense ses mêmes rapports sur le mode indéfini et mobile du littoral, plus proche du pli, de la pliure que de la ligne. C’est ce qu’il semble nous dire dans ce texte qui garde encore son énigme, du moins pour moi.
Rature d’aucune trace qui soit d’avant, c’est ce qui fait terre du littoral. Litura pure, c’est le littéral. Là, produire cette rature, c’est reproduire cette moitié dont le sujet subsiste. […] Produire la rature seule, définitive, c’est l’exploit de la calligraphie. Vous pouvez toujours essayer, essayer de faire simplement ce que je ne vais pas faire parce que je la raterai, d’abord parce que je n’ai pas de pinceau, essayer de faire cette barre horizontale, qui se trace de gauche à droite, pour figurer d’un trait l’un unaire comme caractère, franchement. Vous mettrez très longtemps à trouver de quelle nature ça s’attaque et de quel suspens ça s’arrête, de sorte que ce que vous ferez sera lamentable, c’est sans espoir pour un occidenté (p. 121).
Lacan inventera avec les nœuds borroméens sa propre calligraphie d’occidenté, son art de la monstration, l’art de penser avec ses mains et ses doigts. Dans son ultime séminaire scandé par de longs silences, il fera cette déclaration bouleversante :
La métaphore du nœud borroméen à l’état le plus simple est impropre. C’est un abus de métaphore, parce qu’en réalité il n’y a pas de chose qui supporte l’Imaginaire, le Symbolique et le Réel. [57]
Cette assertion reste ouverte à l’interprétation. Elle garde son énigme. Mais n’est-ce pas là une autre manière de dire, de façon peut être plus brutale, plus désespérée peut être aussi, que la métaphore est faite pour ne pas marcher et que c’est précisément ce ratage de la métaphore, cette béance de la métaphore qui en fait sa bouche et le ressort de sa créativité ?
5- L’agir métaphorique. Symptôme et poésie.
Le sens de L’agir métaphorique, cité qu’une fois dans le séminaire (p. 53), semble maintenant s’éclairer. Dans cette formulation Lacan réalise la synthèse de wei au sens d’agir et de wei au sens du comme de la métaphore, (les deux sens évoqués évoqués p. 47). L’agir métaphorique vient donc ici caractériser le processus même de la production du symptôme comme métaphore, comme une sorte de synthèse des deux sens de wei. Lacan, en traçant le caractère si 厶 au tableau, « mime », agit pour ainsi dire la création métaphorique de la formation du symptôme ⎯ hystérique, semble-t-il ici ⎯, du tressage singulier pour chaque sujet du vivant et du langage.
L’agir métaphorique est comme la parole, comme la calligraphie, un acte au sens plein du terme.
Certes le symptôme névrotique est comme nous l’avions déjà suggéré une métaphore qui s’est figée, pétrifiée ou cristallisée. Il y faut la flamme du transfert pour lui redonner vie. C’est dans l’expérience de langage du cadre analytique que le sujet renoue avec le ressort méconnu par lui (unerkannt dit Freud) de la création métaphorique qui a présidé à la formation du symptôme.
L’expérience analytique est une expérience poïétique.
Il arrive à Lacan, comme à Freud, de se plaindre ne pas être poète [58]. Dans la séance du 19 avril 1977 du Séminaire XXIV, à la suite d’un éloge appuyé des travaux de François Cheng sur la poésie chinoise et de ceux de Roman Jakobson sur les questions de poétique, il s’adresse ainsi aux psychanalystes :
La métaphore et la métonymie n’ont de portée pour l’interprétation qu’en tant qu’elles sont capables de faire fonction d’autre chose, et cette autre chose dont elles font fonction c’est bien ce par quoi s’unissent étroitement le son et le sens C’est pour autant qu’une interprétation juste éteint un symptôme que la vérité se justifie d’être poétique.
Puis le 17 mai :
Le sujet se prend pour Dieu, mais il est impuissant à justifier qu’il se produit du signifiant S1 et encore plus impuissant à justifier que ce S1 le représente auprès d’un autre signifiant, et que ce soit par là que passent tous les effets de sens, lesquels se bouchent tout de suite, sont en impasse. Voilà l’astuce ! L’astuce de l’homme c’est de bourrer tout cela, je vous l’ai dit, avec de la poésie. Il n’y a que la poésie qui permette l’interprétation et c’est en cela que je n’arrive plus dans ma technique à ce qu’elle tienne. Je ne suis pas assez poâte, je ne suis pas poâte assez.
Le thérapeute (René Magritte)
Sans conclusion
La chute est un peu abrupte. Il faut bien mettre un point qui vient peut être même un peu tard. Je n’ai guère pu faire autrement, vu l’état et l’ampleur du chantier que j’ai ouvert récemment grâce, ou à cause de vous. Nul en chinois je le suis, et confronté à un texte réputé difficile voire impénétrable, publié depuis peu. Je vous ai présenté quelques fragments de ce chantier, en n’étant jamais sûr de mes choix, en m’égarant et dérivant parfois. J’ai vagabondé dans le séminaire, J’y ai erré, m’y suis perdu. J’ai emprunté des chemins escarpés, d’autres plus ouverts et plus aériens. Je me suis enfoncé dans des impasses, cogné à des murs ; mais je n’ai pas pu le lâcher, ou plutôt c’est lui qui me tenait. Je suis resté dans le clair-obscur d’un texte aux équivoques et aux oxymores vertigineux.
6 avril 2010