Paris, jeudi 26 novembre 2009, chez Clovis

An XXVIII après Lacan




Résumons ce que nous avons vu jusqu’ici :

La psychanalyse, la vraie, ne peut dépendre d’une institution, d’aucune institution. Mais, qu’une pratique de libération se transforme en tombeau est toujours l’œuvre de ceux qui la refoulent tout en s’en proclamant les gardiens les plus orthodoxes. Or l’inconscient n’exige aucun credo ni aucune certitude. « L’inconscient dit toujours la vérité », sauf, qu’il ne se prend pas pour la vérité. « Seul, nous dit Lacan, le discours analytique ne se prend pas pour la vérité » (Ornicar, 1 :3-5, 1875). C’est là la dimension « intransmissible » de la psychanalyse ou, comme dit le Chan, sa « transmission spéciale, en dehors des écritures sans aucune dépendances à l’égard des mots et des lettres » (Les Annales de la transmission). Car, dans la mesure où chacun peut s’étonner authentiquement de sa propre existence il est toujours libre de réinterpréter sa propre vie en prenant un autre à témoin, haussé en position d’analyste, et, retrouver par lui-même et pour lui-même, comme sans le vouloir, toute la théorie analytique. C’est ainsi d’ailleurs que ça a commencé pour Freud avec Emmy von N, cette milliardaire suisse qui sut prononcer la phrase fondatrice de la psychanalyse : « ne dites, rien, ne me touchez pas, laissez moi parler ». Et ce sera toujours ainsi pour chaque analysant. Avec ses lapsus, ses actes manqués, ses oublis, ses rêves, pour peu qu’il les prenne au sérieux, il réinvente et revivifie à chaque fois toute la théorie freudienne. Les Grecs distinguaient le poème de la poésie laquelle désignait la fonction créatrice. De sorte, que même dans les expressions les plus plates, on trouvera, pour peu qu’on sache en traverser la trivialité, la poésie (poièsis) la plus élevée. C’est exactement ce qu’on appelle la transfiguration du banal. C’est que raconter son histoire c’est raconter autre chose que la platitude des faits objectifs. Il y a, dans ce que dit tout sujet, une voix secrète, « une voix qui quand elle sonne n’est plus la voix de personne » (Valéry) et qui raconte autre chose que ce qu’il exprime. C’est cette voix sans voix, et qui a donc toutes les voix, qui libère, guérit et transforme. Les mots n’ont pas vraiment de limites. Ils rapportent fatalement des histoires qui se déroulent dans une autre dimension, sur « une autre scène » (Freud), mythologique, fabuleuse, incroyable. La banalité est transfigurée et la vie ordinaire devient enfin supportable. C’est ce que savent et pratiquent depuis toujours les poètes, « les fils d’Apollon » comme on les appelait, les voyants, les créateurs, les artistes, les « voleurs de feu » jusqu’à Freud, lequel a dégagé le principe unique du génie, du génie propre de chacun : l’inconscient et son système de transformation. Un système de transformation est constitué d’éléments solidaires : les signifiants, sans signification, qui ne peuvent se définir que les uns par rapport aux autres, en fonction de leur place et de leur temps relatifs. Dans cette perspective quelle institution pourrait se dire arbitrairement propriétaire de l’inconscient et nous délivrer des licences ? C’est la parole qui parle. La parole est parlante. Elle ne se soucie pas d’elle-même. Elle n’a besoin ni ne raison, ni de pourquoi, ni de personne pour transformer toute chose en son contraire, et en bien autre chose.

Cependant, comme le montre le Dictionnaire de la Psychanalyse (Larousse), les psychanalystes postfreudiens, en Amérique comme en Europe, s’efforcèrent d’amoindrir l’inconscient en en faisant un concept parmi les autres : Autrement dit : La raison doit être souveraine. Tout le réel est rationnel. Point de salut sans la psychologie et la psychiatrie ! C’est Lacan qui va redonner à l’inconscient sa place de concept fondamental de la psychanalyse. Il développera son œuvre durant plusieurs décennies sans jamais dévier de ce principe et en le conduisant toujours plus loin. Mais le temps passe et la bêtise est répétition. Aujourd’hui, les postlacaniens s’efforcent, avec la même terreur arrogante que celle des postfreudiens, de glacer, de figer, d’arrêter l’inconscient. La grave dégradation théorique qui marque de nos jours l’ensemble du mouvement psychanalytique ne relève que de ce refoulement : refoulement de l’inconscient en faveur de la raison consciente. Les psychanalystes ne s’interrogent plus sur l’inconscient (à l’exception, bien sûr, de ceux qui sont présents ici). Chez les autres, l’inconscient est réduit à quelque chose, une matière, un espace, un théos, un lieu de brouillard mou, où ça parle certes, mais où ça parle pour se soumettre au conscient comme suprême instance : Savoir ce serait savoir qu’on sait. Donc l’invention de Freud n’aurait plus guère d’importance. Il n’y aurait rien de nouveau depuis Platon ! A serait toujours A et jamais non-A ! La psychanalyse serait un humanisme au service de la philosophie classique : D’abord le conscient après l’inconscient. Or justement c’est l’inverse. « L’objet de la psychanalyse n’est pas l’homme » (« Réponse à des étudiants en philosophie », Cahier pour l’analyse, 3 mai 1966) « L’objet de la psychanalyse est le manque d’un objet » (Ibid.) C’est-à-dire qu’ici il n’y a plus d’objet, comme on dit dans la physique moderne qu’il n’y a plus de chose. La conception inverse, héritée de la philosophie des lourdeurs, est basée sur le principe d’identité. C’est cette erreur, commune au matérialisme comme à l’idéalisme, qui voudrait réduire la topologie plastique du temps à laquelle nous conviait Lacan, à la topologie ontologique des neurosciences. C’est en quoi — réponse faite à l’interviewer-- « psychanalyse et psychothérapie s’opposent », même si toutes deux, comme il le dit sans voir la différence, « n’agissent que par des mots ». Le volcan de la découverte de l’inconscient ne saurait se figer en lave refroidie. Freud a toujours considéré la fixation de ses concepts comme une nécrologie. La psychanalyse ne se présente pas comme le prêt-à-dire d’un « prêt- à- penser ». La psychanalyse, nous dit Lacan, même si elle présente une face dogmatique est un refus de tout dogmatisme,

La pensée de Freud est la plus perpétuellement ouverte à la révision. C’est une erreur de la réduire à des mots usés. Chaque notion y possède sa vie propre. C’est ce qu’on appelle précisément la dialectique » (Séminaire I, p. 7).

La dialectique c’est, littéralement, dialectos, Δίαλεκτοσ, une manière de parler, de jouer avec la parole.



1. Qu’est-ce donc que l’inconscient ?

« L’inconscient c’est l’impossible » nous dit Lacan dans « Radiophonie », (texte élaboré pour la radio) et il définit encore l’inconscient par « l’inconscient c’est le réel » (Cahiers Cistre 1977). Donc, les termes Inconscient, Réel et Impossible sont synonymes. Qu’est-ce que l’impossible ? L’impossible est de l’ordre du langage. En effet, pour la pensée ce qui est impossible c’est le contradictoire, c’est ce qui ne se soumet pas aux principes de la logique formelle. Or l’inconscient peut dire et penser que A est non-A, ce qui est impossible pour le conscient. Pour les corps l’impossible c’est leurs limites. L’inconscient relève donc d’une autre logique, d’une logique élastique, plastique, d’une « logique étirable », dit Lacan (Ibid.) d’une logique des métamorphoses, des changements, des mutations, du Yijing en quelque sorte,Yijing « principe des mutations » nous disent les Chinois. La psychanalyse présente donc une sorte de science de l’impossible, « porte sans porte » de tous les possibles.

Unbewusst est le terme allemand pour désigner l’inconscient. Lacan le traduit phonétiquement par « Une bévue ». Une bévue c’est une double vue. L’ignorance est une double vue : 1) elle ignore 2) elle sait qu’elle ignore. Inversement l’ignare ignore qu’il ignore et le savant croit qu’il sait.


Nous avons vu la derrière fois les pages 15, 16 et 17 de Télévision. Nous y avons abordé, la question du « négatif », celle de « l’âme », du « sujet » et de « la réalité en tant que fantasme » à partir de ce mot central de la psychanalyse, ce « drôle de mot » : l’inconscient.


Revenons encore une fois sur la question de la négation :

La négation, qui caractérise le mot inconscient (in-conscient), ne se réduit pas aux sens ordinaires de négation, d’annulation, de privation, d’absence, de fausseté ou n’inexistence. Elle les survole mais ne s’y arrête pas. Elle désigne bien plutôt « le travail continu du négatif », plus décisif, en fait et en raison, que la supposée positivité du conscient. Il s’agit de la négation créatrice, qui, en toute rigueur, est d’abord négation d’elle-même, négation qui s’articule donc avec le réel. C’est la négation qui fait retour sur elle-même. Freud explique dans L’interprétation des rêves que « dans l’inconscient toute pensée est liée à son contraire » comme le serait la face et le dos d’une même feuille, ou encore une ligne qui se rejoint elle-même comme pour un cercle, un rond, un zéro. Dans les Cinq Psychanalyses Freud précise que « l’inconscient use de procédés pour dire « oui » mais il ignore le non ». Il n’y a donc pas, en toute rigueur, de négation dans le mot inconscient, de négation au sens ordinaire du terme. Car, la forme la plus haute de la négation est ici la négation d’elle-même. C’est le nihil negativum de Kant, le « rien de négatif » (Kant, « Les divisions du rien » p. 249 de La critique) c’est-à-dire le rien qui se nie lui-même ou le « rien et pas même rien » de Gorgias, dans son Traité du non-être. Ce non qui se nie lui-même est la condition de possibilité possibilisante de toutes choses. Ici la négation n’est pas relative et soumise à ce qu’elle nie, comme par exemple dans L’être et le néant de Sartre. La négation est ici antérieure à ce qu’elle nie. Pour entendre l’autre, le moi se nie lui-même. En tant que négation d’elle-même, cette négation est notamment rendue par le chinois wu, . Le concept de wu comme dans wu nian, « non penser » 無念, désigne un foisonnement de pensées dominé par un non, comme l’enseigne Heidegger. Il en va de même pour wu wei 無為, « non agir » wu xin 無心, « non sentir » et pour wu yishi, 無意識 : l’in-conscient. La négation qui se nie elle-même « laisse être » les choses, elle produit ainsi une infinité de pensées (wu nian 無念), de sentiments (wu xin 無心), d’actions (wu wei 無為), de consciences (wu yishi 無意識), mais sans jamais s’y assujettir. C’est le discours psychanalytique qui diffère de tous les autres discours en ce qu’il produit du S1.

L’S1, nous dit Lacan dans Encore (p. 130), l’S1, le signifiant maître, l’essaim, l’essaim signifiant, l’essaim bourdonnant… n’est pas un signifiant quelconque… J’ai amené pour l’illustrer ici un bout de ficelle en tant en tant qu’il fait ce rond : O.

Le mot “essaim” vient du latin « exigere » : « pousser hors, expulser ». C’est la négation qui s’absorbe elle-même. L’inconscient, dans cette perspective sémantique, c’est l’éveil. Les mots le disent. Eveil, du latin vigor » est la « force vitale ». Bouddha en sanscrit comme en pâli a pour racine « budh », “s’éveiller”. S’éveiller à quoi ? A la coupure créatrice qui a une fonction de nœud dans l’inconscient, c’est-à-dire de parole, et non pas au factieux « sentiment océanique » du « narcissisme illimité » de l’imaginaire enfantin ou encore de la complétude totalisante, ou de cette lumière du conscient prétendant « ne faire qu’un un avec le tout » et dénoncée par Freud comme une maladie dans Malaise dans la culture (Puf).



2. La question de l’âme, anemos, spiritus, psyché

Qu’est-ce que l’âme ? L’âme c’est du vent. La racine indo-européenne du mot âme est « ane », d’où le grec anemos, ἀνεμος, qui désigne le vent, comme dans anémographe. Le mot esprit vient de “soupirer” du latin spirare qui signifie souffler. Pris alors dans un sens immatériel : spiritus, le « souffle vital », désigne alors la conscience. La conscience n’est qu’un « grand vent ». Dans un autre sens, qui se distingue à la fois de anemos et de spiritus, le « souffle vital » se dit Psyché. Mais dans l’histoire du mot, psyché et esprit sont souvent confondus par les religieux et par les philosophes. D’où le célèbre : « mens sive anima » ou « anima mens sive », l’esprit soit l’âme, l’âme soit l’esprit. Il appartient à Freud d’avoir distingué avec l’inconscient, les trois sortes de « souffle vitaux ». Celui du corps, animus, celui de l’esprit, spiritus, et celui de l’inconscient, psyché. « L’inconscient est le psychisme proprement dit » (Abrégé de Psychanalyse, p. 9). Psyché, « le souffle vital » constitue alors un système dynamique et autonome différent du corps et de l’esprit et qui les précède.


Pour l’animisme tous les corps sont animés d’une âme c’est-à-dire d’une « force vitale » qui leur est propre. Pour les grandes religions l’esprit est confondu avec l’âme. Pour les philosophes l’âme est assimilée à l’esprit. Pour les matérialistes l’âme est une hypothèse inutile et illusoire, il n’y a que l’esprit. Enfin, Freud découvre ce que démontraient les hystériques, depuis les Pharaons : il y a une troisième dimension qui n’est ni celle du corps ni celle de l’esprit et qui leur est antérieure. L’homme ne pense pas avec son âme, c’est-à-dire avec son esprit, ou avec son corps, comme le soutenait Aristote mais, il pense par sa psyché, autrement dit son langage inconscient. Le langage inconscient découpe, comme le ferait une, lame, un bistouri ou une épée, les corps et les esprits sans tenir compte de la matérialité anatomique ou de la cohérence de la logique formelle. L’âme, psyché, est une voix qui n’est pas celle du larynx, ni celle de la conscience, c’est une lame. L’âme est une lame, sans apostrophe, un tranchant, « une cisaille » comme dit Lacan. En chinois on trouve justement dans les idéogrammes formant le mot inconscient 無意識, wu yishi, que le « signifié », le sens, est figuré par les idéogrammes « parole + celui du son + celui d’une hallebarde munie à son extrémité d'un crochet en forme de croissant, arme correspondant à la guisarme, lance médiévale munie d’un crochet destiné à couper les jambes des chevaux. Tout cela pour exprimer de façon imagée que la « connaissance » vient du tranchant de la voix, de la lame de la voix, voix, encore une fois, qui n’est ni celle du corps ni celle de l’esprit.



3. La question du sujet.

Il y a un autre sujet que le sujet conscient, ou que le sujet de la raison, ou que le sujet rationnel, c’est le sujet de l’inconscient. Ce sujet de l’inconscient n’est l’esclave ni de sa propre langue, ni de sa propre race, ni de sa religion, ni des fleuves, ni des vallées ni des montagnes, ni du nord ni du sud, ni des lettrés et des illettrés, ni d’aucune réflexion ou de nationalité. C’est le sujet qui engendre les autres sujets. Il y a donc trois sortes de sujets : le sujet du corps, le sujet de l’esprit, et le sujet de l’inconscient qui les précède. Avec le sujet de l’inconscient nous ne sommes plus dans le « je pense donc je suis » qui caractérise le conscient : Je suis quand je pense et que je réfléchis. Nous sommes dans l’inconscient où si « je pense je ne suis pas ». « Je suis là où je ne pense pas ». C’est une expérience facile à réaliser pour quiconque prête quelque peu attention à ce qu’il fait : Quand je pense, je ne suis pas : je rumine, je paranoïse, j’angoisse et je déprime. Et quand je ne pense pas, je vais bien, je suis ce que je ne sais pas. « Qui ai-je en face de moi, demande l’Empereur à Bodhidharma ». Réponse du fondateur du Chan : « Je ne sais pas » (Pi yen Lou, « Recueil de la Falaise verte », in Tchan, Hermès, p. 91).



4. Nous avons vu aussi que la linguistique, en tant que science, refoule le discours de l’inconscient, ce par quoi elle est insoutenable et doit être nommée « linguisterie » ou, selon le mot d’Olivier, un psychanalyste présent ici, et qui pratique de nombreuses langues, « lincuistrerie ». Ces lincuistres accusent et condamnent ceux qui préfèrent « l’étymojolie » à l’étymologie. Or le volcan poétique de l’étymojolie a précédé depuis le commencement sans commencement les laves refroidies de l’étymologie dont les cuistres font leurs choux gras, en oubliant nous ils viennent.



5. Nous avons vu que nous sommes des « êtres parlés » par les autres, des êtres « supposés parlant » avant d’être des « êtres parlants » c’est-à-dire des sujets sachant utiliser le langage de l’inconscient sans être manipulés arbitrairement par les mots totalitaristes du conscient.



6. Nous avons vu encore qu’une pratique, notamment celle de la psychanalyse, « qu’une pratique n’a pas besoin d’être éclairée pour opérer » Ce qui démontre que le « subitisme » du Chan et son art du gōng'àn, 公案 (koan) qui consiste à répondre n’importe quoi à n’importe quelle question, s’applique parfaitement à la psychanalyse. Pas d’analyse si vous n’analysez pas vous-même votre propre langage. Personne n’a pu, ne peut ni ne pourra le faire à votre place.



7. Nous avons vu enfin que le Réel c’est l’inconscient et que notre réalité c’est du fantasme. Tout ce que nous voyons, disons et comprenons n’est jamais que de l’imaginaire. Le stade du miroir est le leurre du moi, de la totalité et du narcissisme de mort. Pourquoi alors, si nous ne sommes pas la matérialité de notre image, nous compliquer si douloureusement l’existence à ne pas dire les choses ? « Tout est vide depuis le commencement où la poussière pourrait-elle tomber ? » nous rappelle Hui Neng.


Aujourd’hui nous abordons les pages 18 et 19 de « Télévision »


« Psychanalyse et psychothérapie agissent par des mots, en quoi s’opposent-elles ? »


L’interviewer :

L’analyse ne se distinguerait donc de la thérapie que « d’être éclairée ». Ce n’est pas ce que vous voulez dire.


Cette question semble ignorer ce que Lacan vient d’expliquer. Il y a bien les lumières de l’esprit, les lumières de la science, celles de la philosophie et celles des religions, lumières certes et qui sont alternativement plus méritantes les unes que les autres, mais, en psychanalyse ce sont les lumières de l’inconscient qui nous éclairent. Freud a mis en évidence le principe de l’inconscient et de son système en l’extrayant des « consciences malheureuses », à la manière, en quelque sorte, dont Lavoisier sut mettre en évidence le principe de la chimie en le dégageant des brouillards de l’alchimie. Plus encore, Freud ressemble davantage aux savants qui ont découvert l’infrarouge et l’ultra violet, qu’à ce qu’on appelle « la philosophie des lumières ». La lumière de l’inconscient éclipse toutes les autres car c’est une lumière qui ne se réduit pas au domaine visible des apparences, au conscient précisément, parce que c’est une lumière qui éclaire simultanément, pour ainsi dire, les domaines secrets de « l’infrarouge » et et de « l’ultraviolet ». L’antiquité grecque connaissait cette lumière. Par exemple Antiphon à Corinthe, 25OO ans av. JC, annonçait sur affiche qu’il guérissait « toutes les maladies par la parole et l’interprétation des rêves ». Si on lit Laozi, Zhuangzi, le Chan, et quelques autres classiques chinois, à partir de cet éclairage de l’inconscient, nous seront vite convaincus de l’importance, de l’utilité et de la pratique de la découverte Freudienne.


L’interviewer poursuit alors :

Permettez que je formule ainsi la question : « Psychanalyse et psychothérapie, toutes deux n’agissent que par des mots. Elles s’opposent cependant. En quoi ? »

Les mots du conscient relèvent de la logique formelle : principe d’identité, principe de non-contradictoire, principe de tiers exclu. D’où, soulignons-le au passage, l’interdit de l’inceste qui est une variation, une transposition du principe d’identité. A l’inverse, les mots de l’inconscient sont libres des contraintes de l’identité, du contradictoire et du tiers exclu. Comme dit Lao tseu « Le mot véritable est autre que qu’un mot normal ». La différence entre psychothérapie et psychanalyse c’est l’opposition entre le conscient qui croit aux faits, à la logique et à la réalité, qui n’est pourtant n’est qu’un fantasme éphémère, et l’inconscient, qui est le réel, sans rien de sacré, du langage.


Lacan explique (première phrase) :

Par le temps qui court, il n’est pas de psychothérapie dont on exige qu’elle soit « d’inspiration psychanalytique ». Je module les choses pour les guillemets qu’elle mérite. La distinction maintenue là, serait-elle seulement de qu’on n’y aille pas au tapis… au divan, veux-je dire ?

La psychanalyse, nous envoie au tapis, au divan, précise Lacan. On pourrait dire « au vent grandiose du dit ». Mais, « aller au tapis » est une expression des arts de combat qui signifie « se faire assommer » « se faire jeter à terre ». La psychanalyse nous fait donc faire, dès le départ, un « voyage au tapis ». C’est-à-dire qu’elle commence par un traumatisme, un choc qui change toute notre personnalité et à partir de quoi seulement nous pouvons sortir du labyrinthe de nos échecs et de notre souffrance intime. C’est l’analysant qui fait son analyse, à partir d’un choc personnel, et personne ne l’analyse comme on analyserait un objet. L’analyste, qui conduit la cure est semblable à Ariane qui procure à Thésée le fil invisible par lequel il pourra trouver la sortie du labyrinthe après avoir tuer le Minotaure de sa propre peur. Tous les analysants, d’une certaine manière, s’appellent donc Thésée (un des plus grands noms de la mythologie grecque, roi d’Athènes et de Colone où viendra mourir Œdipe). Hélas, aujourd’hui les analysants ont renoncé à la connaissance par les gouffres, ils ont renoncé à s’interroger sur eux-mêmes par peur de leurs propres abîmes inconscients. Ils préfèrent soutenir des thèses ennuyeuses, en vue de formalités de grade permettant de déployer plus d’astuce dans leurs rapports sociaux que dans leur pratique psychanalytique. Retenons, seulement, que tout analyste, qui écoute, comme il se doit, « au-delà du discours » (Lacan, Ecrits, p. 616) est semblable à Ariane, abandonnée par Thésée, oubliée, déconsidérée, telle un « déchet », dira Lacan. Ce n’est pas pour rien qu’un des plus beaux vers de la langue française dans le Phèdre de Racine nous dit : « Ariane, ma sœur, de quel amour blessée vous mourûtes aux bords où vous fûtes laissée ! » (Racine, Phèdre). Mais rappelons, pour ne pas décourager ceux qui voudraient devenir analystes, que la mythologie rapporte que Dionysos, justement, le dieu du bonheur, épousera Ariane et l’amènera, triomphante, dans l’Olympe.

« Par le temps qui court », poursuit Lacan, (et de nos jours il court toujours), il n’est pas de psychothérapie dont on exige qu’elle soit « d’inspiration psychanalytique ». Ces psychothérapies se disant « d’inspiration psychanalytique » sont des psychothérapies qui croient, dur comme fer, que l’essentiel de l’homme se réduit soit au corps, soit à l’esprit, tout en prétendant ne s’habiller, comme d’un manteau de chaman, que de ce qui ne relève ni du corps ni de l’esprit, mais seulement des étoiles de l’inconscient. L’ennui, c’est qu’un âne, déguisé sous une peau de lion, n’en est pas moins un âne. Nombre de débiles mentaux se cachent sous le fameux manteau dit « d’inspiration psychanalytique ».


Lacan poursuit :

Ça met le pied à l’étrier aux analystes en mal de passe dans les « sociétés », mêmes guillemets, qui, pour n’en rien vouloir savoir, je dis : de la passe, y suppléent par des formalités de grade. [Ils] y déploient plus d’astuce dans leur rapports que dans leur pratique.


Il n’y a d’autre « passe » que la passe de l’inconscient. Les sociétés dites de psychanalyse doivent être mises entre guillemets, guillemets exprimant la réserve, le doute, voire la méfiance, puisque des psychologies, plus souvent qu’à leur tour, se dissimulent sournoisement sous le terme de psychanalyse. Les naïfs qui veulent être « psychanalystes » et qui s’imaginent qu’un diplôme pourrait les faire passer à cet ordre prestigieux refoulent « l’Œdipe l’homme ». Ils n’en veulent rien savoir. « Le psychanalyste a horreur de son acte » (Lacan, Annuaire et textes statutaires, 1982 p. 84). « L’Œdipe l’homme » (et non pas le diplôme), sa sortie, autrement dit sa licence, est la seule garantie de l’authentique expérience de l’inconscient et de son système. Pour les autres, des promotions de grade, plus ou moins comiques, les empêchent d’aller à l’essentiel : « ne s’autoriser que de ça ». Faute de quoi, ils montrent plus d’habileté dans leurs rapports sociaux-économiques que pour la psychanalyse proprement dite.

C’est pourquoi, poursuit Lacan, c’est pourquoi je vais produire ce dont cette pratique prévaut dans la psychothérapie.


s/S — Lacan va donc reprendre le principe de la structure linguistique de Ferdinand de Saussure qui a produit le structuralisme que Lévis Strauss a appliqué à l’anthropologie et Michel Foucault à la philosophie (Les mots et les choses). Cette formule est la clé secrète, le sésame, de la psychanalyse lacanienne. Elle permet de voyager dans tous les savoirs sans en être asservis.

Dans la mesure où l’inconscient y est intéressé, explique Lacan il y a deux versants que livre la structure, soit le langage.


La structure c’est le langage. Pour Lacan, structure et langage de l’inconscient c’est pareil. Mais son génie va consister à mettre en fonction la barre qui sépare le versant du signe du versant du sens : S/s. On peut alors, par exemple, chose absolument étonnante, soutenir que l’inconscient de tous les individus se trouve structuré comme l’écriture chinoise puisque, entre autre, cette écriture n’est constituée que de « barres » que de traits qui n’ont de sens que les uns par rapport aux autres. Trait dont la poussée est dégagée du signe et du sens qu’elle engendre. Ce que Lacan enseigne ce n’est pas que le signe n’est pas le sens, après tout, tout le monde savait ça, même si le signe peut devenir le sens et inversement, le sens le signe. Ce que Lacan dévoile c’est que l’inconscient est une coupure créatrice entre le signe et le sens, coupure qui peut, de plus, couper aussi bien les signes que les sens. Le signifiant lacanien, « le signifiant psychanalytique », n’est pas le signifiant de la linguistique. Si le signifiant linguistique est un signe arbitraire qui signifie quelque chose pour quelqu’un. Le signifiant lacanien ne signifie rien. Il sépare et engendre les versants opposés du signe et du sens.

Laozi avait vu ça dans son poème XLII  :                                                                  

道生一,一生二、二生三,三生万物

dao sheng yi, yi sheng er, er sheng san, san sheng wan wu


Ce qui veut dire la parole crée le un (en chinois le un est un trait horizontal), le un produit le deux (les deux versants du signe et du sens), le deux produit le trois, c’est-à-dire le signifiant (la barre) + le signe + le sens. Et le trois produit toutes choses.

Ce qui signifie que Laozi dit à sa manière et bien avant Lacan, que l’affect, la vie et le vécu, parce qu’ils sont parlés, sont de la même espèce que la parole.


Le troisième vers du premier poème de Laozi dit aussi clairement l’importance du signifiant sans nom :

无名天地之始

Wu ming tian di zi shi

Le sans nom (représenté par le trait de séparation) produit le ciel (le signe) et la terre (le sens).

Le Chan, dans un célèbre gōng'àn, 公案, (koan en japonais) figure bien l’importance du trait de séparation : S/s. Ce gong’an raconte qu’une vache s’échappe de son étable en sautant par la fenêtre. La tête passe, le corps passe, mais… la queue de passe pas. Le Chan enseigne donc qu’on ne peut abolir le trait de l’inconscient.


Qu’est-ce qu’un signe ? C’est arbitraire, explique Saussure. Si le signe est arbitraire nous pouvons le confondre, en langage homophonique, avec le français cygne (symbole de pureté). Cela pourrait nous aider à mieux comprendre les nouages de la parole inconsciente. Dans la mythologie grecque le cygne est l'oiseau dédié à Apollon. A la naissance d’Apollon et d’Artémis sur l’île d’Ortygie (l’île aux cailles) des cygnes sacrés vinrent voler au-dessus de l’île en en faisant sept fois le tour (Dictionnaire de la mythologie Grimal).


Héraclite nous dit « L’oracle de Delphes ne dit ni ne cache mais fait signe » (Héraclite frag. 93).

Pour s’unir à Léda Zeus se métamorphosa en cygne. Zeus se fait versant du signe et Léda versant du sens. L’union produira une paire d’œufs, dans l’un, il y aura Hélène et Castor, dans l’autre Clytemnestre et Pollux.


La barre séparatrice est ce qui permet d’unir le signe et le sens et toutes leurs combinaisons. Nous sommes dans l’inconscient, l’inverse du conscient. Ici la séparation est avant l’union. Le divorce avant le mariage. S’il n’y avait pas eu de séparation entre les Montaigu et les Capulet il n’y aurait pas eu Roméo et Juliette. Les contraires ne peuvent se combiner qu’à partir de la barre, du trait, du signifiant qui les sépare. D’où toutes les histoires d’amour dont les littératures s’abreuvent. Des Princes amoureux de bergères ou des princesses amoureuses de bergers etc… Des blanches avec des noirs et des noires avec des blancs. Des jeunes avec des vielles et des vieux avec des jeunes. Espérons seulement qu’ils savent compter jusqu’à trois. Souvenons-nous du fameux « Booz endormi » de Victor Hugo, dont l’accouplement — Booz a quatre vingt ans — avec une jeune moabite (ça ne s’invente pas des mots pareils, moabite : habitée par des mots, ou autrement) et dont l’union donnera la lignée suprême de David à Jésus. En bref, comme dit Lacan : dans l’inconscient « la castration a une fonction de nœud » (Ecrits, p. 685). De nœud érotiques. « Eros, nous dit Hésiode, est le plus beau des dieux immortels. C’est lui qui rompt les membres (division) et qui dans la poitrine de tout dieux comme de tout homme apaise le cœur et le sage vouloir (combinaison) »

En chinois on dit Yin et Yang, d’abord yin, la séparation, et après yang, la combinaison. , yin c’est l’oreille de l’obscur et yang l’oreille de la clarté, . Ce qui définit le mode d’écoute du psychanalyste.


Le versant du sens, poursuit Lacan, celui dont on croirait que c’est celui de l’analyse, nous déverse du sens à flot pour le bateau sexuel.

Le sens de la vie n’est-il pas la jouissance ? La jouissance, sous une forme ou une autre, est la pulsion de vie qui n’a d’autre but qu’elle-même, mettant à son service tous les « signes » de la pulsion de mort. (Gardons toujours en vue la formule S/s) Les signes (S) nous déversent sans cesse des flots de sens (s) pour le transport sexuel, ou, comme dit Lacan pour « le bateau sexuel ». Ce n’est pourtant pas ce à quoi se réduit la psychanalyse, à donner du sens. L’analyse souligne au contraire la fonction du trait qui sépare le signe du sens, la fonction du signifiant psychanalytique qui ne signifie rien, mais à partir de quoi on peut se libérer des signes et du sens qui ne conviennent pas. « Le signifiant, c’est la cause de la jouissance… » explique Lacan dans le séminaire Encore (p. 27) « En ceci qu’il en est le terme, le signifiant c’est ce qui fait halte à la jouissance » (p. 27).


Il est frappant que ce sens se réduise au non-sens : au non sens du rapport sexuel, lequel est patent depuis toujours dans les dits de l’amour.

Qu’est-ce que le sens ? Le sens, pour la conscience, c’est ce que veut dire ou ce que communique un mot, une phrase, ou tout autre signe jouant un rôle semblable. Pour le conscient les choses ont une utilité, un but, une fonction, les minéraux, les végétaux, les animaux les hommes se définissent par leurs fonction, leur utilité, leur usage. Tout paraît parfaitement fonctionnel. Mais si l’on s’interroge sur le sens du sens, le pourquoi de tout cela, on aboutit au non sens. Quel est le sens des choses ? Quel est le sens de la vie ? Le sens de la vie c’est la mort. Tout passe. Tout vieillit, tout meurt, tout s’oublie. Toujours beaucoup de bruit pour rien. « La vie est une affaire qui ne couvre pas ses frais » (Schopenhauer). « Ne serait-ce pas plus raisonnable de se suicider tout de suite ? » (Hégésias) etc..

Dans le conscient il y a des rapports sexuels. Nous venons tous d’un rapport sexuel. C’est-à-dire qu’il a bien fallu que notre père demande à notre mère si elle voulait bien se marier avec lui, d’une façon ou d’une autre. Mais, comme dit la chanson d’Anaïs : « On jure de s’aimer toujours et ça ne marche pas ! » Qu’il n’y ait pas de rapport sexuel ne veut pas dire que l’union dont rêves les amants ne se réalise pas, comme le rapportent les histoires d’amour depuis la nuit des temps. C’est dans le ça, dans l’inconscient qu’il n’y a pas de rapport-sexuels. Pourquoi ? Parce qu’il y a là une infinité de rapports sexuels qui ne sont réductibles à aucun modèle. Sophocle dans le préambule d’Antigone fait dire à Œdipe : « Il y a beaucoup de choses étranges sur la terre mais la plus étrange c’est l’homme : Ayant tous les chemins, il est sans chemin ». Autrement dit sans rapport sexuel, puisqu’il a à sa disposition tous les rapports sexuels qu’il voudra, même si cela l’effraie. Il n’y a pas de rapport sexuel qui serait le rapport modèle, celui qu’on devrait avoir et auquel nous pourrions nous adonner dans l’approbation générale.


Si la réalité dans laquelle nous vivons est un fantasme, comme nous l’avons vu la dernière fois, l’amour est un mensonge. « L’amour, explique Lacan, c’est donner ce qu’on n’a pas, (c’est-à-dire mentir), à quelqu’un qui n’en veut pas. Car personne ne se sent aimé comme il le voudrait et personne ne souhaite être mystifié. C’est une exigence obstinée de vérité qui nous fait refuser le fantasme et qui nous conduit à la solitude et à l’échec amoureux.

Dans le mythe de Psyché, Eros lui-même ment. Lui, « le plus beau des dieux immortels », se fait passer pour un horrible monstre afin d’atteindre ses fins.


Encore y a-t-il du sens qui se fait prendre pour le bon sens, qui, par dessus le marché, se tient pour le sens commun.

Non seulement il y a du sens, du sens partout, mais il y a du sens qui se prétend être le bon sens ou le sens commun pour tous, le modèle parfait, le prêt à penser sexuel universel pour la reproduction comme pour le plaisir.


C’est le sommet du comique, à ceci près que le comique ne va pas sans le savoir du non-rapport sexuel qui est dans le coup, le coup du sexe. D’où notre dignité prend son relais, voire sa relève.

Le sommet du comique consisterait à croire que le sexuel a un autre but que lui-même, à savoir la reproduction. Ce qui est comique c’est de le réduire à cette intention. Le comique c’est l’intentionnalité. La jouissance est sans but. C’est de la division, c’est de la fente du trait entre le signe et le sens que la psychanalyse trouve sa fonction de non rapport sexuel, condition de possibilité de tous les rapports sexuels, c’est-à-dire, comme dit Lacan : « sa dignité et sa relève ». Le non-rapport sexuel est un trait qui sépare le signe du sens et permet ainsi leurs combinaisons et leurs mutations infinies.


Le bon sens représente la suggestion, la comédie le rire, dit Lacan. Est-ce à dire qu’ils suffisent outre qu’ils soient peu compatibles ?

Le bon sens n’est pas compatible avec la comédie et le rire. Le bon sens suggère qu’il y aurait un sens au rire, c’est-à-dire qu’on devrait rire de ceci et non de cela, avec ceux-ci et non avec ceux-là. Le rire de l’univers, le rire de l’inconscient se rit de tout et du reste. Pour lui il n’y a rien de sacré.


C’est là que la psychothérapie, quelle qu’elle soit, tourne court, non qu’elle n’exerce quelque bien, mais qui ramène au pire.

La psychothérapie, qui ne relève forcément que du conscient, tourne court quelque soit le bien qu’elle peut exercer. Elle ramène au pire, en ce sens qu’elle fait croire qu’il y a du sens commun. « La psychanalyse pure n’est pas une technique thérapeutique », nous précise Lacan (Lacan, « Annuaire et textes statutaires », 1982, rédigé en 1964, p. 71-78).


D’où l’inconscient, soit l’insistance, dont se manifeste le désir, ou encore la répétition de ce qui s’y demande, -- n’est-ce pas là ce qu’en dit Freud au moment même qu’il le découvre ? D’où l’inconscient, si la structure qui se reconnaît de faire le langage dans lalangue, comme je dis, le commande bien, nous rappelle qu’au versant du sens, qui dans la parole nous fascine -- moyennant quoi à cette parole l’être fait écran, cet être dont Parménide imagine la pensée – nous rappelle qu’au versant du sens, je conclus, l’étude du langage oppose le versant du signe.

La répétition est ce par quoi le désir inconscient s’exprime, demande, jusqu’à ce qu’il soit reconnu. Le langage de l’inconscient avec sa barre séparatrice coupe lalangue, en un seul mot, c’est-à-dire qui désigne, comme on l’a vu, les langues qui refoulent l’inconscient. Donc, encore une fois, il y a une coupure fondamentale entre le signe et le sens. C’est l’inconscient. C’est Parménide (535 av. JC) qui inaugure la pensée philosophique avec sa conception de l’être : « l’être est, le non-être n’est pas. Il faut dire et penser que l’être est. Il n’y a rien à attendre du non-être. » « L’être » de Parménide est telle une sphère immobile et sans fissure. C’est le modèle de l’atome, c’est-à-dire de l’indivisible et de la substance. Or, l’œuvre linguistique de Saussure qui va produire le structuralisme avec sa formule s/S est, remarquons le, contemporaine de la désatomisation, de la désubstantialisation de l’univers physique par la physique moderne. L’atome est désormais physiquement divisible. Il n’y a plus de substance. « Il n’y a plus de chose », selon la formule du philosophe des sciences Gaston Bachelard. Le signe et le sens sont divisibles. Ferdinand de Saussure est né en Suisse, le 26 novembre 1857. C’est donc aujourd’hui son anniversaire. On pourra faire ensemble, tout à l’heure une minute de silence en son honneur si vous le demandez. Saussure est mort à 56 ans en 1913, l’année où Freud, publie Totem et tabou qui soutient l'universalité des concepts psychanalytiques, et la pertinence de leur application aux cultures différentes de la nôtre comme l’anthropologue Lévis Strauss en démontrera la justesse avec le structuralisme S/s.


Comment, même le symptôme, ce qu’on appelle tel dans l’analyse, n’a-t-il pas tracé la voie ? Cela jusqu’à Freud qu’il a fallu pour que, docile à l’hystérique, il en vienne à lire les rêves, les lapsus, voire les mots d’esprit, comme on déchiffre un message chiffré.

Non seulement les rêves, les lapsus les actes manqués, tout ce qui est involontaire, est l’inconscient qui parle, mais le sont aussi les symptômes physiques ou mentaux qu’il convient de faire parler autrement qu’avec des signes arbitraires et des sens convenus. Comme dit Lacan « le symptôme est langage dont la parole doit être délivrée » (E, p. 269), puisque « ça parle, là où ça souffre » (Ecrits, p. 413).


En conclusion : Toute conscience est conscience de quelque chose mais l’inconscient est sans conscience de quoi que ce soit. C’est la poussée du vide sans nom, sans identité, sans appartenance, qui nomme la conscience des signes et la conscience des sens : S/s. Il les fait apparaître et disparaître. Les consciences disparaissent en faveur de l’inconscient qui les précède. L’inconscient parle avant, pendant et après la conscience. Le latin vocare qui signifie nommer est homophone de vocare qui signifie être vide.



Prochaine séance, au même endroit, le jeudi 17 décembre 2009, à 20 heures. On abordera avec le fameux S/s saussurien la topologie lacanienne qui en est issue, et le fameux nœud borroméen qui en est le résumé clinique.


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Lecture de Télévision de Jacques Lacan

entrecroisée avec la « pensée chinoise »


Guy Massat

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