Un discours qui ne serait pas du semblant

20 janvier 1971                                                                                                                  à voir par ici


   

Quelqu'un par exemple dont il faudrait un jour que quelqu'un se charge, c'est Balthazar Gracian qui était un jésuite éminent, et qui a écrit de ces choses parmi les plus intelligentes qu'on puisse écrire. Leur intelligence est absolument prodigieuse en ceci que tout ce dont il s'agit, à savoir établir ce qu'on peut appeler la sainteté de l'homme, en un mot résume-t-il, résume-t-il quoi ? son livre sur l'homme de cour, en un mot, deux points : être un saint.

C'est le seul point de la civilisation occidentale où le mot saint aurait le même sens qu'en chinois : shénshèng 神聖 [神圣]. Notez ce point, cette référence, parce que tout de même il est tard aujourd'hui et ce n'est pas aujourd'hui que je l'introduirai. Je vous ferais cette année quelques petites références aux origines de la pensée chinoise. Quoi qu'il en soit, oui, je me suis aperçu d'une chose, c'est peut-être que je ne suis lacanien que parce que j'ai fait du chinois autrefois, je veux dire par là que je m'aperçois à relire des trucs comme cela que j'avais parcourus, mais ânonné comme nigaud, je me suis aperçu à les relire maintenant que c'est de plain-pied avec ce que je raconte

Lacan


Lorsque Lacan fait le joint entre Balthazar Gracian et le monde chinois avec ce qui s’y dit de l’acception du mot « saint », il me semble que c’est assez simplement de shèngrén 聖人 [圣人] qu’il s'agit. En fait shénshèng 神聖, qui est un adjectif et signifie aussi bien le sacré, me paraît induit par la transcription phonétique que porte une des versions courantes (tchen tchen) et ne colle pas avec le propos de Lacan. Bien qu’il ait pu dire, en effet, « …deux points,  être saint » plutôt qu’ « être un saint », il s’agit bien de sainteté et non de sacralité voire de divinité, ce qui est le cas avec .




  

[…] dans Mencius, [ce sont… ?] des livres fondamentaux, canoniques, de la pensée chinoise, il y a un type qui est son disciple d'ailleurs, qui n'est pas lui - mais qui commence d'énoncer des choses comme ceci : « Ce que vous ne trouvez pas du côté du yán (c'est-à-dire du discours) ne le cherchez pas du côté de votre esprit »- cela, je vous traduis esprit, c'est xīn mais ça veut dire qu'il désignait par xīn qui veut dire le cœur, ce qu'il désignait, c'était bel et bien l'esprit, le Geist de Hegel.


On trouve, concernant l’auteur de la sentence

« ce que vous ne trouvez pas au niveau du discours () ne le cherchez pas […] »

une remarque qui en fait un disciple de Mengzi. Or ce n’est pas exact. Il s’agit de Kao Tseu (Gaozi), philosophe du nom de Buhai, à la doctrine duquel Mengzi s’oppose en contradicteur. D’ailleurs le nom de 告子 (Gaozi) fait le titre du Livre VI, dont le début est fait de citations de ce philosophe et de leur réfutation point par point par Mengzi.

Ici au Livre II, cette sentence de Gaozi est reprise par Mengzi en réponse à une question d’un disciple du nom de Gongsunchou, 公孫丑   ( 公孙丑) dans un débat sur la force d’âme.

Si bien que, dans la suite du texte, le « se contredit » attribué à Mengzi pourrait avantageusement être remplacé par un « le contredit ».


Pour être précis, il existe bien un disciple de Mengzi du nom de Gaozi, mais cela s’écrit différemment, 高子, et la coïncidence n’est là qu’un fait d’homophonie.


Voici l’extrait du chapitre I,2 au Livre II du Mengzi, dans « Les Quatre Livres » du RP S.Couvreur à la page 362 :


    告子曰                 Gaozi yue               

                                                  Gaozi dit


    不得於言勿求於心    bù dé yū yán wù qiú yū xīn   

                                                 pas • obtenir • dans • parole • en vain • chercher • dans • esprit


    不得於心勿求於氣    bù dé yū xīn wù qiú yū qì

                                                 pas • obtenir • dans • cœur • en vain • chercher • dans •

                                                                                                                            (perception sensible)


Ce que riposte Mengzi à cette déclaration c’est que s’il considère la deuxième proposition comme valable ( ); ce n‘est pas le cas de la première (不可 bùkě).


Pour résumer son argumentation disons qu’une longue pratique des vertus par le xīn  (une certaine ascèse subjective) permet une domination du qì  qui diffuse alors d’une manière telle qu’il sache percevoir dans les failles du discours ce qui trouble l’interlocuteur et alors le lui restituer. Pourrait-on parler d’attention flottante ? En tout cas ce qui permet de rendre à chacun son dû est la vertu yì , qu’on traduit par la « justice, l’équité » mais aussi « justesse », à quoi Gaozi ne serait donc point parvenu.


Qì  est un terme essentiel dans toute la tradition chinoise, il supporte de nombreuses traductions. C’est un principe énergétique. La notion de souffle qui lui est attachée peut porter vers l’acception d’énergie psychique.



 

À propos de ce qu’il y a de chinois

dans les séminaires de Lacan

Guy Sizaret


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Sur cette question vous trouverez mes avancées dans la conférence Lacan, le chinois, le profit

G.F.

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