孟        故    則    天

         子        者    故    下

                 以    而    之

                             利    已    言

                             為    矣    性

                             本           也


Meng-Tseu  Mèng Zǐ 孟子


Ça, c'est le nom de l'auteur de cette menue formule !


Cette menue formule et ce malgré qu’elle ait été écrite vers 250 ans avant J.-C., en Chine comme vous le voyez, au chapitre… le livre IV, 2e partie, quelquefois c’est paraphé autrement, alors dans ce cas-là, ce sera la partie VIII, au livre IV, 2e partie, paragraphe 26, de MengZi que les Jésuites appellent Mencius, puisque ce sont eux qui ont fait, bien avant l'époque où il y a eu des sinologues, c’est-à-dire le début du XIXe siècle, pas avant, que j'ai eu le bonheur d'acquérir le premier livre sur lequel se soit trouvée conjointe une carte d'impression chinoise, ce n'est pas tout à fait la même chose que le premier livre où il y ait eu à la fois des caractères chinois et des caractères européens, le premier livre où il y a eu de l’impression chinoise avec des choses écrites et imprimées de notre cru.

C'est une traduction des Fables d'Esope, ça s’est passé en 1840 et ça se targue, à juste titre, d'être le premier livre où se soit réalisée cette conjonction.

1840, dites-vous que c'est à peu près justement la date du moment où il y a eu des sinologues. Les Jésuites étaient depuis bien longtemps en Chine, comme peut-être certains s'en souviennent. Ils ont failli faire la conjonction de la Chine avec ce qu'ils représentaient au titre de missionnaires. Seulement ils se sont laissés un peu impressionner par les rites chinois, et comme vous le savez peut-être, en plein XVIIIe siècle, cela leur a fait quelques ennuis avec Rome qui n'a pas montré en l'occasion une particulière acuité politique… ça lui arrive, à Rome !

Enfin dans Voltaire, si vous lisez Voltaire, mais bien sûr plus personne ne lit plus Voltaire, vous avez bien tort, c'est tout plein de choses, dans Voltaire, il y a très exactement le siècle de Louis XIV, et en appendice, je crois, sous un libelle particulier, il y a un grand développement sur cette querelle des rites, d'où beaucoup de choses dans l'histoire se trouvent maintenant en position de filiation.

Quoi qu'il en soit donc, c'est de Mencius qu'il s'agit et Mencius écrit ceci, puisque je l'ai écrit au tableau pour commencer, cela ne fait pas à proprement parler partie de mon discours d'aujourd'hui, c'est pour cela que je le case avant l'heure pile, midi et demi, je vais vous dire ou je vais essayer de vous faire sentir ce que ça veut dire et puis ça vous mettra dans le bain, concernant ce qui est l'objet à proprement parler de ce que je veux énoncer aujourd'hui, c'est à savoir, dans ce qui nous préoccupe, quelle est la fonction de l'écriture ?


Comme l'écriture, ça existe en Chine depuis un temps immémorial, je veux dire bien avant que nous en ayons à proprement parler l’usage, l’écriture existait déjà depuis extrêmement longtemps, on ne peut pas évaluer depuis combien de temps elle existait…

Cette écriture a en Chine un rôle tout à fait pivot dans un certain nombre de choses qui se sont passées, et c'est assez éclairant sur ce que nous pouvons penser de la fonction de l'écriture.

Il est certain que l'écriture a joué un rôle tout à fait décisif dans le support de quelque chose, de quelque chose auquel nous avons cet accès-là et rien d'autre, à savoir un type de structure sociale qui s'est soutenu très longtemps et d'où jusqu'à une époque récente on pouvait conclure qu'il y avait une tout autre filiation, quant à ce qu'il supportait en Chine, que ce qui s'était engendré chez nous, et nommément par un de ces films qui se trouve nous intéresser particulièrement, à savoir le phylum philosophique en tant que, je l'ai pointé l’année dernière, il est nodal pour comprendre ce dont il s'agit quant au discours du Maître.



Alors voilà comment s'énonce cet exergue.


Comme je vous l’ai déjà montré au tableau la dernière fois, ceci désigne le ciel, ça se lit : tiān  tiānxià 天下 c'est : sous le ciel.

« Tout ce qui est sous le ciel », ici c'est un déterminatif, zhī , il s'agit de quelque chose qui est dessous le ciel. Qu’est-ce qui est dessous le ciel ? C'est ce qui vient après. Ce que vous voyez là n'est autre chose que la désignation de la parole : que dans l'occasion, nous énoncerons yán .


Yán xìng 言性 je l'ai déjà mis au tableau la dernière fois, en vous signalant que le xìng , c'était justement un des éléments qui nous préoccuperont cette année pour autant que le terme qui en approche le plus, c'est celui de la nature. Et est quelque chose qui conclut une phrase, sans dire à proprement parler s'il s'agit de quelque chose de l’ordre de ce que nous énonçons « est », « être », c'est une conclusion, ou disons une ponctuation. Car la phrase continue ici puisque les choses s'écrivent de droite à gauche, la phrase continue ici par un certain [] qui veut dire « par conséquent » et qui en tout cas indique le conséquent.


            zé gu’er yiyi 則故而已矣




Alors voyons donc ce dont il s'agit.


Yán ne veut rien dire d'autre que « le langage ». Mais comme tous les termes énoncés dans la langue chinoise, c'est susceptible aussi d'être employé au sens d‘un verbe. Donc ça peut vouloir dire à la fois la parole et ce qui parle, et qui parle quoi ? Ce serait, dans ce cas, ce qui suit, à savoir xìng , « la nature », « ce qui parle de la nature sous le ciel », et serait une ponctuation.


Néanmoins, et c'est en cela qu'il est intéressant de s'occuper d'une phrase de la langue écrite, vous verriez que vous pourriez couper les choses autrement et dire : la parole, voire le langage, car s'il s'agissait de préciser la parole, nous aurions un autre caractère légèrement différent, à ce niveau tel que donc qu'il est écrit, ce caractère peut aussi bien vouloir dire parole que langage.

Ces sortes d’ambiguïté sont tout à fait fondamentales dans l'usage de ce qui s'écrit très précisément et c'est ce qui en fait la portée puisque, comme je vous l'ai fait remarquer au départ de mon discours de cette année et plus spécialement la dernière fois, c’est très précisément en tant que la référence quant à tout ce qui est du langage est toujours indirecte que le langage prend sa portée.


Nous pourrions donc dire aussi : le langage, en tant qu’il est dans le monde, qu’il est sous le ciel, le langage, voilà ce qui fait xìng , « la nature », car cette nature n'est pas, au moins dans Meng-Tseu n'importe quelle nature, il s'agit justement de la nature de l'être parlant, celle dont, dans un autre passage, il tient à préciser qu'il y a une différence, entre cette nature et la nature de l’animal, une différence, ajoute-t-il, pointe-t-il, en deux termes qui veulent bien dire ce qu'il veut dire, une différence infinie et qui peut-être est celle qui est définie là.

Vous le verrez d'ailleurs, que nous prenions l'une ou l'autre de ces interprétations, l'axe qui va se dire comme conséquent n'en sera pas changé. [], donc, c'est « en conséquence ».

En conséquence… en conséquence c'est ici , c'est « cause », car cause ne veut pas dire autre chose, quelle que ce soit l’ambiguïté qu'un certain livre, un certain livre qui est celui-ci : Mencius on the mind, à savoir un livre commis par un nommé Richards qui n'était certainement pas le dernier venu, sont les deux chefs de file d'une position née en Angleterre et tout à fait conforme à la meilleure tradition de la philosophie anglaise, qui ont constitué au début de ce siècle la doctrine appelée logico-positivisme dont le livre majeur s'intitule The meaning of meaning. C'est un livre auquel vous trouverez déjà allusion dans mes Écrits, avec une certaine position dépréciative de ma part.

Meaning of meaning veut dire le sens du sens. Le logico-positivisme procède de cette exigence qu'un texte ait un sens saisissable, ce qui l'amène à une position qui est celle-ci qu'un certain nombre d'énoncés philosophiques se trouvent en quelque sorte dévalorisés au principe, du fait qu'ils ne donnent aucun résultat saisissable quant à la recherche du sens.

En d'autres termes, pour peu qu'un texte philosophique soit pris en flagrant délit de non-sens, il est mis pour cela même hors de jeu. Il n'est que trop clair que c'est là une façon d'élaguer les choses, ce qui ne permet guère de s'y retrouver, car si nous partons du principe que quelque chose qui n'a pas de sens ne peut pas être essentiel dans le développement d'un discours, nous perdons le fil tout simplement. Je ne dis pas bien sûr qu’une telle exigence soit de procédé. Mais que ce procédé nous interdise en quelque sorte toute articulation dont le sens n'est pas saisissable, c'est quelque chose qui par exemple n’aboutira que… à ceci par exemple que nous ne pourrons plus faire usage du discours mathématique dont, de l'aveu des logiciens les plus qualifiés, ce qui les caractérise, c'est qu'il se peut que dans tel ou tel de ces points nous ne puissions plus lui donner aucun sens, ce qui ne l'empêche pas précisément d'être, de tous les discours, celui qui se développe avec le plus de rigueur. Nous nous trouvons d'ailleurs de ce fait en un point qui est tout à fait essentiel à mettre en relief concernant la fonction de l'écrit.


Donc c'est de qu'il s'agit, c'est de qu'il s'agit et en tant que yǐwéi 以為 [以为]. Car je vous ai déjà dit que ce wei [] peut dans certains cas vouloir dire « agir » ou voire même quelque chose qui est de l'ordre de « faire », encore que cela ne soit pas n'importe lequel. Yǐ ici a le sens de quelque chose comme « avec », et ce « avec » que nous allons procéder, comme quoi ?


Comme : c'est ici le mot sur lequel je vous pointe ceci que , je répète, que ce qui veut dire « bien, intérêt, profit ». Et la chose est d'autant plus remarquable que précisément Mencius, dans son premier chapitre, se présentant à un certain prince, peu importe duquel de ceux qui constituaient alors les royaumes dits par la suite être les royaumes combattants, se trouve auprès de ce prince qui lui demande des conseils, auprès de ce prince marquer que s’il n’est pas là, c’est pour lui enseigner ce qui fait notre loi présente à tous, à savoir ce qui convient pour l'accroissement de la richesse du royaume et nommément pour ce que nous appellerions la plus-value.

S'il y a un sens comme ça qu'on peut donner rétroactivement à , c'est bien de cela qu'il s'agit. Or c'est bien là qu'il est remarquable de voir que ce que marque en l'occasion Mencius, c'est qu’à partir donc de cette parole qui est la nature, ou si vous voulez de la parole qui concerne la nature, ce dont il va s'agir, c'est d'arriver à la cause, en tant que la dite cause, c'est .


zé gù’ ér yiyi 則故而已矣 ce qui veut dire :

    - gù’ ér 故而 est quelque chose

        qui veut à la fois dire « comme et » et « comme mais »

    - éryǐ yǐ 而已矣: « c'est seulement ça ».

    - Et pour qu'on n'en doute pas, le  qui termine, qui est un conclusif, ce a le même accent que « seulement », « c'est et ça suffit »


C'est là que je me permets en somme de reconnaître que pour ce qui est des effets du discours pour tout ce qui est dessous le ciel, ce qui en ressort n'est autre que la fonction de cause en tant qu'elle est le plus-de-jouir.


Vous verrez, à vous référer à ce texte de MengZi, vous avez deux façons de le faire : vous le procurer d'une part dans l'édition en somme très bonne qui en a été donnée par un jésuite de la fin du XIXe siècle, nommé Wieger dans une édition des quatre livres fondamentaux du confucianisme. Vous avez une autre façon, c'est de vous emparer de ce Mencius on the mind qui est paru chez Kegan Paul à Londres, je ne sais pas s'il en existe actuellement beaucoup d'exemplaires encore available comme on dit, mais après tout ça vaut la peine, pourquoi pas ! d'en faire faire pour ceux qui seraient curieux de se reporter à quelque chose d'aussi fondamental pour un certain éclairage d'une réflexion sur le langage qui est le travail d'un néo-positiviste et qui n'est certainement pas négligeable, le Mencius on the mind donc de qui est paru à Londres, chez Kegan Paul.



Tous ceux qui voudront donc se donner la peine de voir s'ils ne peuvent pas se procurer le volume, ou une photocopie, peut-être n’en comprendront que mieux un certain nombre de références que j'y prendrai cette année, car j'y reviendrai.


Autre chose, donc, est de parler de l'origine du langage, et autre chose de sa liaison à ce que j'enseigne, à ce que j'enseigne conformément à ce que j'articule, j'ai l'année dernière articulé comme le discours de l'analyste. Car vous ne l’ignorez pas, la linguistique a commencé avec Humboldt par cette sorte d'interdit, de ne pas se poser la question de l'origine du langage, faute de quoi bien sûr on s'égare.


Ce n'est pas rien que quelqu'un se soit avisé en pleine période de mythification génétique - c'était le style au début du siècle XIX - ait posé que rien à jamais ne serait situé, fondé, articulé, concernant le langage si on ne commençait pas d'abord par interdire les questions de l'origine, c'est un exemple qui aurait bien dû être suivi ailleurs. Ca nous aurait évité bien des élucubrations du type de celles qu'on peut appeler primitivistes. Il n'y a rien de tel que la référence au primitif pour primitiver la pensée, puisque c'est elle qui régresse régulièrement à la mesure-même de ce qu'elle prétend découvrir comme primitif.


Le discours de l'analyste, il faut bien que je vous le dise, puisqu'en somme vous ne l'avez pas entendu, le discours de l'analyste n'est rien d'autre que la logique de l'action.

Vous ne l'avez pas entendu, pourquoi ? Parce que dans ce que j'ai articulé l'année dernière avec des petites lettres au tableau sous cette forme de petit a sur S2 et de ce qui se passe au niveau de l'analysant, à savoir la fonction du sujet en tant que barré et en tant que ce qu'il produit ce sont des signifiants, et pas n'importe lesquels : des signifiants maîtres, c'est parce que c'était écrit, et écrit comme ça, car je l'ai écrit à maintes reprises, c'est pour cela même que vous ne l'avez pas entendu.

C'est en cela que l'écrit se différencie de la parole et il faut y remettre de la parole, et l'en beurrer sérieusement, mais naturellement non pas sans inconvénients de principe, pour qu'il soit entendu. On peut écrire donc des tas de choses sans que ça ne parvienne à aucune oreille, c'est pourtant écrit. C'est même pour cela que mes Écrits, je les ai appelés comme ça, ça a scandalisé du monde sensible, et pas n'importe qui ! Il est très curieux que la personne que cela a littéralement convulsé soit une Japonaise. Je commenterai cela plus tard.

Naturellement ici ça n'a convulsé personne : la japonaise dont je parle n'est pas là. Mais n'importe qui, qui est de cette tradition, saurait, je pense, à l'occasion comprendre pourquoi cette espèce d'effet d'insurrection s'est produit.


C'est de la parole bien sûr que se fraye la voie vers l'écrit.

Mes Écrits, si je les ai intitulés comme ça, c'est qu'ils représentent une tentative : une tentative d'écriture, comme c'est suffisamment marqué dans ceci que cela aboutit à des graphes. L'ennui, c'est que les gens qui prétendent me commenter partent tout de suite des graphes. Ils ont tort.


Les graphes ne sont compréhensibles qu'en fonction, je dirai, du moindre effet de style des dits Écrits qui en sont en quelque sorte les marches d'accès, moyennant quoi l'écrit, l'écrit repris à soi tout seul, qu'il s'agisse de tel ou tel schéma, celui qu'on appelle L ou n'importe quoi, ou du grand graphe lui-même, présente l'occasion de toutes sortes de malentendus. C'est d'une parole qu'il s'agit, en tant que bien sûr et pour quoi ? Qu'elle tend à frayer la voie à ces graphes, qu'il s'agit, mais il convient de ne pas oublier cette parole pour la raison qu'elle est elle-même ce qui se réfléchit de la règle analytique qui est comme vous le savez parler, parler, parier…, il suffit que vous vous paroliez, n'est-ce pas, voilà la boîte d'où sortent tous les dons du langage, une boîte de Pandore.


Quel rapport donc avec ces graphes ?

Ces graphes bien sûr, personne n'a encore osé aller jusque-là, ces graphes ne vous indiquent en rien quoi que ce soit qui permette de faire retour à l'origine du langage. S'il y a une chose qui y paraît, et tout de suite, c'est que non seulement ils ne la livrent pas, mais qu'ils ne la promettent pas non plus.


Ce dont il va s'agir aujourd'hui est de la situation par rapport à la vérité qui résulte de ce qu'on appelle la libre association, autrement dit un libre emploi de la parole. Je n'en ai jamais parlé qu'avec ironie. Il n'y a pas plus de libre association qu'on ne pourrait dire qu'est libre une variable liée dans une fonction mathématique, et la fonction définie par le discours analytique n'est bien évidemment pas libre : elle est liée. Elle est liée par des conditions que je désignerai rapidement comme celles du cabinet analytique.

À quelle distance est mon discours analytique, tel qu'il est ici défini par cette disposition écrite, à quelle distance est-il du cabinet analytique ? C'est précisément ce qui constitue ce que nous appellerons mon dissentiment d'avec un certain nombre de cabinets analytiques.

Aussi cette définition du discours analytique pour pointer là où j’en suis ne leur paraît pas s’accommoder aux conditions du cabinet analytique. Or, comme l’on dit [...], disons à tout le moins livre une partie des conditions qui constituent le cabinet analytique.


Mesurer ce qu'on fait quand on entre dans une psychanalyse, c'est quelque chose qui a bien son importance, mais en tout cas, quant à moi… et qui s'indique dans le fait que je procède toujours à de nombreux entretiens préliminaires.

Une personne pieuse que je ne désignerai pas autrement trouvait, paraît-il, aux derniers échos, enfin à des échos d’il y a trois mois, qu'au moins y avait-il une gageure intenable pour elle à fonder le transfert sur le sujet supposé savoir puisque par ailleurs sa méthode implique qu’il se soutienne d'une absence totale de préjugés quant au cas.

Sujet supposé savoir quoi alors ?

Me permettrais-je de demander à cette personne si le psychanalyste doit être supposé savoir ce qu'il fait et s'il le sait effectivement. À partir de là on comprendra que je pose d'une certaine façon mes questions sur le transfert dans La direction de la cure par exemple, qui est un texte auquel je vois avec plaisir que dans mon école, puisqu’il se passe quelque chose de nouveau, c'est que dans mon école on se met à travailler au titre d'une école, c'est là un pas quand même assez nouveau pour être relevé, j'ai pu constater, non sans plaisir, qu'on s'était aperçu que, dans ce texte, je ne tranche aucunement de ce qu'est le transfert. C'est très précisément qu'en disant le sujet supposé savoir, tel que je le définis, la question tout à fait reste entière de savoir si l’analyste peut être supposé savoir ce qu'il fait.

Pour en quelque sorte prendre départ, départ de ce qui aujourd’hui va être énoncé, et pour lequel ce petit caractère chinois 厶, car c'en est un, c'en est un, je regrette beaucoup que la craie ne me permette pas d’y mettre les accents que permet le pinceau, c'en est un qui a un sens pour satisfaire aux exigences des logico-positivistes, c'est un sens dont vous allez voir qu'il est pleinement ambigu puisqu'il veut à la fois dire « retors », qu'il veut dire aussi « personnel » au sens de « privé », et puis il en a encore quelques autres. Mais ce qui me paraît remarquable, c’est que sa forme écrite va me permettre tout de suite de vous dire où se placent les termes autour desquels va tourner mon discours d'aujourd'hui.


Si nous placions quelque part ici [1] ce que j'appelle au sens le plus large, et vous allez voir si c’est large, je dois dire que je n'ai pas besoin du sens et de le souligner, les effets de langage, c'est ici [2] que nous aurions à mettre ce dont il s'agit, à savoir où ils prennent leur principe, là où ils prennent leur principe, c'est en cela que le discours analytique est révélateur de quelque chose, qu’il est un pas, je vais essayer de le rappeler, encore qu'il s'agisse pour l'analyse de vérités premières.

C'est par là que je vais commencer tout de suit

                                            

Nous aurions ici [3] alors le fait de l'écrit. Il est très important, à notre époque et à partir de certains énoncés qui ont été faits et qui tendent à établir de très regrettables confusions, de rappeler que tout de même l'écrit est non pas premier, mais second par rapport à toute fonction du langage et que néanmoins sans l'écrit, il n'est d'aucune façon possible de revenir à questionner ce qui résulte au premier chef de l'effet du langage comme tel, autrement dit de l'ordre symbolique, c'est à savoir la dimension pour vous faire plaisir, mais vous savez que j'ai introduit le terme de « demansion », la « demansion », la résidence, le lieu de l'Autre de la Vérité.


Je sais que « demansion » a fait question pour certains. Les échos m'en sont revenus. Eh bien, si « demansion » est en effet un terme nouveau que j'ai introduit, fabriqué, et s'il n'a pas encore de sens, et bien cela veut dire que c'est à vous que ça revient de lui en donner un. Interroger la « demansion » de la vérité, la vérité dans sa demeure, c'est quelque chose, là est le terme, la nouveauté de ce que j'introduis aujourd'hui, qui ne se fait que par l'écrit, et par l'écrit en tant que ceci qu'il n'est que de l'écrit que se constitue la logique.


Voici ce que j'introduis en ce point de mon discours de cette année : il n'y a de question logique qu'à partir de l'écrit, en tant que l'écrit n'est justement pas le langage.

Et c'est en cela que j'ai énoncé qu'il n'y a pas de métalangage, que l'écrit même en tant qu'il se distingue du langage est là pour nous montrer que si c’est de l'écrit que s'interroge le langage, c'est justement en tant que l'écrit ne l'est pas, mais qu'il ne se construit, ne se fabrique que de sa référence au langage.

                                                   

Après avoir posé ceci qui a l'avantage de vous frayer ma visée, mon dessein, je repars de ceci qui concerne ce point qui est de l'ordre de cette surprise par où se signale l'effet de rebroussement dont j'ai essayé de définir la jonction de la vérité au savoir et que j'ai énoncé en ces termes qu'il n’y a pas de rapport sexuel chez l'être parlant.

Il y a une première condition qui pourrait tout de suite le faire voir, c'est que le rapport sexuel comme tout autre rapport, au dernier terme, ça ne subsiste que de l'écrit. L'essentiel du rapport, c'est une application : a appliqué sur b : a / b et si vous ne l'écrivez pas a et b, vous ne tenez pas le rapport en tant que tel.


Ca ne veut pas dire qu'il ne se passe des choses dans le Réel, mais au nom de quoi l’appelleriez-vous rapport ? Cette chose grosse comme tout suffirait déjà à rendre, disons, concevable qu'il n'y ait pas de rapport sexuel, mais ça ne trancherait en rien le fait que l'on n'arrive pas à l'écrire.

Je dirai même plus : il y a quelque chose que l'on a fait déjà depuis un bout de temps, c'est de l'écrire comme cela en se servant de petits signes planétaires, à savoir rapport de ce qui est mâle à ce qui est femelle.


Et je dirai même que depuis un certain temps, grâce au progrès qu'a permis l'usage du microscope, car n'oublions pas qu'avant Swammerdam on ne pouvait en avoir aucune espèce d'idée, ceci peut sembler articuler le fait que le rapport, si complexe soit-il, si méiotique qu'en soit le procès par où les cellules dites gonadiques donnent comme un modèle de la fécondation d'où procède la reproduction, eh bien il semble qu'en effet quelque chose soit là fondé et établi qui permette de situer à un certain niveau dit biologique ce qu'il en est du rapport sexuel.


L'étrange assurément, et après tout, mon Dieu, pas tellement tel, mais je voudrais évoquer pour vous la dimension d'étrangeté de la chose, c'est que la dualité et la suffisance de ce rapport ont depuis toujours leur modèle, je vous l'ai évoqué la dernière fois à propos de ces petits signes chinois. Là il y en a un là, je me suis tout d'un coup impatienté de vous montrer des signes qui avaient l'air d'être là uniquement pour vous épater. Et bien, le Yin que je ne vous ai pas fait la dernière fois, le voilà :


Voilà le yīn []         et le yáng [


je le répète, n'est-ce pas. Voilà ! un autre petit trait ici…


Le yīn [] et le yáng [], les principes mâle et femelle, voilà ce qui après tout n'est pas particulier à la tradition chinoise, voilà ce que vous retrouverez dans toute espèce de cogitation concernant les rapports de l'action et de la passion, concernant le formel et le substantiel, concernant Purusha, l'esprit, et Prakriti, je ne sais quelle matière femellisée, le modèle général de ce rapport du mâle au femelle est bien ce qui hante depuis toujours, depuis longtemps le repérage de l'être parlant, concernant les forces du monde [coupure] qui sont Tiānxià 天下 « sous le ciel ».

Il convient de marquer ceci de tout à fait nouveau, ce que j'ai appelé l'effet de surprise que comporte ce qui est sorti, quoi que cela vaille, du discours analytique, c'est qu'il est intenable d'en rester d'aucune façon à cette dualité comme suffisante.

C'est que la fonction dite du phallus qui est à vrai dire la plus maladroitement maniée, mais qui est là, qui fonctionne dans ce qu'il en est, non pas seulement d'une expérience liée à ce je-ne-sais-quoi qui serait à considérer comme déviant, comme pathologique, mais qui est essentiel comme tel à l'institution du discours analytique, cette fonction du phallus rend désormais intenable cette bipolarité sexuelle et intenable d'une façon qui littéralement volatilise ce qu'il en est de ce qui peut s'écrire de ce rapport.

Il faut distinguer ce qu'il en est de cette intrusion du phallus de ce que certains ont cru pouvoir traduire du terme de « manque de signifiant ». Ce n'est pas du manque de signifiant qu'il s'agit, mais de l'obstacle fait à un rapport. Le phallus, en mettant l'accent sur un organe, ne désigne nullement l'organe dit pénis avec sa physiologie, ni même la fonction que l'on peut, ma foi, lui attribuer avec quelque vraisemblance comme étant celle de la copulation.


Il vise de la façon la moins ambiguë, si on se rapporte aux textes analytiques, son rapport à la jouissance. Et c'est en cela qu'il le distingue de la fonction physiologique. Il y a, c'est cela qui se pose comme constituant d’une fonction du phallus, il y a une jouissance qui constitue dans ce rapport, différent du rapport sexuel, quoi ? Ce que nous appellerons sa condition de vérité.


L'angle sous lequel est pris l'organe qui, au regard de ce qu'il en est de l'ensemble des vivants, n'est nullement lié à cette forme particulière. Si vous saviez la variété des organes de copulation qui existent chez les insectes, vous pourriez, ce qui est après tout le principe de ce qui est toujours d'un bon usage, à savoir l'étonnement pour interroger le réel, vous pourriez certainement en effet vous étonner que ce soit particulièrement comme ça que ça fonctionne chez les vertébrés. Il s'agit ici de l'organe en tant, il faut bien qu'ici j'aille vite, car je ne vais pas enfin m'éterniser, tout reprendre, qu'on se reporte au texte dont je parlais tout à l'heure, à La direction de la cure et les principes de son pouvoir, le phallus, c'est l'organe en tant qu'il est ! E.S.T. : il s'agit de l'être, en tant qu’il est la jouissance féminine.

Voilà où est, en quoi réside l'incompatibilité de l'être et de l'avoir.


Dans ce texte, j’ai dit et répété avec une certaine insistance, en y mettant certains accents de style dont, je répète qu’ils sont aussi importants pour cheminer que les graphes à quoi ils aboutissent, et voilà que j'ai en face de moi, comme ça, à ce fameux Congrès de Royaumont, quelques personnes qui ricanaient : « Si tout est là, s'il s'agit de l'être et de l'avoir, ça n'a pas grande portée, l'être et l'avoir, on les choisit, hein ! » C'est pourtant ça qui s'appelle la castration.


Ce que je propose est ceci, c'est de poser que le langage, nous le mettons ici, a son champ réservé dans cette béance du rapport sexuel, telle que la laisse ouverte le phallus en posant que ce qu'il y introduit ça n'est, non pas deux termes qui se définissent du mâle et du femelle, mais de ce choix qu'il y a entre des termes d'une nature et d’une fonction bien différente qui s'appellent l'être et l'avoir. Ce qui le prouve, ce qui le supporte, ce qui rend absolument évidente, définitive cette distance, c'est ceci, ceci dont il ne semble pas que l'on ait remarqué la différence, c'est la substitution au rapport sexuel de ce qui s'appelle la loi sexuelle.

C'est là qu'est cette distance où s’inscrit qu'il n'y a rien de commun entre ce que l'on peut énoncer d'un rapport qui ferait loi en tant qu'il relève sous une forme quelconque de l'application, telle qu'au plus près la serre la fonction mathématique, et une loi qui est cohérente à tout le registre de ce qui s'appelle le désir, de ce qui s'appelle interdiction, de ce qui souligne que c'est de la béance même de l'interdiction inscrite que relève la conjonction, voire l'identité, comme j'ai osé l'énoncer de ce désir et de cette loi, et ce qui pose corrélativement pour tout ce qui relève de l'effet de langage de tout ce qui instaure la « demansion » de la Vérité d'une structure de fiction.


La corrélation de toujours du rite et du mythe, dont c'est faiblesse ridicule de dire que le mythe serait simplement le commentaire du rite et qu'il est fait pour le soutenir, pour l'expliquer, alors que c'en est, selon une topologie qui est celle à laquelle j'ai fait depuis assez longtemps un sort pour n'avoir pas besoin de le rappeler : le rite et le mythe sont comme l'endroit et l'envers, à cette condition que cet endroit et cet envers soient en continuité.

                                                               

Le maintien, dans le discours analytique, de ce mythe résiduel qui s'appelle celui de l’Œdipe, Dieu sait pourquoi, qui est en fait comme celui de Totem et Tabou, où s’inscrit ce mythe tout entier de l’invention de Freud, du père primordial, en tant qu’il jouit de toutes les femmes, c'est tout de même là que nous devons interroger d'un peu plus loin, de la logique de l'écrit, ce qu'il veut dire.

Il y a bien longtemps que j'ai introduit ici le schéma de Peirce concernant les propositions en tant qu'elles se divisent en quatre : en universelle, particulière, affirmative et négative, les deux couples de termes s'échangeant. Chacun sait que de dire que : « tout x est y », - si le schéma de Peirce Charles Sanders a un intérêt, c'est de le montrer - c'est que de définir comme nécessaire que « tout quelque » chose soit pourvu de tel attribut est une position universelle parfaitement recevable sans qu'il y ait pour autant aucun x.

Dans la petite formule ou le petit schéma de Peirce, je vous rappelle qu'ici nous avons un certain nombre de traits verticaux, qu'ici nous n'en avons aucun, qu'ici nous avons un petit mélange des deux et que c'est du chevauchement de deux de ces cases que résulte la spécificité de telle ou telle de ces propositions et que c'est à rassembler ces deux quadrants qu'on peut dire : « tout trait est vertical », s'il n'est pas vertical, il n’y a pas de trait.

Pour faire la négative, ce sont ces deux-là qu'il faut réunir : ou bien il n'y a pas de trait, ou bien il n'y en a pas de verticaux. Ce qui désigne le mythe de la jouissance de toutes les femmes, c'est que le « toutes les femmes », il n'y en a pas. Il n'y a pas d'universel de la femme.

Voilà ce que pose un questionnement du phallus, et non pas du rapport sexuel, quant à ce qu'il en est de la jouissance qu'il constitue puisque j'ai dit que c'était la jouissance féminine. C'est à partir de ces énoncés qu'un certain nombre de questions se trouvent radicalement déplacées.

Après tout, il est possible qu'il y ait un savoir de la jouissance qu'on appelle sexuelle qui soit le fait de cette « certaine femme ». La chose n'est pas impensable. Il y en a comme ça des traces mythiques dans les coins.

                                                               


Les choses qui s'appellent le Tantra, on dit que ça se pratique. Il est tout de même clair que depuis un bout de temps, si vous permettez ainsi d'exprimer ma pensée, l’habileté des joueuses de flûte est beaucoup plus patente. Ce n’est pas pour jouer de l'obscénité que j'avance ça en ce point, c'est qu'il y a ici, et je le suppose, il y a au moins ici une personne qui sait ce que c'est de jouer de la flûte, c'est la personne qui récemment me faisait remarquer à propos de ce jeu de la flûte, mais on peut le dire aussi à propos de tout usage d'instrument, quelle division du corps l'usage d'un instrument quel qu'il soit rend nécessaire, je veux dire rupture de synergies.

Il suffit de faire n'importe quel instrument : mettez-vous sur une paire de skis, vous verrez tout de suite que vos synergies doivent être rompues. Prenez une canne de golf, ça m’est arrivé ces derniers temps, c'est pareil, hein ! Il y a deux types de mouvements qu'il faut que vous fassiez en même temps, vous n'y arrivez au début absolument pas, parce que synergiquement ça ne s'arrange pas comme ça. La personne qui m'a bien rappelé la chose à propos de la flûte me faisait également remarquer que pour le chant où en apparence il n'y a pas d'instrument, c'est en cela que le chant est particulièrement intéressant, c'est que là aussi il faut que vous divisiez votre corps, que vous y divisiez deux choses qui sont tout à fait distinctes pour que vous puissiez chanter, mais qui d'habitude sont absolument synergiques, à savoir la pose de la voix et la respiration.


Bon, ces vérités premières qui n’ont pas eu besoin d’être rappelées, parce que aussi bien je vous disais que j'en avais ma dernière expérience avec ma canne de golf, c'est ce qui laisse ouverte comme une question qu'il y a encore quelque part un savoir de l'instrument phallus.

Seulement l'instrument phallus, ce n'est pas un instrument comme les autres. C'est comme pour le chant. L'instrument phallus, je vous ai déjà dit qu'il n'est pas du tout à confondre avec le pénis. Le pénis, lui, il se règle sur la loi, c'est-à-dire sur le désir, c'est-à-dire sur le plus-de-jouir, c'est-à-dire sur la cause du désir, c'est-à-dire sur le fantasme.

Et ça, le savoir supposé de la femme qui saurait, là elle rencontre un os, justement, celui qui manque à l'organe, si vous me permettez de continuer dans la même veine. Puisque chez certains animaux, il y en a un, d'os. Ça oui, là il y a un manque, c'est un os manquant. Ce n'est pas le phallus, c'est le désir ou son fonctionnement. Il en résulte qu'une femme n'a de témoignage de son insertion dans la loi de ce qui supplée au rapport que par le désir de l'homme.

Là, il suffit d'avoir une toute petite expérience analytique pour en avoir la certitude.

Le désir de l'homme, je viens de le dire, est lié à sa cause qui est le plus-de-jouir ou qui est encore, comme je l'ai exprimé maintes fois, s'il prend sa source dans le champ d'où tout part, l'effet de langage, dans le désir de l'Autre donc, et la femme à cette occasion, on s'aperçoit que c'est elle qui est l'Autre. Seulement elle est l'Autre d'un tout autre ressort, d'un tout autre registre que son savoir quel qu'il soit.

Voilà donc l'instrument phallique posé avec des guillemets comme « cause » du langage, je n'ai pas dit origine. Et là malgré l'heure avancée, je signalerai la trace que l'on en peut avoir, à savoir le maintien, quoi qu'on veuille, d'un interdit sur les mots obscènes. Et puisque je sais qu'il y a des gens qui m'attendent à quelque chose que je leur ai promis, de faire allusion à « Éden, Éden, Éden ». Ah ! et dire pourquoi je ne signe pas [... ] à ce propos c'est que… ce n'est pas que mon estime soit médiocre pour cette tentative, à sa façon, elle est comparable à celle de mes Écrits, à ceci près qu'elle est beaucoup plus désespérée. Il est tout à fait désespéré de langagier l'instrument phallique, et c'est parce que je le considère comme en ce point sans espoir, que je pense aussi que ne peut se développer autour d'une telle tentative que des malentendus.

Vous voyez que c'est en un point hautement théorique que se place en l'occasion mon refus.


Là où je voudrais en venir est ceci : d'où interroge-t-on la Vérité ?

Car la Vérité, elle peut dire tout ce qu'elle veut. C'est l'oracle.

Ça existe depuis toujours et après cela, on n'a plus qu'à se débrouiller. Seulement il y a un fait nouveau, le premier fait nouveau depuis que fonctionne l'oracle, c'est-à-dire depuis toujours. C'est un de mes écrits le fait nouveau, qui s'appelle La Chose Freudienne, où j’ai indiqué ceci que personne n'avait jamais dit.


Seulement comme c'est écrit, naturellement vous ne l'avez pas entendu.

J'ai dit : « la Vérité parle je ». Si vous aviez donné son poids à cette espèce de luxuriance polémique que j'ai fait pour présenter la Vérité, je ne me souviens même plus ce que j’ai écrit, comme rentrant dans la pièce dans un fracas de miroirs, cela aurait peut-être pu vous ouvrir les oreilles. Mais le bruit des miroirs qui se cassent, dans un écrit, cela ne vous frappe pas.

C'était pourtant assez bien écrit. C'est là ce que l'on appelle l'effet de style. Et cela vous aurait certainement aidé à comprendre ce que ça veut dire « La Vérité parle je ». Cela veut dire qu'on peut lui dire tu et je vais vous expliquer à quoi ça sert. Vous allez croire, bien sûr, que je vais vous dire que ça sert au dialogue. Il y a longtemps que j'ai dit qu'il n'y en avait pas de dialogue. Et avec la Vérité, bien sûr, encore moins.


Néanmoins, si vous lisez quelque chose qui s'appelle La métamathématique de Lorensen, je l'ai apporté, c'est chez Gautier-Villars et Mouton, et puis je vais même vous indiquer la page où vous verrez des choses astucieuses, c’est des dialogues, c’est des dialogues écrits, c'est-à-dire que c'est le même qui écrit les deux répliques. C'est un dialogue bien particulier, seulement c'est très instructif, vous vous reporterez à la page 22, c'est très instructif et je pourrais le traduire de plus d'une façon, y compris en me servant de mon être et de mon avoir de tout à l'heure.

Mais je dirai plus simplement, pour vous rappeler cette chose sur laquelle j'ai déjà mis l'accent, c'est à savoir qu'aucun des prétendus paradoxes auxquels s’arrête la logique classique, nommément celui du « je mens », ne tient qu'à partir du moment où c'est écrit.

Il est tout à fait clair que dire « je mens » est une chose qui ne fait aucun obstacle, étant donné qu'on ne fait que cela ! Alors pourquoi ne le dirait-on pas ? Qu'est-ce que ça veut dire ? Que c'est seulement quand c'est écrit que là il y a paradoxe, car on dit : « Là, et bien, vous mentez ou bien vous dites vrai ».

C'est exactement la même chose que je vous ai fait remarquer en son temps, que d'écrire « le plus petit nombre qui s'écrit en plus de quinze mots ». Vous ne voyez là aucun obstacle quand je vous le dis : si c'est écrit, vous les comptez, vous vous apercevez qu'il n'y en a que treize, dans ce que je viens de dire, mais ça ne se compte que si c'est écrit.

Parce que si c'est écrit en japonais, je vous défie de les compter, parce que là vous vous poserez quand même la question, il y a des petits bouts, comme ça, de vagissement, des petits oh et des petits wouah dont vous vous demanderez s'il faut le coller au mot ou s’il faut le détacher et le compter pour un mot.

Seulement quand c'est écrit, c'est comptable.


Alors la Vérité, vous apercevrez qu'exactement comme dans La métamathématique de Lorensen, si vous posez qu'on ne peut pas à la fois dire oui et non sur le même point et bien, vous gagnez.

Vous verrez tout à l'heure ce que vous gagnez.

Mais si vous misez que c'est ou oui ou non, là vous perdez. Référez-vous à Lorensen. Mais je vais vous l'illustrer tout de suite. Je pose qu’il n'est pas vrai, dis-je à la Vérité, que tu dises vrai et que tu mentes en même temps. La Vérité peut répondre bien des choses, puisque c'est vous qui la faites répondre. Ca ne vous coûte rien. De toute façon, cela va aboutir au même résultat, mais je vous le détaille pour rester collé au Lorensen. Elle dit : je dis vrai. Vous lui répondez : je ne te le fais pas dire. Alors pour vous emmerder, elle vous dit : je mens. À quoi vous répondez : maintenant j'ai gagné, je sais que tu te contredis. C'est exactement ce que vous découvrez avec l'inconscient, ça n'a plus de portée.

Que l'inconscient dise toujours la vérité et qu'il mente, c'est de chez lui parfaitement soutenable. C'est simplement à vous de le savoir.


Qu'est-ce que ça vous apprend ? Que la Vérité, vous n'en savez quelque chose que quand elle se déchaîne, car elle s'est déchaînée : elle a brisé votre chaîne. Elle vous a dit les deux choses aussi bien quand vous disiez que la conjonction n’était point soutenable.


Mais supposez le contraire, que vous lui ayez dit : ou tu dis vrai, ou tu mens. Ben, là, vous en êtes pour vos frais. Parce que… qu’est-ce qu’elle vous répond ? Je te l'accorde, je m'enchaîne. Tu me dis : ou tu dis vrai, ou tu mens, et en effet c'est bien vrai. Seulement alors là vous, vous ne savez rien. Vous ne savez rien de ce qu'elle vous a dit puisque : ou elle dit vrai, ou elle ment. De sorte que vous êtes perdant.

Ceci, je ne sais pas si cela vous apparaît dans sa pertinence, mais je veux dire ceci, dont nous avons constamment l'expérience, c'est qu'elle se refuse, la Vérité, alors ça me sert à quelque chose. C'est à ça que nous avons tout le temps à faire dans l'analyse. Mais qu'elle s'abandonne, qu'elle accepte ma chaîne, quelle qu'elle soit, et bien, j'y perds mon latin. Autrement dit, ça me laisse à désirer. Cela me laisse à désirer, ça me laisse dans ma position de demandeur, puisque je me trompe de penser que je suis traité d'une vérité que je ne puis reconnaître qu'au titre de déchaînée. Vous montrez de quel déchaînement vous participez.


Il y a quelque chose qui mérite d'être relevé dans ce rapport, c'est la fonction de ce quelque chose dont il y a longtemps que je le mets tout doucement comme ça sur la sellette et qui se dénomme la liberté. Il arrive qu'à travers nos fantasmes, il y en ait qui élucubrent de certaines façons où, sinon la vérité elle-même, du moins le phallus pourrait être apprivoisé. Je ne vous dirai pas dans quelles variétés de détails ces sortes d'élucubrations peuvent s'étaler.

Mais il y a une chose très frappante, c'est que mise à part une certaine sorte de manque de sérieux qui est peut-être ce qu'il y a de plus solide pour définir la perversion, et bien, ces solutions élégantes, il est clair que les personnes pour qui c’est sérieux, toute cette menue affaire, parce que mon Dieu, le langage ça compte pour elles, aussi l'écrit, ne serait-ce que pour ce que ça permet l'interrogation logique, car en fin de compte qu'est-ce que c'est que la logique, si ce n'est ce paradoxe absolument fabuleux que ne permet que l'écrit, de prendre la vérité comme référence. [...] chaque homme [...], quand on commence par les premières, toutes premières formules de la logique propositionnelle, on prend comme référence qu'il y a (Coupure brève vers 93’30), des propositions qui peuvent se marquer de V, Vérité, et d'autres qui peuvent se marquer de F, « Faux ».

C'est avec cela que commence la référence à la Vérité.

Se référer à la Vérité, c'est poser le faux absolu, c’est-à-dire un faux auquel on pourrait se référer comme tel. Les personnes sérieuses, je reprends ce que je suis en train de dire, auxquelles se proposent ces solutions élégantes qui seraient l'apprivoisement du phallus, eh bien, c'est curieux, c’est elles qui refusent ! Et pourquoi, sinon pour préserver ce qui s'appelle la liberté en tant qu'elle est précisément identique à cette non-existence du rapport sexuel.

Car enfin est-il besoin d'indiquer que ce rapport de l'homme et de la femme, en tant qu'il est de par la loi, la loi dite



[fin de la bande sonore]










Ce qui suit est une ancienne transcription inédite :


[…] sexuelle, radicalement faussé, c'est de quelque chose qui quand même laisse à désirer qu’à chacun il y ait sa chacune pour lui répondre. Si cela arrive, que dirait-on ? Non certes que c'était là chose naturelle, puisqu'il n'y a pas à cet égard de nature, puisque la femme n'existe pas. Qu'elle existe, c'est un rêve de femme, mais c'est le rêve d'où est sorti Don Juan. S'il y avait un homme pour qui la femme existe, quelle merveille. On serait sûr de son désir. C'est une élucubration féminine. Pour qu'un homme trouve sa femme, quoi d'autre, sinon la formule romantique, c'était fatal, c'était écrit. Une fois de plus nous voilà retenus à ce carrefour qui est celui où je vous ai dit que je ferai basculer ce qu'il en est du vrai Seigneur, du type qui est ce que l'on traduit - fort mal, ma foi - par l'homme un tout petit peu au-dessus du commun, c'est cette balance entre le xìng , cette nature telle qu'elle est inscrite par l'effet du langage inscrite dans cette disjonction de l'homme et de la femme, et d'autre part ce « c'est écrit », ce ming, cet autre caractère que je vous ai fait là une première fois, dont je fais ici sous la forme qui est celui devant lequel votre liberté recule.




Références :




- Humboldt, Wilhelm (unique mention de Lacan, le 17 février 1971) : philologue allemand 1767-1835.


- Richards, Ivor Armstrong : Mencius on the mind, London, Kegan Paul (mentionné le 17 février 1971)


- Ogden, Charles Kay : Bentham's Theory of Fictions, 1932, London (mentionné par Lacan le 26 février 1969)


- Ogden & Richards : The Meaning of Meaning (mentionnés par Lacan le 12 mai 1965, 17 février 1971)


- Wieger, Léon (mentionné les 24 janvier 1962 et 17 février 1971)




 

Séminaire oral du 17 février 197I


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