26/09/1953
Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse
Qu’on reprenne donc l’œuvre de Freud à la Traumdeutung pour s’y rappeler que le rêve a la structure d’une phrase, ou plutôt, à nous en tenir à sa lettre, d’un rébus, c’est-à-dire d’une écriture, dont le rêve de l’enfant représenterait l’idéographie primordiale, et qui chez l’adulte reproduit l’emploi phonétique et symbolique à la fois des éléments signifiants, que l’on retrouve aussi bien dans les hiéroglyphes de l’ancienne Égypte que dans les caractères dont la Chine conserve l’usage.
[…]
Par le mot qui est déjà une présence faite d’absence, l’absence même vient à se nommer en un moment original dont le génie de Freud a saisi dans le jeu de l’enfant la recréation perpétuelle. Et de ce couple modulé de la présence et de l’absence, qu’aussi bien suffit à constituer la trace sur le sable du trait simple et du trait rompu des koua mantiques de la Chine, naît l’univers de sens d’une langue où l’univers des choses viendra à se ranger
[…]
L’indifférence avec laquelle la coupure du timing interrompt les moments de hâte dans le sujet, peut être fatale à la conclusion vers quoi se précipitait son discours, voire y fixer un malentendu, sinon donner prétexte à une ruse rétorsive.
Il est remarquable que les débutants semblent plus frappés que nous des effets de cette incidence.
C’est un fait qu’on constate bien dans la pratique des textes des écritures symboliques, qu’il s’agisse de la Bible ou des canoniques chinois : l’absence de ponctuation y est une source d’ambiguïté, la ponctuation posée fixe le sens, son changement le renouvelle ou le bouleverse, et, fautive, elle équivaut à l’altérer.
Certes la neutralité que nous manifestons à appliquer strictement cette règle maintient la voie de notre non-agir.
Mais ce non-agir a lui-même sa limite, sans quoi nous n’interviendrions jamais. Et ce n’est pas en maintenir la voie que de la pousser sur ce seul point à la rigueur.
18/11/1953
Écrits techniques
La recherche du sens a déjà été pratiquée, par exemple par certains maîtres bouddhistes, avec la technique zen. Le maître interrompt le silence par n'importe quoi, un sarcasme, un coup de pied.
Il appartient aux élèves eux-mêmes de chercher la réponse à leurs propres questions dans l'étude des textes; le maître n'enseigne pas ex cathedra une science toute faite mais il apporte cette réponse quand les élèves sont sur le point de la trouver.
7/07/1954
Écrits techniques
Si le génie de R. M. Brunswick fut grand, elle ne le formula pas toujours bien. Si elle a pu faire quelque chose c'est dans la mesure où, par position, elle coïncidait avec le personnage de la sueur. Elle était objectivement entre Freud et le malade, subjectivement Freud vint toujours entre le malade et elle. Elle réussit là où la sueur avait échoué. Le père était trop près du malade, la sueur aussi (elle avait fait son identification au père et elle est active dans leur relation et d'une façon traumatique, trop proche, qui entraînait la même panique de la passivation que devant le père. Elle est identifiée au père par le malade).
Au lieu de ça, R. Mac Brunswick sut à la fois participer d'une certaine dureté propre au personnage paternel, d'un autre côté, elle se soumet à là réalité du sujet : il y a une sorte de retour à l'école du sujet par ce que les Chinois appellent «la douceur malléable de la femme ». Elle sait lui montrer qu'elle n'est pas adhérente à Freud, donc pas identifiée au père et «pas trop forte». Le sujet est ré-enfanté par elle et, cette fois, de la bonne façon.
7/11/1955
La chose freudienne ou sens du retour à Freud en Psychanalyse
Ceci veut dire que l’analyste intervient concrètement dans la dialectique de l’analyse en faisant le mort, en cadavérisant sa position comme disent les Chinois, soit par son silence là où il est l’Autre avec un grand A, soit en annulant sa propre résistance là où il est l’autre avec un petit a. Dans les deux cas et sous les incidences respectives du symbolique et de l’imaginaire, il présentifie la mort.
15/02/1956
Les psychoses
Mais ça n'épuise pas la question de la fonction de la négation à l'intérieur du langage, car c'est dans ce cas que gît leur duplicité, au moment où on vous dit loin, parce que pour l'instant il est là, au moment où vous le rappelez c'est parce que justement il est parti. Ici bien entendu nous avons cette fondamentale relation à la négation de ce qui est là, mais autre chose est son articulation cohérente dans la négation, il y a là quelque chose qui pose en lui-même son problème, et tout le problème est peut-être dans cette espèce d'illusion de privation qui naît de l'usage commun répandu qui est le premier usage de la négation, toutes les langues comportent toute une gamme de négations possibles, et certainement importantes, qui vaudraient une étude spéciale: la négation en français, la négation en chinois, etc. L'important c'est que ce qui paraît être une simplification dans le discours, recèle une dynamique, mais que cette dynamique nous échappe, qu'elle est secrète, que le degré d'illusion qu'il y a dans le fait qu'une Verneinung, c'est simplement constater l'accent qu'il y a à propos de quelque chose qui apparaît par exemple dans un rêve, « ce n'est pas mon père », en tout cas chacun sait ce qu'en vaut l'autre, le sujet qui vous dit cela accuse le coup, et dit: nous sommes habitués à le prendre comme tel, que c'est là son père, et comme nous sommes contents, nous n'allons pas plus loin.
31/05/1956
Les psychoses
Je pense que ce texte est assez clair et que l'apparente contradiction formelle que vous pourrez en recueillir du fait que Freud dit que les rêves s'expriment en images plutôt qu'en autre chose est aussitôt je pense restitué et remis en place; car aussitôt, il vous montrera de quelles sortes d'images il s'agit; c'est-à-dire d'images en tant qu'elles interviennent dans une écriture, c'est-à-dire non pas même pour leur sens propre, car, comme il le dit, il y en a certaines qui seront là, même pas pour être lues, mais simplement pour apporter à ce qui doit être lu une sorte d'exposant qu'il situe, qui resterait autrement énigmatique. C'est la même chose que ce que je vous ai écrit au tableau l'autre jour, quand je vous ai donné l'exemple des caractères chinois.
J'aurais pu les prendre parmi les anciens hiéroglyphes, où vous verriez que ce qui sert à dessiner le pronom à la première personne, et qui se dessine par deux petits signes qui ont une valeur phonétique, peut être accompagné par l'image plus ou moins corsée, selon que l'individu est un petit bonhomme qui est là pour donner aux autres signes leur sens rapporté par leur signification; mais les autres signes ne sont pas moins autographiques que le petit bonhomme, doivent être lus dans un registre phonétique.
27/06/1956
Les psychoses
Le « tu », si vous y regarder bien, est de très près, du côté formel, grammatical des choses, qui est justement ce à quoi se réduit pour vous toute espèce d'usage du signifiant dans lequel vous mettez malgré vous des significations, et que vous y croyez à la grammaire! Tout votre passage à l'école se résume à peu près comme gain intellectuel à vous avoir fait croire à la grammaire, on ne vous a pas dit que c'était cela: le but n'aurait pas été atteint! Mais c'est à peu près ce que vous avez recueilli. Mais si vous vous arrêtez à des phrases comme celle-ci: « si tu risques un oeil au dehors, on va te descendre » ; ou bien encore: « tu vois le pont, alors tu tournes à droite », vous vous apercevrez que le « tu » à y regarder de bien près n'a pas du tout la valeur subjective d'une réalité quelconque de l'autre et du partenaire, que le « tu » là, est tout à fait équivalent à un site ou à un point, que le « tu » a tout à fait la valeur d'une conjonction, que ce « tu » introduit la condition ou la temporalité.
Je sais bien que ceci peut vous paraître tout à fait hasardé, mais je vous assure que si vous aviez une petite pratique de la langue chinoise, vous en seriez absolument convaincu: il y a ce fameux terme qui est le signe de la femme et le signe de la bouche rú 如 [1]. Mais on peut s'amuser beaucoup avec ces caractères chinois. Le « tu » est quelqu'un auquel on s'adresse en lui donnant un ordre, c'est-à-dire comme il convient de parler aux femmes! On peut aussi dire mille autres choses, donc ne nous attardons pas. Ce qui est beaucoup plus intéressant, ce sont des phrases que je m'attarderai pas à vous citer, parce que ce serait peut-être considéré comme abusif, mais enfin j'ai là l'occasion de vous montrer que le «tu » sous cette forme, exactement ce même « tu » est employé pour servir à formuler la locution « comme si », ou bien encore qu'une autre forme du « tu » est employé très exactement comme je vous le disais à l'instant, pour formuler à proprement parler, et d'une façon qui n'a aucune espèce d'ambiguïté, un « quand » ou un « si » introductif d'une conditionnelle.
Cette référence montrera peut-être qu'il n'est pas exclu, que si la chose est moins évidente dans nos langues parce que si nous avons quelques résistances à le comprendre et à l'admettre dans les exemples que je viens de vous donner, c'est uniquement en fonction des préjugés de la grammaire qui vous forcent, parce que si tout d'un coup vous vous penchez sur une phrase au lieu de l'entendre, qui vous force dans les artifices de l'analyse étymologique et grammaticale à mettre à ce « tu » la deuxième personne du singulier, bien entendu c'est la deuxième personne du singulier, mais il s'agit de savoir à quoi elle sert. En d'autres termes, il s'agit de s'apercevoir que le « tu» a, comme un certain nombre d'autres éléments qu'on appelle dans les langues qui pour nous ont l'avantage de servir un peu à nous ouvrir l'esprit - je parle justement de ces langues sans flexion qu'on appelle des particules, qui sont ces curieux signifiants multiples, quelquefois d'une ampleur et d'une multiplicité qui va jusqu'à engendrer chez nous une grammaire raisonnée de ces langues, une certaine désorientation, mais qui sont quand même un apport linguistique qui bien entendu est universel.
15/08/1956
La lettre volée
C’est qu’à jouer la partie de celui qui cache, c’est le rôle de la Reine dont il lui faut se revêtir, et jusqu’aux attributs de la femme et de l’ombre, si propices à l’acte de cacher.
Ce n’est pas que nous réduisions à l’opposition primaire de l’obscur et du clair, le couple vétéran du yin et du yang. Car son maniement exact comporte ce qu’a d’aveuglant l’éclat de la lumière, non moins que les miroitements dont l’ombre se sert pour ne pas lâcher sa proie.
9/05/1957
L'instance de la lettre dans l'inconscient ou la raison depuis Freud (Écrits, p. 503-504)
Mais il suffit d’écouter la poésie, ce qui sans doute était le cas de F. de Saussure, pour qu’il fasse entendre une polyphonie et que tout discours s’avère s’aligner sur les plusieurs portées d’une partition.
Nulle chaîne signifiante en effet qui ne soutienne comme appendu à la ponctuation de chacune de ses unités tout ce qui s’articule de contextes attestés, à la verticale, si l’on peut dire, de ce point.
C’est ainsi que pour reprendre notre mot : arbre, non plus dans son isolation nominale, mais eu terme d’une de ces ponctuations, nous verrons que ce n’est pas seulement à la faveur du fait que le mot barre est son anagramme, qu’il franchit celle de l’algorithme saussurien.
Car décomposé dans le double spectre de ses voyelles et de ses consonnes, il appelle avec le robre et le platane les significations dont il se charge sous notre flore, de force et de majesté. Drainant tous les contextes symboliques où il est pris dans l’hébreu de la Bible, il se dresse sur une butte sans frondaison l’ombre de la croix. Puis se réduit à l’Y majuscule du signe de la dichotomie qui, dans l’image historiant l’armorial, ne devait rien à l’arbre, tout généalogique qu’il se dise. Arbre circulatoire, arbre de vie du cervelet, arbre de Saturne ou de Diane, cristaux précipités en un arbre conducteur de la foudre, est-ce votre figure qui trace notre destin dans l’écaille passée au feu de la tortue, ou votre éclair qui fait surgir d’une innombrable nuit cette lente mutation de l’être dans l’Έν Πάντα du langage :
Non ! dit l’arbre, il dit : Non ! dans l’étincellement
De sa tête superbe
vers que nous tenons pour aussi légitimes à être entendus dans les harmoniques de l’arbre que leur revers :
Que la tempête traite universellement
Comme elle fait une herbe.
Car cette strophe moderne s’ordonne selon la même loi du parallélisme du signifiant, dont le concert régit la primitive geste slave et la poésie chinoise la plus raffinée.
12/03/1958
Les formations de l'inconscient
Vous le trouvez à propos de ce qu'elle appelle dans ses contributions l'Œdipe ultra-précoce de l'enfant. Les dessins de celui-ci nous montrent que l'empire maternel comporte en son intérieur ce que j'ai appelé, par une référence à l'histoire chinoise, les royaumes combattants - l'enfant est capable de dessiner à l'intérieur de ce champ ce qu'elle repère comme des signifiants, les frères, les sœurs, les excréments. Tout cela cohabite dans le corps maternel, tout est déjà en son intérieur, puisqu'elle y distingue aussi ce que la dialectique du traitement permet d'articuler comme étant le phallus paternel. Celui-ci serait d'ores et déjà présent comme un élément particulièrement nocif et particulièrement rival par rapport aux exigences de l'enfant concernant la possession du contenu du corps maternel.
28/01/1959
Le désir et son interprétation
Il fait là-dessus une association très remarquable: « Il y a a joke à propos des lèvres (au sens génital du terme) courant transversalement et non pas longitudinalement. Mais je ne me souviens pas comment ce joke était arrangé, quelque comparaison avec l'écriture chinoise et son rapport avec la nôtre, l'une et l'autre partant de différents côtés, l'une du haut vers le bas, l'autre transversalement. Bien sûr, les lèvres sont side by side (c'est-à-dire côté contre côté), tandis que les parois du vagin sont l'une antérieure, l'autre postérieure, c'est-à-dire l'une longitudinale et l'autre transversale. Je pense encore, dit-il, au chaperon.
Ces jokes qui sont en anglais une sorte de partie du patrimoine culturel sont bien connus, ils sont en général sous la forme de limericks. Le limerick est quelque chose de très important et révélateur. Je n'en ferai qu'état. J'ai cherché dans une collection assez considérable de quelque trois mille limerick. Ce limerick existe sûrement, j'en ai vu d'autres qui s'en approchent, je ne sais même pas pourquoi le thème de la Chine semble justement considéré. Il y avait cette sorte d'inversion de la ligne d'écriture - évoquée chaque fois que quelque chose se rapproche d'une assimilation, encore et en même temps, d'une opposition de la ligne à la fente génitale avec celle de la bouche, transversale, avec aussi ce qu'on suppose derrière la ligne de la fente génitale de la transversalité du vagin.
[…]
c'est qu'en tous cas quelque chose doit nous retenir. C'est le fait que le sujet l'associe tout de suite à quelque chose d'un tout autre ordre, à ce jeu poétique et verbal dont ce n'est pas simplement pour m'amuser que j'ai donné un exemple, c'est pour donner une idée du style, d'une extrême rigueur littéraire; c'est un genre qui a des lois, les plus strictes qui soient - et joke ou limerick, peu importe - qui portent dans une histoire définie littérairement, et portant elles-mêmes sur un jeu concernant l'écriture. Car ce que nous n'avons pas retrouvé dans le limerick que nous avons déterré, le sujet, lui, affirme l'avoir entendu: c'était en se référant à la direction différente des lignes d'écriture dans notre façon d'écrire et la chinoise, qu'il évoque à ce moment-là quelque chose qui ne s'impose pas tellement à cette association: à savoir justement ce qui met sur la voie d'un rapprochement entre l'orifice des grandes lèvres et les lèvres de la bouche.
Ce rapprochement comme tel, affectons-le à l'ordre symbolique. Ce qui peut avoir plus de symbolique, ce sont les lignes de caractères chinois, parce que c'est quelque chose qui est là, qui nous désigne qu'en tous cas cet élément-là dans le rêve est un élément qui a une valeur signifiante, que dans cette sorte d'adaptation, d'adéquation, d'accommodement du désir en tant qu'il se fait quelque part par rapport à un fantasme qui est entre le signifiant de l'Autre [S(A)] et le signifié de l'Autre [s (A)] car c'est cela la définition du fantasme en tant que le désir a à s'accommoder à lui.
Et qu'est ce que je dis là si ce n'est exprimer d'une façon plus articulée ce qui est notre expérience.
22/04/1959
Le désir et son interprétation
Si du côté du mort, de celui qui vient de disparaître, ce quelque chose n'a pas été accompli qui s'appelle les rites - les rites destinés à quoi en fin de compte ? Qu'est-ce que c'est que les rites funéraires ? Les rites par quoi nous satisfaisons à ce qu'on appelle la mémoire du mort, qu'est-ce ? si ce n'est l'intervention totale, massive, de l'enfer jusqu'au ciel, de tout le jeu symbolique. Je voudrais avoir le temps de vous faire quelques séminaires sur ce sujet du rite funéraire à travers une enquête ethnologique. Je me souviens, il y a de nombreuses années, d'avoir passé assez de temps sur un livre qui en est une illustration vraiment admirable et qui prend toute sa valeur, pour nous exemplaire, d'être d'une civilisation assez distante de la nôtre pour que les reliefs de cette fonction en apparaissent vraiment d'une façon éclatante. C’est le Liji 禮記 (礼记) un des livres consacrés chinois.
Le caractère macrocosmique des rites funéraires, à savoir le fait qu'en effet il n'y a rien qui puisse combler de signifiants ce trou dans le réel si ce n'est la totalité &.signifiant, le travail accompli au niveau du Logos - je dis cela pour ne pas dire au niveau du groupe ni de la communauté (bien sûr c'est le groupe et la communauté en tant que culturellement organisés qui en sont les supports) - le travail du deuil se présente d'abord comme une satisfaction donnée à ce qui se produit de désordre en raison de l'insuffisance de tous les éléments signifiants à faire face au trou créé dans l'existence, par la mise en jeu totale de tout le système signifiant autour du moindre deuil.