Problèmes cruciaux pour la psychanalyse - 10/03/1965


Bien sûr, ceci ne fait que recouvrir des choses bien connues depuis longtemps, et je me suis dispensé de vous donner ici la première phrase du chapitre II du Tao tö King, 道德經 parce qu'aussi bien il aurait fallu que je commente chacun des caractères. Mais ces caractères sont tellement, pour quiconque peut se donner la peine d'en appréhender la référence, tellement significatifs, que l'on ne peut pas croire qu'il n'y ait pas quelque chose de la même veine logique dans ce qui est énoncé, en ce point originel pour une culture, autant que pour nous l'a pu être la pensée socratique de ce qu'il y a d'originel.


Que, pour tout ce qui est du ciel et de la terre, que tous - le terme universel est bien, bien isolé, posant la fonction de l'affirmative universelle comme telle - que tous sachent ce qu'il en est du beau, alors c'est de cela que naît la laideur.


Ce qui n'est pas pure vanité, de dire que, bien sûr, définir le bon, c'est du même coup définir le mal. Ce n'est pas une question de savoir ce qu'on distingue, en quelque sorte, c'est un nœud interne. Il ne s'agit pas de savoir ce qu'on distingue, en quelque sorte comme on distinguerait les eaux supérieures et les eaux inférieures dans une réalité confuse; ce n'est pas de ce qu'il soit vrai ou pas que les choses soient bonnes ou mauvaises qu'il s'agit - les choses sont - , c'est de dire ce qu'il en est du bien qui fait naître le mal; le fait, non pas que cela soit, non pas que l'ordre du langage vienne recouvrir la diversité du réel, c'est l'introduction du langage comme tel qui fait, non pas distinguer, constater, entériner, mais qui fait surgir la traversée du mal, dans le champ du bien, la traversée du laid, dans le champ du beau.







天 下 皆 知 美 之 為 美 斯 惡 已

皆 知 善 之 為 善 斯 不 善 已

故 有 無 相 生 難 易 相 成

長 短 相 形 高 下 相 傾 

音 聲 相 和 前 後 相 隨

是 以 聖 人 處 無 為 之 事

行 不 言 之 教

萬 物 作 焉 而 不 辭

生 而 不 有 為 而 不 恃

功 成 而 弗 居

夫 唯 弗 居 是 以 不 去




Stanislas Julien (1842)

Dans le monde, lorsque tous les hommes ont su apprécier la beauté (morale), alors la laideur (du vice) a paru. Lorsque tous les hommes ont su apprécier le bien, alors le mal a paru. C'est pourquoi l'être et le non-être naissent l'un de l'autre.

Le difficile et le facile se produisent mutuellement.

Le long et le court se donnent mutuellement leur forme.

Le haut et le bas montrent mutuellement leur inégalité.

Les tons et la voix s'accordent mutuellement.

L'antériorité et la postériorité sont la conséquence l'une de l'autre.

De là vient que le saint homme fait son occupation du non-agir.

Il fait consister ses instructions dans le silence.

Alors tous les êtres se mettent en mouvement, et il ne leur refuse rien.

Il les produit et ne se les approprie pas.

Il les perfectionne et ne compte pas sur eux.

Ses mérites étant accomplis, il ne s'y attache pas.

Il ne s'attache pas à ses mérites ; c'est pourquoi ils ne le quittent point.




Tout le monde a la notion du beau, et par elle (par opposition) celle du pas beau (du laid). Tous les hommes ont la notion du bon, et par elle (par contraste) celle du pas bon (du mauvais). Ainsi, être et néant, difficile et facile, long et court, haut et bas, son et ton, avant et après, sont des notions corrélatives, dont l’une étant connue révèle l’autre.

Cela étant, le Sage sert sans agir, enseigne sans parler.

Il laisse tous les êtres, devenir sans les contrecarrer, vivre sans les accaparer, agir sans les exploiter.

Il ne s’attribue pas les effets produits, et par suite ces effets demeurent.

Les corrélatifs, les opposés, les contraires comme oui et non, sont tous entrés dans ce monde par la porte commune, sont tous sortis du Principe un (Chap. 1. C). Ils ne sont pas des illusions subjectives de l’esprit humain, mais des états objectifs, répondant aux deux états alternants du Principe, yinn et yang, concentration, et expansion. La réalité profonde, le Principe, reste toujours le même, essentiellement ; mais l’alternance de son repos et de son mouvement, crée le jeu des causes et des effets, un va-et-vient incessant. A ce jeu, le Sage laisse son libre cours. Il s’abstient d’intervenir, ou par action physique, ou par pression morale. Il se garde de mettre son doigt dans l’engrenage des causes, dans le mouvement perpétuel de l’évolution naturelle, de peur de fausser ce mécanisme compliqué et délicat. Tout ce qu’il fait, quand il fait quelque chose, c’est de laisser voir son exemple. Il laisse à chacun sa place au soleil, sa liberté, ses œuvres. Il ne s’attribue pas l’effet général produit (le bon gouvernement), lequel appartient à l’ensemble des causes. Par suite, cet effet (le bon ordre) n’étant pas en butte à la jalousie ou à l’ambition d’autrui, a des chances de durer.



Dans le monde chacun décide du beau

Et cela devient laid.


Par le monde chacun décide du bien

Et cela devient mal.


L’être et le vide (ce qui a une forme et ce qui n’a pas de forme) s’engendrent

L’un l’autre.

Facile et difficile se complètent

Long et court se définissent

Haut et bas se rencontrent

L’un l’autre.

Voix (notes) et sons s’accordent

Avant et après se mêlent.


Ainsi le sage, du non-agir (respect de l’ordre naturel)

Pratique l’œuvre

Et enseigne sans paroles.


Multitudes d’êtres apparaissent

Qu’il ne rejette pas.

Il crée sans posséder

Agit sans rien attendre

Ne s’attache pas à ses œuvres


Et dans cet abandon

Ne demeure pas abandonné.



It is because every one under Heaven recognizes beauty as beauty, that the idea of ugliness exists.

And equally if every one recognized virtue as virtue, this would merely create fresh conceptions of wickedness.

For truly, Being and Not-being grow out of one another;

Difficult and easy complete one another.

Long and short test one another;

High and low determine one another.

Pitch and mode give harmony to one another.

Front and back give sequence to one another.

Therefore the Sage relies on actionless activity,

Carries on wordless teaching,

But the myriad creatures are worked upon by him; he does not disown them.

He rears them, but does not lay claim to them,

Controls them, but does not lean upon them,

Achieves his aim, but does not call attention to what he does;

And for the very reason that he does not call attention to what he does

He is not ejected from fruition of what he has done.



Wenn auf Erden alle das Schöne als schön erkenne,

so ist dadurch schon das Häßliche gesetzt.

Wenn auf Erden alle das Gute als gut erkennen,

so ist dadurch schon das Nichtgute gesetzt.

Denn Sein und Nichtsein erzeugen einander.

Schwer und Leicht vollenden einander.

Lang und Kurz gestalten einander.

Hoch und Tiefverkehren einander.

Stimme und Ton sich vermählen einander.

Vorher und Nachher folgen einander.


Also auch der Berufene:

Er verweilt im Wirken ohne Handeln.

Er übt Belehrung ohne Reden.

AlIe Wesen treten hervor,

und er verweigert sich ihnen nicht.

Er erzeugt und besitzt nicht.

Er wirkt und behält nicht.

Ist das Werk vollbracht,

so verharrt er nicht dabei,

Und eben weil er nicht verharrt,

bleibt er nicht verlassen.

 

Dao de Jing 2


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