Olivier Douville
Mon hommage à Michel Guibal à paraître dans le prochain numéro de la revue Psychologie Clinique
De gauche à droite, Michel Guibal, Olivier Douville, Guy Massat
C’était une fin de matinée, à Amiens. Je reçus un coup de téléphone gorgé des sanglots de mon ex thésarde Xu Dan la nouvelle de la mort de Michal Guibal. J’étais sur le point de sortir d’un taxi devant parler à un colloque sur le corps du jazz. Je n’ai que peu de souvenir de ce que j’ai pu dire à ce moment là, si ce n’est que les volutes du saxophone de Lester Young, la raucité de Bessie Smith, la modalité étirée et disjointe de Coltrane s’entrelaçaient comme pour former une calligraphie chinoise. Je fis à trois reprises ce lapsus insistant entre chorégraphie et calligraphie. Façon sans doute que j’avais, dans un pré deuil, de mettre en résonnance, de faire danser ensemble deux univers autres et pur moi nécessaires, le Jazz et ce que j’ai pu connaître de l’écriture et de la culture chinoise, grâce à Michel Guibal, lui qui m’a ouvert les porte de ce Céleste Empire, me conviant en compagnie de toute un contingent de psychanalystes droit issus de l’Iner-Associatif européen de Psychanalyse à Chengdu, en 2004.
Mais commençons par un commencement. Avant que l’amitié que me portait Michel Guibal m’entraîna au large, Guibal était pour moi un nom. Celui du signataire d’un livre organisé avec quelques autres (dont P. Lévy, A. Cherki, R. Zygouris) sur la thématique « Etranger : Crise/représentation ». Je n’avais pas encore connu l’épreuve du divan, la psychanalyse me fascinait, Lacan surtout, mais tout cela me semblait un peu lointain. La façon dont avec culture et simplicité aussi, sans la moindre esbroufe, ces psychanalystes parlaient de l’étranger me toucha au plus vif. C’est sans doute cette lecture qui me guida, sans même que j’en soupçonnasse alors l’effet, lorsque je fis choix et de m’autoriser de mon diplôme tout frais de psychologue clinicien pour trouver un poste en hôpital psychiatrique, à Ville-Evrard lieu où je travaille encore.
Je rencontrai enfin Michel Guibal. Là où il parlait, dans le cadre de l’association Psychanalyse actuelle. La psychose, l’autisme (avec R. Abibon), la question centrale du miroir, de la motricité, de l’hallucination, du sonore structurant, tels étaient les thèmes sur quoi sa parole rebondissait. Voix chaude, complice, rcoailluse parfois, crépitante d’intelligence et de malice Références à Lacan mais ausi et surtout à P. Aulagnier et G. Pankov dont je me lis à travailler autrement les textes.
Les années passant, les liens se tissèrent. Michel Guibal aida Huo Datong, son analysant chinois, promue star parisienne et professeur de philosophie à l’université du Sichuan, à venir parler à Paris devant un parterre de psychanalystes. Il s’est dit tant d’âneries sur les séances entre Michel et Huo Datong, que je mentionne que les séances ne se déroulèrent pas en anglais, et je le redis car Michel fut de longues et longues années encore profondément peiné par les billevesées qui ont pu être écrites et colportées à ce propos. L’un et l’autre de nos deux protagonistes s’aventurèrent dans la langue qui lui était étrangère ou peu familière.
Il ne s’agit pas en ce quelques lignes de retracer toute l’importance qu’eut pour nos amis de Chengdu (et dans une moindre mesure de Pékin ou de Xian) la présence constamment attentive et bienveillante, généreuse ô combien, de Michel Guibal. J’admire qu’il se soit laissé enseigné là-bas. Qu’il ne se soit pas posé en position de maître d’école ou de missionnaire au rabais enseignant la psychanalyse à ces drôles de sujets du lointain.
Psychanalyse réciproque et anthropologie réciproque, non mimétique, certes, mais respectant le disparité du transfert sans la rabattre sur une relation pédagogique et paternaliste. Il fallait pour cela une intrépidité, une éthique et une belle dose d’humour. Michel Guibal conjugue pour moi la vertu de l’étonnement à la grâce de l’émerveillement. Il aimait bricoler en chinois avec sérieux, sans pontifier le moins du monde. Voilà comment je perçois un peu de son élan, Attentif à ce qu’à de dynamique, de vivant d’instable et d’ouvert plus qu’on le dit, par peur ou paresse, les constructions de la psychoses, heureux d’entendre comment lettre, corps et voix, dansent ensemble autrement dans un monde lointain, Michel est un homme du voyage accompli, de l’errance féconde. Il fonde, non dans l’envie d’occuper la fonction prestigieuse de celui par qui s’ouvre de grands commencements, mais dans l’effet de cet élan qui l’a porté et le portait encore alors qu’il était souffrant et hospitalisé.
Mon dernier souvenir est le suivant. Autour de son lit Jean-Jacques Moscovitz, Patrick Belamich et moi. Nous devisions en douce amitié. Nous étions presque chez nous. Amertume minimale. Rires.
Mais permettez moi de ne pas conclure ce portrait encore un peu flou sur une note douce-amère, mais par un éclat de joie. Je me souviens encore de Michel, heureux comme un enfant ayant découvert une perle roulant dans le chemin, me parlant avec tant de chaleur riante d’un extrait de l’œuvre d’un taoïste tardif, Wang Chong, La balance des discours. Le voici : « Ni Yue excellait dans l'art de défaire les nœuds, rien ne lui résistait et pourtant il se trouva sans recours face à un nœud inextricable. Non qu'il manquât d'ingéniosité, c'est le nœud lui-même qui ne pouvait être défait ; et s'il est néanmoins parvenu à la défaire, c'est pour avoir compris que le nœud était inextricable. » Et Michel de m’expliquer que c’était le même caractère qui selon lui désignait le nouage et le dénouage.
De l’écriture chinoise à la topologie il n’y avait pas pour Michel passage ou rupture comme ce fut le cas chez Lacan mais co-présence. Comment l’humain écrit-il l’inconscient et l’image inconsciente du corps ? Une telle question est aussi urgente que redoutable, nous n’y échappons pas, mais nous pouvons la féconder dans nos trajets, notre travail d’analyste, notre écoute, notre façon de se laisser entamer par l’autre, sans trop se croire séduit ou déposséder.
C’est cette position qui permet que des êtres que tout le culturalisme pose comme étant d’abord différents peuvent et veulent, à l’encontre de ce qui les assignerait à un destin clos, se déborder d’eux –mêmes et de leurs certitudes. Non pour se faire autre, mais pour laisser vire l’autre en soi et hors de soi.
Merci Michel Guibal
Hommage à
Michel Guibal
(1935 - 2017)