Lors de son séminaire du 17 février 1971, Un discours qui ne serait pas du semblant, Lacan trace à la craie un caractère chinois :
厶
Je n'aurai pas repéré ce « détail » sans la remarque de Guy Sizaret, pour la bonne raison que la version du séminaire dont je disposais ne le mentionnait pas !
Lacan fera, en passant, référence au sens de ce caractère qui se dit seu (sī en pinyin). Il est surprenant qu'il lui donne le sens de « retors » qui n'est attesté nul part.
Mais, surtout, il utilisera le graphisme de ce caractère pour « écrire » le rapport entre (je reprends ses termes) :
            1 - les effets de langage
            2 - où ses effets prennent leur principe […] un pas
            3 - le fait de l'écrit
Il insiste sur la dimension graphique de ce qu'il écrit à la craie et regrette pouvoir « y mettre les accents que permet le pinceau ».
La version ancienne, polycopiée, dite de M.Chollet porte le schéma suivant :  
                                                              
Une autre version de M.Chollet se trouve sur le net, celle-ci corrigée et numérisée présente ainsi ce schéma :
                                                                         

Depuis, dans Lacaniana 2, à la page 241, le schéma est repris ainsi :
                                               
Cette version élude les tracés ronds en (1) et (2), et surtout supprime le trait en (3)

J’ai aussi eu l’occasion de découvrir cette version :
                                           
On remarquera que dans cette dernière version, le terme 3, « Le fait de l'écrit » est représenté par un cercle et que l'ensemble du schéma a perdu sa dynamique graphique.

Ceci redonne un éclairage particulier au point de référence et de départ que se donne Lacan, ce caractère 厶. Le fait de l'écrit est bien un trait, ce trait qui rend compte du trait unaire et de l'écriture chinoise. 
Comme le résume Éric Porge : « Le trait unaire marque le un de différence à l’état pur, il manifeste la fonction du signifiant qui, à la différence du signe, ne représente (vorstellen) pas quelque chose pour quelqu’un mais représente (repräsentieren) un sujet pour un autre signifiant. Il est “effaçon” de la chose. Le trait unaire manifeste l’écrit (le phonème, trait différentiel) dans la parole. »
On pourrait donc proposer, en restant au plus près du texte de Lacan :

                                    
                                    
En s’appuyant sur ce schéma Lacan poursuit sa réflexion sur les rapports de l’écrit et du langage. 
L’écrit n’est pas le langage. Mais il ne se construit que de sa référence au langage et il est donc secondaire au langage. C’est pourquoi les questions logiques deviennent possibles par ce détour nécessaire par l’écrit.
L’écrit permet d’interroger le langage. Au-delà, il permet d’interroger l’ordre symbolique qui résulte du langage, soit la « demansion », le lieu de l’Autre de la Vérité.

Je vous propose, ci-dessous, de relire le texte de Lacan :

Pour en quelque sorte prendre départ, départ de ce qui aujourd’hui va être énoncé, et pour lequel ce petit caractère chinois,厶 car c'en est un, c'en est un, je regrette beaucoup que la craie ne me permette pas d’y mettre les accents que permet le pinceau, c'en est un qui a un sens pour satisfaire aux exigences des logico-positivistes, c'est un sens dont vous allez voir qu'il est pleinement ambigu puisqu'il veut à la fois dire "retors", qu'il veut  dire aussi "personnel" au sens de "privé", et puis il en a encore quelques autres. Mais ce qui me paraît remarquable, c’est que sa forme écrite va me permettre tout de suite de vous dire où se placent les termes autour desquels va tourner mon discours d'aujourd'hui.
Si nous placions quelque part ici (1) ce que j'appelle au sens le plus large, et vous allez voir si c’est large, je dois dire que je n'ai pas besoin du sens et de le souligner, les effets de langage, c'est ici (2) que nous aurions à mettre ce dont il s'agit, à savoir où ils prennent leur principe, là où ils prennent leur principe, c'est en cela que le discours analytique est révélateur de quelque chose, qu’il est un pas, je vais essayer de le rappeler, encore qu'il s'agisse pour l'analyse de vérités premières. 
C'est par là que je vais commencer tout de suite. 
Nous aurions ici (3) alors le fait de l'écrit. Il est très important, à notre époque et à partir de certains énoncés qui ont été faits et qui tendent à établir de très regrettables confusions, de rappeler que tout de même l'écrit est non pas premier, mais second par rapport à toute fonction du langage et que néanmoins sans l'écrit, il n'est d'aucune façon possible de revenir à questionner ce qui résulte au premier chef de l'effet du langage comme tel, autrement dit de l'ordre symbolique, c'est à savoir la dimension pour vous faire plaisir, mais vous savez que j'ai introduit le terme de "demansion", la "demansion", la résidence, le lieu de l'Autre de la Vérité. 
Je sais que "demansion" a fait question pour certains. Les échos m'en sont revenus. Eh bien, si "demansion" est en effet un terme nouveau que j'ai introduit, fabriqué, et s'il n'a pas encore de sens, et bien cela veut dire que c'est à vous que ça revient de lui en donner un. Interroger la "demansion" de la vérité, la vérité dans sa demeure, c'est quelque chose, là est le terme, la nouveauté de ce que j'introduis aujourd'hui, qui ne se fait que par l'écrit, et par l'écrit en tant que ceci qu'il n'est que de l'écrit que se constitue la logique. 
Voici ce que j'introduis en ce point de mon discours de cette année : il n'y a de question logique qu'à partir de l'écrit, en tant que l'écrit n'est justement pas le langage. 
Et c'est en cela que j'ai énoncé qu'il n'y a pas de métalangage, que l'écrit même en tant qu'il se distingue du langage est là pour nous montrer que si c’est de l'écrit que s'interroge le langage, c'est justement en tant que l'écrit ne l'est pas, mais qu'il ne se construit, ne se fabrique que de sa référence au langage. 
Après avoir posé ceci qui a l'avantage de vous frayer ma visée, mon dessein, je repars de ceci qui concerne ce point qui est de l'ordre de cette surprise par où se signale l'effet de rebroussement dont j'ai essayé de définir la jonction de la vérité au savoir et que j'ai énoncée en ces termes qu'il n’y a pas de rapport sexuel chez l'être parlant. 
Il y a une première condition qui pourrait tout de suite le faire voir, c'est que le rapport sexuel comme tout autre rapport, au dernier terme, ça ne subsiste que de l'écrit. L'essentiel du rapport, c'est une application : 
                                a appliqué sur b : a / b 
et si vous ne l'écrivez pas a et b, vous ne tenez pas le rapport en tant que tel. 
Ça ne veut pas dire qu'il ne se passe des choses dans le Réel, mais au nom de quoi l’appelleriez-vous rapport ? 
Cette chose grosse comme tout suffirait déjà à rendre, disons, concevable qu'il n'y ait pas de rapport sexuel, mais ça ne trancherait en rien le fait que l'on n'arrive pas à l'écrire. 
Je dirai même plus : il y a quelque chose que l'on a fait déjà depuis un bout de temps, c'est de l'écrire comme cela en se servant de petits signes planétaires, à savoir rapport de ce qui est mâle à ce qui est femelle. L_Seminaire_Sizaret71c.htmlshapeimage_1_link_0shapeimage_1_link_1

Le fait de l’écrit est un trait

Guy Flecher


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