Un millier d’années de bonnes prières et La Princesse du Nebraska, du réalisateur Wayne Wang, sortis en salle en cette fin de juillet 2008, livrent en diptyque deux visages de la femme chinoise. Adaptés d’un recueil de nouvelles de Yiyun Li, ces deux films intimistes entrent en résonance. Partant tous deux d’un point d’hétérotopie, l’exil en Amérique, ils explorent deux temps de la vie d’une femme mais aussi deux époques d’une Chine en mutation. Dix films à son actif, Wayne Wang révélé par Smoke et Brooklyn Boogie, réfugié à 18 ans à Hong Kong puis en Californie pour fuir le début de la Révolution Culturelle, sait de quoi il parle.
Dans Un millier d’années de bonnes prières, c’est le lien d’une fille, Yilan, à son père qui déplie les derniers soubresauts de la piété filiale confucéenne tandis que dans La Princesse du Nebraska, les déambulations de Sasha, étudiante chinoise, témoignent d’une Chine libérée de ses traditions et de sa structure collective. L’Amérique induit le mouvement. Dans le premier essai, l’inscription publicitaire Kum and Go (Come and Go) retient l’attention du père d’Yilan ébloui par la facilité de contact des Américains alors que dans le second c’est Moving On qui soutient l’errance de Sasha, enceinte des œuvres d’un chanteur de l’Opéra de Pékin. « Bouger » rompt les amarres avec « aller et venir » encore soutenu par des repères.
Les deux histoires commencent par une arrivée à l’aéroport. Dans Un millier d’années de bonnes prières la fille, Yilan, qui vit aux Etats-Unis est venu attendre son père, s’amusant de le voir ébloui par la facilité de contact des Américains alors que c’est le ballet désemparé et agacé de deux pieds enchâssés dans de jolis escarpins rouge vernis, réminiscences des petits pieds en lotus, qui traduisent l’attente vaine de La Princesse du Nebraska. Personne n’est venu l’accueillir. Lien familial d’un côté, solitude de l’autre. Le premier film déplie la manière dont Yilan, aux prises encore avec la piété filiale confucéenne responsable « de la moitié de la littérature chinoise » s’en dégage. Son père, à la fin du film, repart seul en train. Les routes se séparent mais sans rupture. Avec La Princesse du Nebraska le parcours se fait plus chaotique. En effet, Sasha, est seule. Même entourée, personne ne se soucie d’elle. Se cherche-t-elle ? Elle répondra au cours d’un dîner qu’elle est « rien » Vient-elle retrouver l’homme américain qui, comme elle, aimait son amant ? Le constat est lucide et désenchanté. Comme le dit le proverbe chinois, « il faut 300 prières pour traverser un fleuve avec quelqu’un mais il en faut 3 000 pour partager un oreiller » Avant tout, elle cherche une solution pour ce bébé qu’elle porte. Veut-elle le vendre ? Peut-être, mais à condition d’obtenir une plus value liée à la beauté du père. La fin du film la montrera, une fois sa décision prise (on ne dira bien sûr pas laquelle), au milieu de nulle part, flottante, solitaire.
Tout l’art de Wayne Wang est de faire vivre ce bouleversement par un traitement particulier des images. Dans Un millier d’années de bonnes prières, les prises de vue restent plutôt conventionnelles avec des plans immobiles, des images indirectes, à l’image de la relation du père avec sa fille. Dans La Princesse du Nebraska, la caméra, désarrimée, secoue le spectateur avec des images percutées par les émois, secouées par la révolte ou encore floutées, tel une expression de l’errance identitaire.
La force du propos de Wayne Wang réside dans l’enjeu de la langue posée comme pivot de l’ouverture, de la libération de l’être, au-delà du code des conduites. Dans Un millier d’années de bonnes prières, Yilan explique à son père, qui s’inquiète de ne pas la voir joyeuse, que le mandarin l’enferme et ne lui permet pas d’exprimer ses émotions là où la langue américaine le lui permet. La Princesse du Nebraska témoigne du franchissement, les langues sont décloisonnées : le mandarin n’est plus seulement l’apanage des Chinois puisque l’ami américain parle la même langue que Sasha. On l’aura compris, avec Un millier d’années de bonnes prières et La Princesse du Nebraska Wayne Wang nous entraîne au-delà de l’analyse sociologique faisant ressentir une nation en pleine évolution.
À l’heure des J.O. de Pékin, il pose avec acuité la question de la liberté et de l’identité, avec l’exil comme révélateur de sa part de création.