1. Introduction

Mon exposé d'aujourd'hui a été introduit au cours du séminaire de Michel Guibal du 20 octobre 2011. J'y parlais de Gottfried Wilhelm Leibniz (1646-1716) et de ses relations assidues à la Chine. Il a aussi été question des mathématiques chinoises et de leur place dans la culture, assez différente de celle qu'occupent les mathématiques en Europe. Et finalement, c'est sous les auspices de ces deux figures, Leibniz et les mathématiques chinoises, que je voudrais placer ce qui va suivre.

La première moitié de mon texte est ponctuée par plusieurs questions que quelques-uns d'entre vous pourront juger naïves, mais qui veulent, chaque fois qu'il est possible, exprimer les difficultés que nous, psychanalystes français, non-sinologues, pouvons rencontrer au contact du monde chinois.


La référence aux mathématiques n'est pas négligeable quand on s'intéresse à la psychanalyse. On sait que Lacan leur a donné une place importante dans son enseignement ; notamment parce qu'elles sont « intégralement transmissibles », c'est son mot en 1973 [1]. Et Lacan était vivement préoccupé par la transmission de la psychanalyse. Par transmission j'entends bien, pour ma part, cet échange réciproque entre la Chine et l'Europe sur une question aussi cruciale que celle du corps.


Question 1. Si les mathématiques sont intégralement transmissibles, c'est qu'elles sont universelles. Cette affirmation est contestée. Et par ailleurs les mathématiques n'occupent pas, dans toutes les cultures, le statut de référence que les Français, par exemple, leur attribuent. C'est le cas notamment en Chine.

Un numéro récent du Times [2] cite la blague suivante (« an old joke ») : un type tend le plan d'une ville à un Français. Celui-ci la regarde, secoue la tête, et dit : « Bon, ce truc est probablement utile en pratique, mais comment ça marche en théorie ? »

Il est donc tout à fait possible que l'appui que je cherche auprès des mathématiques se dérobe sous mes pieds, ici même.


Nous allons cependant — c'est un forçage — tenter d’aborder la présence du corps dans la cure en nous aidant d'une mathématique très simple qui consiste à user d’une figure topologique employée par Lacan à partir de 1974.


Question 2. Est-ce que la topologie, une topologie simple, accessible par les non-mathématiciens, peut constituer un élément de langage commun, graphique, entre psychanalystes chinois et français ? (Ça ne marche pas toujours entre les psychanalystes français eux-mêmes).


La figure topologique dont il va être question est un nœud borroméen.


Rappelons rapidement ce qu’est un nœud borroméen. Il s’agit d’une figure, composée de trois anneaux noués de telle manière que si l’on détache l’un d’entre eux, les deux autres ne tiennent plus ensemble. Lacan l'introduit dans son séminaire Ou pire, le 9 février 1972, il y a quarante ans.


Figure 1

Avant d'être l'emblème de la famille Borromée, la figure des trois nœuds décorait la porte de l'église San Sigismondo, à Crémone (Italie, 1536-1542)

voir par ici



Question 3. Outre l'emblème de la famille Borromée (Italie, XVIIe siècle) qui lui a donné son nom, on trouve des exemples de nœud borroméen dans l’iconographie européenne depuis plusieurs siècles (Scandinavie, VIIe siècle) [3]. C'est une question que l'on peut se poser : existe-t-il des formes borroméennes dans la culture chinoise ?


2. Le corps

Il se trouve que le corps est abordé par Lacan de multiples façons. Ainsi en introduit-il une présentation borroméenne au cours d'une conférence au Centre culturel français de Rome, intitulée La Troisième (29 novembre 1974 [4]) et qu'il précise dans le séminaire suivant (RSI, 1974-1975 [5]).

Cette présentation la voici, telle qu’elle a été éditée par Patrick Valas. (P. Valas [6], dont je veux ici signaler les travaux, est l’un des rares psychanalystes, avec Jean Guir qui ait entrepris une théorie de la psychosomatique d’inspiration lacanienne, depuis sa clinique).


Nous avons donc deux schémas :

           

Figure 2

(Cf. La Troisième, sur le site de Patrick Valas) 



Figure 3

Il s'agit ici d'un dessin produit par P. Valas à partir de celui de Lacan dans La troisième et les séminaires suivants. Je l'ai légèrement simplifié en ôtant les notions que je ne pourrais pas moi-même commenter (ek-sistence, faux trou, etc.) mais que l'on retrouvera sur le site de P. Valas (figure 4).





Figure 4

(Cf. La Troisième, sur le site de Patrick Valas)


Tao Xinghua, une collègue de Yan Helaï, a bien voulu traduire en chinois, à Paris, les différents termes qui figurent sur le dessin de Lacan (voir ci-dessus).


Question 4. Ce dessin comporte des notions difficiles (la jouissance phallique par exemple), et je suppose que leur traduction en chinois peut être l'objet d'âpres discussions. Ainsi ai-je entendu Michel Guibal signaler qu'il y avait dix caractères possibles pour désigner le corps [7]. Sans compter qu'on puisse déceler dans le caractère (shēn) l'inscription de la fonction phallique, si j'en crois les indications de Yan Helaï et mon dictionnaire étymologique [8].


Ce qu'on remarque, c'est que pour Lacan le corps est placé du côté de l'imaginaire. Si l'on considère qu'il existe un soubassement à la culture chinoise inspiré par le taoïsme, alors le dispositif lacanien ne tient pas. Car il me semble que le corps chinois est placé du côté du symbolique. Si j'en crois Kristofer Schipper [9], et son Corps taoïste (1982), « le corps de l'homme est l'image d'un pays » [10]. Ainsi Schipper sur quelques très belles pages entreprend-il une description du corps depuis la tête comme « une chaîne de pics qui entourent un lac central » (page 145) jusqu'aux « régions les plus profondes du corps, au fond de l'océan, où s'ouvre un trou béant qui siphonne les eaux et les énergies du Champ de cinabre [dāntián, 丹田] ».


Question 5. Comment le corps imaginaire lacanien peut-il être confronté, dans ces conditions, avec le corps symbolique de la culture chinoise ?


Question 6. Quel corps, symbolique ou imaginaire, mettent en évidence les cures entreprises en Chine ?



3. Les phénomènes psychosomatiques

Nous allons aborder maintenant la question des événements « corporels » qui peuvent se produire au cours de la cure psychanalytique et plus précisément en fin de cure. Certains psychanalystes parlent de « phénomènes psychosomatiques ». Pour moi j’emploie provisoirement le mot « corporel », entre guillemets, qui n’est pas plus satisfaisant [11].


Mais cependant il est fondamental de faire un crochet par les théories de la psychosomatique.

Précisons toutefois que la notion de psychosomatique est nouvelle en Chine, importée d'Occident. Précisons également que la psychosomatique, dans son acception psychanalytique, n'est pas non plus très ancienne en Occident, puisque c'est Félix Deutsch (1884-1964) qui, bravant la méfiance de Freud, inaugure le concept dans les années 1920.


Question 7. Une question vient immédiatement à l'esprit, naïve certes : quels peuvent être les rapports entre la notion occidentale de psychosomatique et le corps tel qu'il est appréhendé par le monde chinois, par la voie notamment de la médecine traditionnelle ? Y a-t-il eu des études sérieuses sur ce point ?


Lacan parle peu de psychosomatique, pour des raisons qui concernent l'histoire de la psychanalyse en France. Il l'aborde cependant par le biais d'une « jouissance spécifique » [12], qui, de mon point de vue, n'a pas encore perdu sa part d'énigme.


C'est sur cette jouissance que s'appuient les quelques élèves de Lacan qui s'intéressent à une théorie lacanienne des phénomènes psychosomatiques, radicalement distinctes des théories venues des États-Unis. D'autres écoles tentent d'explorer la voie ouverte par Freud qui place la pulsion à la limite entre le psychique et le somatique [13].


J. Guir [14] avance que certains phénomènes psychosomatiques peuvent être interprétés en convoquant la jouissance du corps de l'Autre et/ou la jouissance phallique.

La théorie lacanienne de la psychosomatique nous apporte par ailleurs une autre notion qui est celle d’ « agglutination » [15] entre signifiant maître (S1) et savoir inconscient (S2) [16] que l’on trouve à la racine de certains phénomènes organiques.

Pour ce que l'on sait, il apparaît que c'est le « décollement » entre S1 et S2 au cours de la cure qui permet bien souvent la guérison de la maladie ou sa rémission, parfois surprenante, dans des cas d'asthme, d'eczéma, de psoriasis, d'alopécie, d'hypertension et d'autres pathologies cardio-vasculaires, de rectocolite hémorragique, de maladie de Crohn, etc., et de cancer même.


Question 8. Il apparaît cependant que la plupart des théories psychosomatiques passent par une interprétation symbolique des affections dont souffrent les patients ; ainsi des parties précises du corps peuvent-elles être liées symboliquement à l'univers inconscient du sujet. Sommes-nous ici en frottement avec l'énoncé lacanien du corps imaginaire ? Mieux encore, la psychosomatique offre-t-elle spécialement une plateforme d'échange avec le monde chinois (voir ma question 5)


Passons à tout autre chose. J. Guir observe « que l'éclatement d'un phénomène psychosomatique lors d'une cure ou après une cure de névrosé classique est le signal d'alarme donné par le patient pour signifier que la castration symbolique n'est pas réalisée. [17] » Nous reviendrons sur ce point à la fin de mon exposé.

J'avance pour ma part l'hypothèse qu'il arrive parfois, exceptionnellement, chez certains patients, qu'un phénomène organique qui peut être grave, se déclenche incidemment au moment de la libération du passage entre S1 et S2, si toutefois le Nom du Père est fortement impliqué. C'est à ce moment également qu'un « accident » peut survenir (accident de la circulation, accident domestique, etc.). Peut-on évoquer ici une similarité entre une forme d'acting out (l'accident de la circulation) et un acting in, la formule est de J. Guir, l'accident somatique ? « Un agir au dehors orienté vers le dedans », selon le mot d'André Green (1927-2012) [18]. Nous touchons là, mais par un biais singulier, à la présence du corps dans la cure.


Il serait tentant, à ce moment de mon exposé, de revenir au schéma de La Troisième et de glisser une flèche ici ou là. On pourrait imaginer une flèche, par exemple, entre « Corps » et « Symbolique » qui passerait sous « l'Inhibition ». Mais pour ma part, je ne m'y risque pas. C'est d'ailleurs toute la difficulté des schémas de Lacan : on voudrait y apporter sa touche et certains d'ailleurs y vont de bon cœur. Le problème c'est que Lacan n'est plus là pour examiner ces propositions. Pour ma part, je considère ces dessins comme les cartes d'un territoire (et qui donc s'autoriserait à modifier la carte de Chine par exemple en intervertissant le Fujian et le Sichuan ?). Et ces cartes, je tâche de m'en servir pour m'orienter dans les cures. Le schéma de La Troisième me semble particulièrement utile si l'on veut observer l'articulation entre « Jouissance de l'Autre », « Jouissance phallique » et « Sens ». Différemment du Français de la blague du Times de tout à l'heure, je signale que cette carte marche pratiquement et aussi théoriquement.


4. Les phénomènes « corporels » qui se produisent au cours d’une cure

De quoi s’agit-il ? J’ai distingué, provisoirement, trois types de phénomènes, d’intérêts contrastés. Les deux premiers peuvent se produire au cours de la cure :

a. Certains ressentis physiologiques qui apparaissent sur le divan ;

b. Certains phénomènes somatiques bénins, souvent dermatologiques ;

Le troisième type de phénomène se produit spécifiquement à la fin de la cure :

c. Ce sont des effets biologiques et qui peuvent avoir des conséquences plus sérieuses.


a. Décollement

J'ai relevé pour ma part, de multiples anecdotes où, sur le divan, à un moment de levée du refoulé, ou de révélation d'un fantasme inconscient, l'analysant vous dit qu'il se sent envahi par une sensation bizarre, physique, comme un événement physiologique. Certains analysants parlent de fourmillements dans tout le corps, pouvant aller jusqu'à l'étourdissement.

Il se trouve que Freud évoque cette sorte d'événement dans « L'analyse avec fin et l'analyse sans fin » (1937) ; il s'agit de « perceptions de soi (Selbstwahrnehmungen) à l’émergence du refoulé qui par ailleurs seraient peu dignes de foi » [19].

Au cours de ces événements, c’est, de mon point de vue, le contraire du phénomène psychosomatique qui a lieu : la libération du passage entre S1 et S2, le décollement des deux signifiants, produit un « phénomène physiologique » (des endocrinologues peut-être parleraient d'une décharge hormonale ?). Je note ces moments spéciaux de la cure (même s’ils paraissent anecdotiques) parce qu'ils réclament la présence effective de l'analysant sur le divan et, il faut insister sur ce point, la présence à ses côtés du corps du psychanalyste.

J'ai qualifié ces phénomènes de « physiologiques » afin de les faire résonner avec la φύσις (phusis) grecque, la nature. Mais il faut tenir compte de la différence entre le concept grec de nature et son correspondant chinois.


b. Trait unique

Nous sommes sans doute quelques-uns à avoir été les témoins (ou les sujets) de phénomènes tout à fait singuliers, où un événement somatique bénin, souvent dermatologique, avec lésion, se produit sur le corps de l'analysant (pourvu qu'il soit bien installé dans le transfert). Cet événement renvoie parfois à une jouissance « particulière » du psychanalyste, du corps du psychanalyste.

De mon point de vue encore, il s'agit ici de phénomènes spécifiques à la cure psychanalytique et à son dispositif, et non pas de conversion hystérique au sens habituel — on constate une lésion organique —, ni de phénomènes psychosomatiques classiques. Mais probablement sommes-nous tout de même dans le cadre général de l'hystérie.

Ces phénomènes, je les relie à ce que Freud appelle einziger Zug (L'interprétation des rêves, 1900 et L'identification, 1921) qui est traduit, classiquement, par « un seul trait » ou « trait unique » [20], et par Lacan par « trait unaire » (Séance du 6 décembre 1961 du séminaire L'identification, où Lacan parle justement de calligraphie chinoise). Mais pour ma part, je préfère pour l'instant garder l'intitulé « trait unique », le « trait unaire » de Lacan nous amènerait à tout autre chose.

Voici le passage de L'Interprétation qui nous intéresse : « Je peux fabriquer une personne commune [21] […] en réunissant en une seule image de rêve les traits de deux ou plusieurs personnes. C'est ainsi qu'a été formé le Dr M. de mon rêve : il porte le nom de M., il parle et il agit comme lui ; ses caractéristiques physiques, sa maladie, sont celles […] de mon frère aîné. Un seul trait [22], sa pâleur, […] est commun aux deux personnes ». Dans ces phénomènes qui nous occupent, le trait unique ne concerne pas le rêve, mais passe dans « le réel du corps » [23]. On remarquera que le trait unique du rêve de Freud est tout de même un phénomène pathologique.

C'est la raison pour laquelle je qualifie cette sorte de phénomènes de « somatique », qui vient du σῶμα (sôma) grec. Et cette opération n'est pas simple, si l'on veut bien se souvenir de Platon et du Cratyle [24] (400c) : « Quelques-uns appellent le corps le tombeau (σῆμα, séma), de l’âme où elle serait présentement ensevelie ». Tout le paradoxe du Cratyle tient dans le σῆμα qui veut dire aussi « signe ».


c. « Truc irréductible »

Il faut évoquer enfin certains phénomènes, dont on parle peu, mais dont j'ai été pour ma part le témoin et que relève Marcel Czermak, l'un des grands psychiatres français, élève de Lacan : « […] la plupart des gens qui ont fait une vraie analyse [25], dit Czermak, une qui va un peu loin, ont tous [26], à un moment ou à un autre, des effets psychosomatiques. C'est-à-dire que quelque chose a été là mobilisé, qui reste pour leurs analystes toujours énigmatique, qui ne s'offre pas à l'interprétation, qui est un truc irréductible, comme le serait effectivement, par ailleurs, une hallucination qui va répondre dans le réel. Ça, il s'agit de manifestation et non, à proprement parler, de maladie psychosomatique, comme le serait une rectocolite hémorragique. » [27]

Ce serait un peu délicat, ici, de parler de ma propre expérience, mais j'ai trouvé sur Internet un récit très intéressant. Gabrielle Devallet-Gimpel est psychiatre, psychanalyste et membre de l’Association de Psychanalyse Jacques Lacan, qui tenait un congrès en mai 2007, près de Wiesbaden en Allemagne. Et voici ce qu'elle dit d'un phénomène qui s'est produit à la fin de sa propre cure (qui correspondait, dit-elle, à un moment de sa passe) : « J’avais une recrudescence d’allergies diverses [et] à un moment apparaissait une allergie au niveau de la cornée de mon œil gauche, un phénomène qui faisait penser à un processus auto-immune ou une neurodermite de la conjonctive. Ce processus n’avait pas de sens, arrivait là comme un cheveu sur la soupe, ne renvoyait à rien (ne faisait pas métaphore comme l’allergie et sa toux qui pouvaient renvoyer à un désir, par exemple). Il y avait une tache laiteuse sur ma cornée. » [28]

Je n'ai retenu que ce fragment, mais le texte de Gabrielle Devallet-Gimpel est bien plus riche et mérite d'être lu avec attention.

Il s'agit là d'un phénomène bénin somme toute, et passager (G. Devallet-Gimpel ne dit rien de ce qu'il est advenu de cette tâche laiteuse). Mais des phénomènes d'une plus grande ampleur médical et plus durable, peuvent se produire en fin de cure, « une qui va un peu loin » comme dit M. Czermak,

C'est la raison pour laquelle je vous propose d'appeler « biologiques » ces phénomènes qui interviennent en fin de cure. De βιος (bios), la vie.

Ce qui nous amène à l'hypothèse que je voudrais vous proposer : c'est que ces phénomènes ne résistent pas forcément à toute forme d'interprétation, mais qu'ils ont à voir, en effet, avec « un truc irréductible ».


5. Hypothèses

Je voudrais donc vous soumettre quelques propositions concernant ces phénomènes biologiques qui se produisent en fin de cure :

Proposition I. Il ne s'agit pas de « phénomènes psychosomatiques ».

Proposition II. C'est la limite du corps qui est touchée.

Scolie 1. C'est le coût-en-plus d'une cure réussie, un autre sens qui est donné à la relation du sujet à son corps.

Scolie 2. C'est un arrangement entre le corps et l'inconscient : un « plus-de-vivre » (au sens du « surexister » dont parlent les comédiens quand ils sont devant le public). Ici, je fais référence à « la science la vie », que Lacan installe sur son nœud borroméen de 1974.

Proposition III. Il s'agit en effet d'une jouissance spécifique, qui croise Jouissance de l'Autre, Jouissance phallique et Sens (« J'ouïs sens » comme on l'attribue à Lacan à partir de RSI, 8 avril 1975).

Scolie. C'est un « implant phallique » spécifique (je dois cette notion à Hélène Godefroy), lié à la jouissance phallique ; et le phallus ultime, c'est le « réel du corps », le roc du biologique (nous allons y revenir dans un instant).

Proposition IV. Ce moment de fin de cure où apparaît le phénomène biologique se place peut-être entre castration (voir J. Guir plus haut) et « sens », la troisième boucle du motif constitué par la Jouissance de l'Autre et la Jouissance phallique.


Nous touchons à la fin de mon exposé que j'ai intitulée « asymptote », façon de revenir aux mathématiques, et d'évoquer cette figure qui se rapproche à l'infini de sa limite sans jamais y atteindre. Il se trouve que le mot viendrait d'Hippocrate (460-370 av. J.-C.) et du langage médical, et il signifie étymologiquement, « ce qui ne tombe pas ». Une asymptote, somme toute, c'est une métaphore pour « l'analyse interminable » qu'évoque Freud en 1937, et dans cette « analyse interminable » le corps et ses effets biologiques viennent occuper la place de « l'intégrale [29] », au sens de Lacan avançant qu'une langue n'est que l'intégrale de ses équivoques [30]. Peut-on avancer qu'un corps n'est que l'intégrale des symptômes que son histoire y a laissé persister ? Le symptôme, au contraire de l'asymptote, c'est ce qui tombe.


Finissons-en. Avec la scolie de ma proposition III, nous revenons à Sigmund Freud.

On connaît son mot, paraphrasant Napoléon : « L'anatomie, c'est le destin » [31] (1924). On connaît aussi la suite, en 1937 : « Pour le psychique, le biologique joue véritablement le rôle du roc d'origine sous-jacent » [32]. C'est sur le biologique de Freud que je veux appuyer les « effets biologiques » dont il était question tout à l'heure.

Ces deux fragments portent sur la différence des sexes, leur différence anatomique (le physiologique, le somatique, le biologique, ce n'est pas l'anatomique). Mais je vais appuyer ce qui va suivre de quelques lignes du même texte de 1924 : « L'individu tout entier, lui aussi, est bien, dès sa naissance, destiné à mourir, et sa constitution organique contient peut-être déjà l'indication de ce dont il mourra. Il n'en reste pas moins intéressant de suivre la façon dont le programme inné est exécuté, et la manière dont les coups du sort [33] tirent parti de la disposition. »

À mon tour de paraphraser Freud, à propos de ces effets biologiques qui se produisent en fin de cure, dans l'espoir de rejoindre quelque chose que j'imagine de la pensée du corps en Chine.

Voici ma proposition : le destin, c'est le corps.








 

La cure, le corps, une asymptote


Michel Durel


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Ce texte a été prononcé au cours du colloque

« La présence du corps dans la cure psychanalytique »

qui s'est tenu à l'Université du Sichuan (Chengdu) en avril 2012.
















[1]. « […] ledit langage comporte une inertie considérable, ce qui se voit à comparer son fonctionnement aux signes qu'on appelle mathématiques, mathèmes, uniquement de ce fait qu'eux se transmettent intégralement. On ne sait absolument pas ce qu'ils veulent dire, mais ils se transmettent. » J. Lacan, Le séminaire, livre XX, 1972-1973, Encore, Seuil, 1975 ; 8 mai 1973, page 100.

[2]. 23 janvier 2012, page 40.




































[3]. Je vous invite à visiter le site suivant (en anglais), très complet : http://www.liv.ac.uk/~spmr02/rings/index.html



[4]. Voir http://www.valas.fr et La Troisième par ouï-lire http://noeud-de-borromee.com/articles.php?lng=fr&pg=1436 et http://noeud-de-borromee.com/articles.php?lng=fr&pg=547.

[5]. Voir sur http://www.valas.fr, RSI : L’écolier lacanien en 27 petits cahiers, nº 22.

[6]. Voir son site http://www.valas.fr



















































































[7]. Voir également Gilles Roghe, Corps, processus et formation dans la transmission traditionnelle chinoise, http://www.lacanchine.com/Roghe_01.html.

[8]. Wang Hongyuan, Aux sources de l'écriture chinoise, Sinolingua, Beijing, 1994, page 4.

[9]. K. Schipper, né en Suède en 1934, études aux Pays-bas, professeur à l'École pratique des hautes études, initié au taoïsme en 1968 (École Zhengyi), il enseigne actuellement à l'université de Fuzhou (Fujian).

[10]. Fayard, 1997, page 142.











[11]. Il m'est inspiré par un ouvrage récent Le Corporel, nouvelles approches en psychosomatique, sous la direction de Pascal-Henri Keller (Dunod, 2010), auquel a participé notre ami Olivier Douville. Il semble que le terme « corporel » tende à remplacer aujourd'hui « le somatique » dans la littérature psychanalytique.












[12]. J. Lacan, 10 avril 1976, Conférence à Genève sur le symptôme. Voir « Pas-tout Lacan », http://www.ecole-lacanienne.net/bibliotheque.php?id=10

[13]. « Triebe und Triebschicksale », Internationale Zeitschrift fϋr ärztliche Psychoanalise, volume 3, 1915,  pages. 84-100). « Pulsions et destin des pulsions », Métapsychologie, 1968, Gallimard (Folio Essais) page 17.

[14]. J. Guir, La maladie psychosomatique : « Une Père-version » ?, http://www.guir.fr/

[16]. J. Guir, Phénomènes psychosomatiques et fonction paternelle, http://www.guir.fr/

[17]. J. Guir, op. cit.













[17]. J. Guir, Psychosomatique et cancer, Point hors ligne, 1983, page 142 (épuisé, téléchargeable à cette adresse : http://www.guir.fr/).






[18]. A. Green, Le discours vivant, Puf, 1973, page 181.





























[19]. Je dois à Gabrielle Devallet-Gimpel (http://www.apjl.org/spip.php?page=archives&id_rubrique=22) d'avoir attiré mon attention sur ce fragment du texte de Freud (« L'analyse avec fin et l'analyse sans fin », in Résultats, idées, problèmes, tome II, Puf, 1992, page 264 ; « Die endliche und die unendliche Analyse », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. 23 (2), 1937, page 236.















[20]. Die Traumdeutung, 1900, page 202. J'ai pris en considération trois traductions : Puf, 1967, page 254 ; OC, Puf, 2004, page 336 ; Seuil, 2010, page 335. On trouve Einzigen Zug dans Massenpsychologie und Ich-Analyse, Internationaler Psychoanalytischer Verlag, 1921, page 70 (OC. Vol. XVI, Psychologie des foules et analyse du moi, Puf, 1991).

[21]. C'est ma traduction de Sammelperson, différente de celle des Puf (« personne collective ») et du Seuil (« personne globale »). On voit dans ce court extrait toute la difficulté que nous avons, nous Français, à traduire l'allemand de Freud. Je me demande si l'écriture chinoise ne permet pas d'exprimer mieux ce que Freud appelle, par exemple, Sammelperson ?

[22]. Souligné par moi.

[23]. Voir le texte de G. Devallet-Gimpel cité en note 20.  

[24]. Voir la traduction de V. Cousin sur http://fr.wikisource.org

[25]. Souligné par moi.

[26]. Idem.

[27]. Juin 2007, Journées sur l' « Approche des problèmes psychosomatiques à partir du noeud borroméen » à l'Association Lacanienne Internationale. Le texte de M. Czermak se trouve ici : http://www.freud-lacan.com/articles/article.php?url_article=mczermak300607









[28]. « Le réel du corps en fin de cure, des phénomènes psychosomatiques à des moments de passe ». http://www.apjl.org/spip.php?page=archives&id_rubrique=22






























[29]. On retrouve ici Leibniz, inventeur en même temps que Newton du calcul intégral.

[30]. « Une langue n´est rien de plus que l´intégrale des équivoques que son histoire y a laissé persister »(« L´étourdit », Scilicet, 1973, voir http://www.ecole-lacanienne.net/pastoutlacan70.php)

[31]. « La disparition du complexe d’Œdipe » (1924) ; « Der Untergang des Ödipuskomplexes », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. 10 (3), 1924, page 250. Napoléon à Goethe (1739-1842), le 2 octobre 1808 (Erfurt, Allemagne) : « Que nous veut-on aujourd'hui avec le destin ? Le destin, c'est la politique », (Goethe, Annales de 1749 à 1822, http://fr.wikisource.org/wiki/Annales_de_1749_à_1822).

[32]. « Analyse terminée et analyse interminable » ; « Die endliche und die unendliche Analyse », Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, vol. 23 (2), 1937, page 240.

[33]. Souligné par moi. La première manifestation du cancer de la mâchoire, dont Freud mourra en 1939, date de 1923.