Nous présenterons le projet pour le séminaire de l’année prochaine, séminaire qui s’inscrira dans une préparation du colloque de 2012 à Chengdu dont le thème poursuivra en tenant compte des effets d’après-coup le colloque du printemps 2010 : « La nature de l’être parlant chez Mengzi ».
Nous travaillerons la question du passage de l’oralité des cures psychanalytiques à l’écriture de cette oralité aussi bien dans une langue alphabétique (dont on peut faire l’hypothèse que J. Lacan, aussi bien que S. Freud, ne se satisfaisaient pas.), que dans ce que l’on peut nommer la graphie chinoise.
Nous travaillerons aussi bien la question du passage du corps à sa mise en mots dans la cure, mais aussi du passage du corps au texte, une textualité corporelle cheminant indépendamment de sa mise en langage parlé.
Une question d’emblée sera travaillée qu’est-ce qu’un corps aussi bien dans la tradition occidentale (référence obligée à Spinoza, et Derrida — donc la relation Derrida - J. Lacan), que dans la tradition chinoise ?
Pour l’année prochaine lecture indispensable :
La théorie spinoziste des rapports Corps/Esprit et ses usages actuels. sous la direction de Chantal Jacquet, Pascal severac et Ariel Suhamy, éditions Herman, 2 009.
Du corps au texte — approches comparatives, édité par Brigitte Baptandier et Giordana Charuty, Publications de la Société d'ethnologie, Nanterre, 2 008.
La vision dans l’imaginaire et dans la philosophie chinoise de la Chine antique. Anna Ghiglione, édition You Feng, 2 010.
Thèse de Lu Yachuan 路亞娟, Une autre voie pour les Chinois ou comment la psychanalyse pourrait s’inscrire dans le monde chinois.
Et bien sûr :
La dame du bord de l’eau, Brigitte Berthier. Publications de la Société d'ethnologie, Nanterre, 1988.
Du corps au texte comprend la question du sexe au texte, mais il s’agirait de passer du sexe à Eros et Thanatos qui permettrait, peut-être de trouver une passerelle moins fragile pour les allers et retours de « la psychanalyse » entre la Chine et l’Europe. Pour cela cette participation d’Henry Fontana nous paraît essentielle :
EROS
Tout d'abord, lorsque l'on parle de Eros, il nous faut, en grec, bien distinguer deux termes : 1. εpo_s (eros - avec 0 micron) et 2. εpω_s (erôs - avec 0 méga). Et tout de suite noter une certaine chronologie dans l'introduction de ce mot en langue grecque : 1. εpo_s puis 2. εpω_s.
Le premier terme : εpo_s (eros - 0 micron) signifie le désir comme tel, appelé aussi « le grand désir ». C'est le désir des sens. On dit de ce terme qu'il est εροεις (eroeïs), c'est-à-dire « aimable » Ainsi, il est immédiatement nécessaire d'entendre que quand il s'agit d'eros (0 micron), nous avons affaire à de « l'aimable »
Ce premier sens nous vient du verbe ερομαι (eromaï) qui veut dire « demander quelque chose » ou « interroger quelque chose ». Attaché à la question des sens, eros suscite ici une demande en vue d'une finalité aimable. C'est-à-dire pour le bien du sujet et précisément pour que son esprit soit soutenu particulièrement face à la question de la mort.
Le second terme : εpω_s (erôs - 0 méga) évoque le désir de l'objet. C'est le désir d'amour… de quelqu'un. Ce désir inclut un mouvement impérieux. Contrairement à eros qui est aimable (eroeïs), cet erôs-ci (0 méga) est ερωη (erôè), c'est-à-dire donc « impérieux », à savoir nécessaire comme peut l'être le désir et nullement accidentel comme pourrait l'être le besoin.
Alors que le terme précédent venait du verbe ερομαι (demander quelque chose - de façon générale), ce terme-ci vient, lui, du verbe ερωταω (erôtaô)1 qui veut dire « demander quelque chose… à quelqu'un », en vue d'une conclusion. Il signifie aussi « se questionner afin d'aboutir à une conclusion ». ερω_s pose indubitablement une question. D'ailleurs, en grec, « la question, l'interrogation », cela se dit aussi, ερωτημα (erôtèma).
Erôs, entendu ainsi, s'apparente, bien sûr aussi au verbe ειρω (eïrô) qui signifie « dire », et qui plus est « nouer en parlant ».
Ainsi, très vite, dans la langue grecque le mot Erôs (ερω s) a signifié le Principe Cosmogonique. La cosmogonie (κοσμογονια) est la théorie relative à la formation de l'univers en général, avec tout ce qui y naît et tout ce qui y meurt. Car la cosmogonie symbolise l'engendrement γονη (gonè) ordonné κοαμ_s (cosmos). Gonè se révèle proche de gunè (γυνη) qui veut dire la « femme ».
Et, bien sûr, à la Cour des dieux, on a fait de ΕΡΩΣ (Eros avec 0 mega) le dieu de l'Amour par excellence, comme par excellence, on a aussi fait de ΘΑΝΑΤΟΣ (Thanatos) le dieu de la Mort. Car sans la question (erôtèma) de la mort — et sa réalité — l'esprit humain n'est plus soutenu.
C'est ainsi que le Parménide écrivit qu'Eros est le plus grand parmi les dieux. « Celui qui fut songé en premier », disait-il. Celui qui donne à nos rêves de quoi asseoir l'assurance qu'il ne faut pas renoncer au désir. Un peu comme pour reconnaître que tout naît, que tout s'instaure et que tout s'invente par la grâce d'une production, d'une interrogation et d'une création qui, à la jouissance, livrent l'intime d'une érotique (mais non d'un érotisme) liant ensemble la pulsion et le réel.
C'est pourquoi, dans la langue d'usage, le mot eros désigna le principe même de toute cosmogonie. Il désigna le principe de tout ce qui est vu comme pouvant relativement contribuer à la formation ordonnée de l'univers, avec tout ce qui y naît, avec tout ce qui y vit, avec tout ce qui y meurt.
Mouvement impérieux autant que nécessaire, eros devint rapidement et logiquement l'attribut du dieu de l'Amour. Tout autant habité par la même nécessité impérieuse, Thanatos, le dieu de la Mort, devint donc son corollaire naturel puisque c'est lui qui donnait certitude de reconnaître la mort. Il permettait de croire à la mort comme à une fin. Car, à l'évidence et dans sa légitimité, Thanatos pouvait à tout instant, par la mort, venir couper court à tout processus existant, fut-il d'engendrement et d'amour.
Face à Eros-l'Amour qui se prononçait donc comme la question du vivre et du créer, la réalité de Thanatos-la-Mort devenait, par sa pression, le stimulant le mieux approprié pour donner raison à Eros afin que l'esprit puisse rester soutenu en permanence et pour que soient constamment visitées et revisitées toutes les possibilités d'aimer. D'aimer le monde avant que de mourir et pour que l'existence reste ainsi animée.
Henry Fontana (2010)
1 Il est intéressant de noter dans l'énoncé de ce verbe erôtaô, le vocable chinois tao. D'ailleurs, Plutarque, nous parlant dans son « Périclès » du volatile paon (qui, en grec se dit taôs), nous précise que ce « taôs », (s’agit-il du volatile lui-même ou s'agit-il de sa prononciation ?) nous viendrait d'Extrême-Orient.