Je me suis autorisé à faire une critique publique de la page 191 du livre de Philippe Porret [1] et je ne vais pas en transcrire l’argumentaire. En effet le séminaire que j’ai donné à Xi’An en novembre 2007 et à Chengdu en mars 2008 au sein de l’Université du Sichuan avait pour objet le séminaire XVIII : D’un discours qui ne serait pas du semblant. Il existe respectivement 9 heures et 36 heures d’enregistrement “audio” et “vidéo” et je suis en cours d’en rédiger un compte rendu. Il y aura donc par anticipation, mon analyse de la phrase de Mengzi :
孟子曰:天下之言性也,則故而已矣。故者,以利為本。
utilisée par Jacques Lacan dans le cadre de son enseignement [2] dans les années post 1968, c’est-à-dire les années « maoïstes » parisiennes.
Cette analyse manifestera mon désaccord avec celle de Philippe Porret qu’il produit page 191.
Je peux simplement, maintenant, après lecture attentive (comme l‘exige ce livre), faire état de ma déception, d’autant plus grande que ce livre mérite par ailleurs amplement d’obtenir le prix Œdipe — vous savez : tuer le père…

Déception, car il me semble que l’auteur, qui donne d’un certain MG une image GM si valorisante, donne en même temps, je l’espère à son insu, une image si contraire d’un certain PP. En effet il intervient comme un instituteur surveillant une classe d’étudiants passant leur examen de grammaire chinoise, il relève les copies et les adresse à l’Université pour correction. L’Université ne manque pas de donner son verdict : le dénommé Jacques Lacan fait une faute de grammaire, il devra donc redoubler sa classe.

Alors même qu’il se présente, dans d’autres pages, comme pouvant traduire le chinois, il ne s’autorise pas à traduire cette phrase de Mengzi, traduction qui respecterait la structure grammaticale de la phrase. De plus alors même qu’il se présente comme psychanalyste et superviseur il ne s’autorise pas à nous donner une « lecture psychanalytique » de cette même phrase et dans le même mouvement ne suppose pas que Jacques Lacan puisse faire une autre lecture que scolaire. [3]

Cette posture d’instituteur m’est apparue, d’ailleurs, dès la première page de son livre quand il indique qu’un certain GM est « définitif premier de la classe », ce à quoi un certain MG n’aspire pas.

Je suis obligé de faire cette critique, et c’est d’autant plus difficile car, sans peut-être le savoir, il m’a, dès la première minute, en 2006 à Emeishan, lors du séminaire organisé par le groupe de Chengdu en vue de finaliser son admission à l’Interassociatif européen de psychanalyse, fait une interprétation (« c’est la classe ») qui produisit des effets inattendus et bénéfiques (ce dont je lui suis redevable) : « clarifier mes relations avec ma figure paternelle ». Pourquoi faut-il aller si loin dans le temps et dans l’espace pour enfin réconcilier MG avec GM ?


Tong tö = dong de = 懂得 = comprendre.

Il s’agit de la première fois, me semble-t-il, que Jacques Lacan fait allusion à la langue chinoise en 1946. [4]












Psychogenèse des névroses et des psychoses qui nous donne l’exemple de l’expression d’un dissensus entre deux vieux amis (l’autre étant Jacques Lacan) de la même classe d’âge, disputatio sans concession mais/et dans le plus grand respect de l’autre. Je peux témoigner que ce respect et cette amitié se sont poursuivis jusqu’à la disparition d’H. Ey. Je donne des extraits de cette rencontre.

Jacques Lacan
C'est pourquoi je m'inclinerai d'abord devant un effort de pensée et d'enseignement qui est l'honneur d'une vie et le fondement d'une œuvre, et si je rappelle à notre ami Henri Ey que par nos soutenances théoriques premières, nous sommes entrés ensemble du même côté de la lice, ce n'est pas seulement pour m'étonner de nous retrouver si opposés aujourd'hui.
À vrai dire dès la publication, dans L'Encéphale de 1936, de son beau travail en collaboration avec notre cher Julien Rouart, l'Essai d'application des principes de Jackson à une conception dynamique de la neuropsychiatrie, je constatais - mon exemplaire en porte la trace d'un crayon multicolore dont le hasard m'a privé depuis - tout ce qui le rapprochait et devait la rendre toujours plus proche d'une doctrine du trouble mental que je crois incomplète et fausse et qui se désigne elle-même en psychiatrie sous le nom d'organicisme.

Henri Ey
Mais là où commence précisément la maladie c'est quand un être est impuissant à dominer ses « réactions automatiques », quand il n'a pas pu acquérir ou garder une organisation assez solide pour résister aux influences du milieu. Et cette désorganisation vous ne l'expliquerez jamais par les forces mêmes d'organisation ou des liaisons de l'être à son monde. Il m'est impossible de souscrire à l'idée soutenue ici par Lacan, Bonnafé et Follin et qui rejoint l'argumentation de Bousquet lors de la discussion de 1855 sur « L'identité du rêve et de la folie ». Un état psychopathologique d'une réalité autre que celle du sens de son vécu. Vous ne pouvez pas vous donner le rêve sans le sommeil. Quand vous serez rentrés chez vous, vous relirez cette fameuse discussion qui opposa à l'époque Bousquet à Moreau (de Tours). Elle est comme l'écho anticipé de nos discussions.

Conclusion de Jacques Lacan :
C'est dans ces discussions que nous avons trouvé le prix de nos travaux. La thèse que j'ai soutenue au premier jour de ces entretiens a été reprise les deux jours suivants sur d'autres modes par Rouart d'abord dont la démonstration clinique s'avère avec la nôtre exactement complémentaire encore qu'il fut non concerté et qu'il nous imposa l'image des hémisphères de Magdebourg - par Follin et Bonnafé enfin qui développèrent la même thèse en termes « politiques » au sens ancien de ce mot. La discussion atteignit une signification qui fit évoquer à l'un des meilleurs esprits de notre concert, cet accord qu'Héraclite fonde sur les tensions opposées. Tous sentiront qu'une révélation s'était produite qui nous dévoila le plus souvent la fausse coïncidence des concepts où nous posons nos problèmes. Cette authenticité, avec les mots d'hommage à notre hôte par quoi j'ai l'honneur de clore ce beau débat, m'inspire de recourir à la langue chinoise qui mieux qu'une autre sait allier la fermeté à la ferveur, et, par les deux caractères “tong tö”, d'une de ces formules parallèles qui sont la plus familière figure de sa stylistique, d'exprimer, rigoureusement, la sorte de communion qui s'est manifestée entre nous et que notre langue ne peut traduire qu'en la forçant un peu dans le sens formel.

        Celui qui se plaît à réunir des esprits formés par l'amour de l'homme,
        Admirera aussi que chacun y rencontre sa cohérence avec soi-même…


Je donne les deux positions (celles de Jacques Lacan et celle d’Henri Ey), pour indiquer la radicalité de leurs divergences, mais aussi pour témoigner la qualité d’un débat dans le respect mutuel et dans le rappel d’une amitié et d’un enthousiasme de jeunesse. Certes ils étaient de la même classe d’âge, ils étaient de vieux amis, et non de ces nouveaux amis qui se manifestent à l’occasion de situations conjoncturelles.
Mais cela concerne le rapport de Jacques Lacan à La Chine. Puisqu’à ma grande surprise il apparaît une première allusion à la langue chinoise en écriture phonétique EFEO : tong tö.

Jacques Lacan fait allusion à ce débat le 11 février 1970 :
À vrai dire, nous partons de là dans ce qui est enseignement : du discours de la conscience, qui s’est repris, qui se reprend tous les jours, indéfiniment.
Quelqu’un de très proche de moi… bien sûr dans la psychiatrie, quelqu’un de mes meilleurs amis… lui a redonné sa meilleure touche : discours de la synthèse, discours de la conscience qui maîtrise.
C’est à lui que je répondais dans certains propos que j’ai tenus il y a un bout de temps sur la causalité psychique, propos qui sont là pour témoigner que, bien avant de prendre en main le discours analytique, enfin j’avais déjà quelque orientation, quand je lui disais à peu près ceci :
« Comment peut-il se faire autrement que d’appréhender toute cette activité psychique, comment peut-il se faire de l’appréhender autrement que comme un rêve, quand on entend mille et mille fois en cours de journée cette chaîne bâtarde de destin et d’inertie, de coups de dés et de stupeur, de faux succès et de rencontres méconnues, qui font le texte courant d’une vie humaine ? » [5]

Cette déception se redouble et cette fois le dissensus est probablement plus irrémédiable lorsque Philippe Porret nous indique ceci :
À Chengdu, on me laissa entendre une nette désapprobation quant à la façon éminemment trop classique par laquelle Lacan parlait de la Chine.
Cette utilisation du “on-dit” qui, donc ne donne pas les sources, met un doute sur la méthodologie, pour autant que son livre sera d’histoire, que l’auteur utilise. À chaque fois qu’il me vient à l’idée de faire référence aux “on-dit” (qui ne manquent pas de la part de collègues français depuis l’an 2000 que je visite la Chine) je m’empresse de relire l’article de Gisela Pankow qui pour moi fait référence. [6]




[1] Porret Philippe : La Chine de la psychanalyse. Éd Campagne première, 2008.
[2] Lacan Jacques (1971). D'un discours qui ne serait pas du semblant, Le Séminaire livre XVIII, Paris, Éd. du Seuil, 2006.
[3] Voir entre autres exemples deux citations de Jacques Lacan :
Je n'irai pas par quatre chemins, ni par forêts à cacher l'arbre : « l'être ne naît que de la faille que produit l'étant de se dire ». Formule qui relègue l'auteur à mettre l'acte en son moyen. Il faut alors à cet étant le temps de se dire. Ce « faut du temps » est proprement ce par quoi l'être nous sollicite en l'inconscient. C'est bien de l'être que répond chaque fois qu’«il faudra le temps », mais entendez : je joue décidément du cristal de ma langue pour réfracter le signifiant, pour décomposer le sujet. « Y faudra le temps » : c'est du français que je vous cause – hein ? - j'espère pas du chagrin
Ce qui faudra du « faut du temps » dit la faille dont je suis parti. C'est sur le terme : « ce qui faudra », que je joue. Et bien que l'usage dans une grammaire… faite pour prévenir les Belges de leurs belgicismes, c'est un livre que j'estime beaucoup n'en soit pas recommandé — de ce faudra — il y est reconnu. La grammaire autrement faudrait à ses devoirs. Si « peu s'en faut » qu'elle en soit là, vous touchez de ce peu la preuve que c'est bien du manque qu'en français le « falloir » passe à la nécessité.

La façon dont j’opère avec les termes de Saussure, — et qui d’ailleurs ne sont pas de Saussure ; le signans et le signatum, les stoïciens en avaient senti le besoin dans la logique – a essentiellement cet intérêt de montrer que dans le langage, il y un appareil en quelque sorte définissable d’une façon matérielle qui est irréductible : à savoir que le fait que le langage soit articulé, procède par des combinaisons qui sont par nature des différences, c’est la seule définition qu’on puisse donner de ce qui est des signes, c’est que ça se pose comme différent de tout le reste, c’est en ce sens que l’appareil phonématique est exemplaire. Il est bien évident que ça ne suffit pas.
Que l’appareil grammatical soit quelque chose d’essentiel, c’est une chose également sur laquelle il faut mettre l’accent. Ai-je besoin de vous rappeler qu’en définissant des termes comme Verdrängung (le refoulement), Verneinung (c’est-à-dire faire usage de la négation), Verwerfung (l’exclusion, le fait de ne pas même articuler quelque chose qui est certainement situable dans la structure du langage), en articulant cela, Freud nous donne la clef d’un certain type de grammaire. Il s’agit de savoir si cela a vraiment le caractère complet de grammaire.
C’est précisément ce qu’avec un certain nombre de petites choses j’essaie de construire : c’est quelque chose dont eux, les linguistes, devraient se servir. C’est vous dire que je ne me sens pas du tout dans la dépendance du linguiste. Ce que le linguiste m’apporte, j’en fais ce qui me chante, c’est-à-dire ce qui peut me servir. Dans le signifiant et le signifié, il est tout à fait clair que Jakobson
peut très légitimement s’apercevoir que la façon qu’il a de traiter le terme de la métaphore et de la métonymie, j’en use d’une façon légèrement à côté de la sienne. (15) Pour ce qui est de la négation, les linguistes auraient tout à gagner à se mettre au pas de l’expérience psychanalytique.
Le signifiant et le signifié, c’est tout à fait capital. Tout ce qui est de l’appareil du langage est en fin de compte inclus dans cette distinction. Le signifié, il faut bien le dire, c’est toujours autre chose que ce que le signifiant a l’air d’indiquer. Le côté index du signifiant c’est très précisément celui dont tout premier abord de la langue consiste à le dépasser.

[4] Actes de la rencontre de Bonneval organisée par Henri Ey en 1946
[5] Lacan Jacques (1969-1970) L'envers de la psychanalyse, Le Séminaire livre XVII, Paris, Éd. du Seuil, 1991, Philippe 79-80.
[6] Je conseille à Philippe Porret de lire : Gisela Pankow, Les dangers du « on-dit » et autres réflexions. Abord psychanalytique de la parole de l’autre. Paru en 2006 chez le même éditeur Campagne première.


      

  




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Séminaire de Michel Guibal

2008 - 2009

octobre


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Additif 1 au séminaire tenu le 16 octobre 2008




Les ariettes de la canneberge poussent au jouir

Tong tö, comprendre…

Michel Guibal

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