Compte-rendu de l’apport de Yan Helai au cours du séminaire du 18 avril 2008



Reprendre le ni par lequel B. Berthier ouvre son propos dans le sens de “rebelle” mais aussi “à rebours”. Yan Helai nous fera remarquer que par association auditive, on obtient la série qi ji .



Ancienne forme pour qi . Le mérite de ces formes est de faire apparaître le bonhomme renversé, qui indique une filiation sémantique avec ni et pas seulement phonétique. Une interprétation en est donnée, celle d’un accouchement par les pieds et non par la tête.

Ancienne forme pour ji 稷.

Pour ji on ne retrouve qu’une filiation phonétique, mais la clé des céréales évoque la plante et ses rejetons.






C’est le sens du Millet, qui donne le Prince Millet 后稷, dont la légende mérite d’être brièvement contée :

Il y avait une jeune fille qui s'appelait Jiangyuan. Un jour, elle vit une empreinte de semelle dans la forêt. Curieuse et intéressée, elle mit son pied dans l'empreinte. Une chose étrange se produit, elle sentit qu’un tremblement dans son corps. Peu temps après, elle fut enceinte et donna naissance à un garçon. Comme l'enfant n'eut pas de père, les habitants craignaient qu'il porterait de malheur au village et l'abandonna dans la forêt, croyant qu'il mourrait de faim. À la surprise des villageois, des animaux passants soignèrent l'enfant et des animaux femelles le nourrirent. Abandonné plusieurs fois, l'enfant put toujours survivre.

Les villageois commencèrent à se rendre compte que ce petit garçon fut un homme extraordinaire. On le rendit à sa mère qui le nomma « Qi ».  Ce mot signifie “abandonner”.

Voyant que l'on vit de la chasse et des fruits sauvages et qu'on n'avait pas de domicile fixe, Qi avait l'intention de chercher quelque moyen d'avoir des vivres plus assuré. Après des constatations et des pratiques, il choisit les grains de blé, de riz, de soja, de sorgho et des pépins des fruits et les complanta dans un petit champ cultivé par lui-même. Avec son soin, des plantes lui donnèrent une riche récolte.

Pour mieux cultiver les plantes sauvages, Qi fabriqua des outils simples avec des pierres et du bois. Quand il devint un homme mûr, il avait amoncelé beaucoup d'expériences agricoles qu'il apprendrait aux autres sans réserve. Dès lors, l'humanité commença à faire et vécut de la culture. On l'appela « Hou Ji ». Hou signifie roi, Ji signifie céréale”.


Voilà qui nous replonge au cœur de ce qui m’a (nous) a fait difficulté en lisant le texte de B. Berthier, enfin en le lisant en français, lorsque nous avons lu “avortement” pour un “enfant”, “embryon”, qui après l’avortement était toujours vivant. C’est en passant par le texte chinois que les choses commencent à s’éclairer.

: tuo. C’est le mot qui associé au mot tai est traduit par B. Berthier par “avortement”. Mais dans mes dictionnaires modernes tuotai n’a pas le sens d’avortement. Alors quel sens a-t-il dans la légende Lin shui ping yao d’où B. Berthier le tire ? Tuo isolément a un champ sémantique large : s’évader, muer, échapper, se dévêtir, fuir. Littéralement on pourrait traduire tuotai par “un embryon rebelle échappant à un danger”, “devenir un immortel”, “métamorphose”. Ceci nous rapproche effectivement du sens taoïste. Tai a le sens d’embryon . : duo par contre associé à tai dans mes dictionnaires modernes donne “se faire avorter”, “avortement”. Son étymologie permettrait de retrouver un nouveau né renversé, qui naît par les pieds.

Dans le Shuo wen (à gauche) est expliqué ce renversement de la composante homme (en rouge). Et ci-dessous l’explication que Yan Helai nous donne :




Voici la clé de l’enfant renversé dans le Shuo wen, en rouge :

Elle va être la clé du caractère qi que l’on retrouve ici dans sa forme ancienne,











composante du caractère ni







Forme ancienne du qi moderne



Ces deux mots expliquent la signification de qi  : abandonner.



La phrase rouge explique le sens de qi par ni  




Abandonner : c’est le sens de qi





par

une paire de main

pousser

ramasse poussière

abandonner, jeter.

Cette phrase explique le sens de qi , “pousser le ramasse-poussière pour jeter”.


C’est ici le début d’un travail sur le caractère si que J. Lacan nous signale dans le séminaire XVIII en le traduisant par “personnel” et par “retors” ! Dans le Shuo Wen à propos des choses personnelles apparaissent celles qui sont “internes” et celles qui sont “externes” . Voir à ce propos Mengzi (孟子). Mais aussi le mot “retors” aurait-il un rapport avec “le rebelle” ?




gui : les choses personnelles internes



jian : externe



si : personnelle

                            “Retors” (Lacan)




gui____
Côté Occident…





Enfin H. Fontana nous propose les réflexions et questions qui lui sont venues lors du séminaire du 17 avril à l’écoute de la légende du Prince Millet fondateur de la dynastie des Zhou. Ici c’est Obed qui est le grand père du Roi David. Il nous propose l’analogie entre le côté Occident et le côté Orient :



Côté Occident.

Le Livre de Ruth (texte de la Bible hébraïque).

Ce livre transmet la nécessité de veiller à ce que la perpétuation du générationnel ne soit pas aliénée. Nous y retiendrons particulièrement l’échange qui y a lieu entre deux femmes, veuves toutes deux : Noémi la belle-mère et Ruth sa bru.

Paradigme mettant en exposition la femme et son « extraordinaire efficace quant à la révélation sexuelle » (Lacan 1966), cet échange s’appuie sur la Loi dite du Lévirat [1] et révèle combien ce sont les femmes qui figurent la « ligne de vie » et qui enrayent l’aliénation.

Au regard du rapport homme-femme provoqué par Noémi et qui place Ruth dans une fonction de primauté, il n’échappe pas que l’objet contingent [2] de la jouissance échoit à Booz et qu’il apparaît comme marqué du signe du négatif [3]. De plus, dans ce texte, si, pour l’homme, la jouissance y est bien reconnue comme n’étant pas tout [4], elle se vit, pour la femme, comme un manque dans une dimension à accepter. C’est ainsi qu’à Ruth l’étrangère revient la gloire d’un chemin d’abandon et d’assomption où se révèle le sexuel.

Ruth accepte en effet l’enjeu d’une alliance sacrée, celle d’un couple hiérogamique (femme-enfant), que lui propose sa belle-mère. C’est elle donc qui, dans la mise en œuvre d’une rencontre et d’un rapport avec Booz, conçoit puis met au monde un enfant dans le droit-fil d’une parenté de sang. C’est elle qui donne à la génération sa raison de salut. Sous l’égide et sous la conduite d’une autre, c’est elle encore qui, ayant appris à marcher sur le ciel, augure de ce fait les portées de lumière [5] et qui fait vivre les lignées [6]. Et c’est bien sûr elle que l’histoire retient.

Mais c’est néanmoins Noémi, la grand-mère, que l’on crédite d’avoir fait naître Obed ! Conçu par Ruth et Booz l’enfant Obed sera en effet appelé : fils de Noémi.


Côté Orient…

Le Linshui pingyao (XIII° siècle).

Pour des raisons et dans des situations où la vie se présente différemment, ce texte réserve lui aussi à une femme, Chen Jinggu [7], une stature éminente de premier rang. Nous découvrons dans ce texte une transcription symbolique qui peut être elle aussi, comme pour le Livre de Ruth, versée au mode de l’universel.

Dans la langue chinoise, le mot « tai » signifie « matrice, utérus de la femme… lors qu’elle est enceinte ». « tai » évoque, de fait, à la fois la femme comme telle en son propre corps et à la fois l’embryon qu’elle porte. Cela indique que se forme là le couple par excellence - couple considéré comme naturellement sacré - composé de la femme et de l’enfant constituant un seul personnage [8].

Dans sa brillante étude sur les dévotions populaires qui vénèrent la femme, Brigitte Berthier [9] nous apprend que dans la tradition taoïste l’univers est représenté par un corps de femme et qu’il est symbolisé par une fleur : hua. Or, dans la langue chinoise, hua “fleur” et tai “matrice”, sont deux termes poussant l’un et l’autre à l’équivoque. Ils indiquent en effet que le processus de gestation (puisque l’un et l’autre véhiculent aussi ce sens) n’a pas, chez la femme, pour seul aboutissement la mise au monde d’un enfant dans la réalité, mais que ce processus conduit avant tout la femme à dialectiser la vie dans ce qui en constitue le substrat pour la transformer. Ce processus éveille donc en elle inéluctablement la reconnaissance qu’elle détient un double pouvoir : celui de devenir elle-même et l’Autre à la fois ; celui de faire naître l’Autre [10] en soi [11].

Dès lors, y aurait-il lieu de parler ici de la question femme comme d’un syndrome ? Syndrome entendu, bien sûr, au sens premier, c’est-à-dire comme le lieu où « tout concoure et se réunit », le lieu où « tout se rassemble » ainsi que l’indique le verbe grec συντρεχω (suntrechô) duquel vient syndrome συνδρομη (sundromè) et pas seulement un lieu où « tout se replie sur soi avec hostilité » συνδρομοs (sundromos) comme le médical l’étiquette.


Henry Fontana









Les trois versions du Shitao que Yan Helai nous procure qui font apparaître le :

                “woguyue” (我故曰),                   “Kongzi yue” (孔子),                     “guyue” (故曰)

  
    


C’est un ajout à mon texte D’un problème crucial à l’autre par ici     




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Séminaire de Michel Guibal

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Loi qui institue le rôle de goël (en hébreu : celui rachète) dévolu au plus proche parent d’avoir à perpétuer la descendance d’un défunt mort sans enfant en épousant sa veuve.


2 « (objet) que nous sommes (bien) forcés de porter à cette fonction d’être épinglé phallus » (Lacan 1966).


Cet aspect est clairement signifié dans la légende chinoise du Linshui pingyao. Nous ferons mention de cette légende ci-après.


Booz n’accède en effet au rôle de goël que parce qu’un autre parent, plus proche que lui, s’est désisté de sa dévolution d’avoir à s’engager dans ce rapport homme-femme.


« La femme en sait probablement un petit bout de plus que nous concernant le fait que le fantasme et le désir sont précisément des barrières à la jouissance. Ceci ne simplifie pas sa situation. » (Séminaire XIII).


Obed, l’enfant que Ruth mettra au monde, engendrera Jessé le père de David…


Dans la dévotion populaire, Chen Jinggu est devenue le mythe de la Dame du Bord de l’eau : Linshui furen. Elle est encore aujourd’hui la protectrice de la maternité, maternité comprise entre le moment de la conception de l’enfant et jusqu’à l’âge adulte de celui-ci. Cf. : « Note sur la Dame Chen » par Shi Hongbao (XIXe siècle) : « (Dame Chen) était enceinte de quelques mois lorsqu’il y eut une grande sécheresse. Elle avorta (tuotai) (elle s’avorta elle-même) afin d’accomplir un rituel pour qu’il pleuve et elle mourut à 24 ans. En mourant, elle dit : après ma mort, je serai une déesse, je sauverai les femmes enceintes en détresse. »


L’acte d’avorter, pour Chen Jinggu, n’est pas destiné à supprimer l’enfant, mais puisqu’elle ne peut assumer dans son corps la grossesse, elle la recrée ailleurs, en déposant l’embryon avorté, chez sa propre mère. Elle recrée ainsi l’habituel couple femme-enfant.


.Cf :  « La Dame du Bord de l’Eau » de Brigitte Berthier, aux éditions d’ethnologie de l’université de Paris X, 92001 Nanterre. 1988.


L’Autre (avec un grand A) représente ici tout le champ dans lequel se fait entendre toute la mise en forme signifiante dont est capable la femme et où, comme un surgissement, apparaît toute sa dimension de désir.

C’est dans ce champ de l’Autre que la femme devient elle-même. Elle y fait naître toute la dimension de son désir et, ce faisant, elle met en même temps un autre au monde (l’enfant).


Me vient ici l’expression de langage dont use la langue italienne et qui pourrait avoir une certaine équivalence avec le « hua/tai » chinois. Pour signifier en effet le moment de la mise au monde (d’un enfant), les Italiens disent que c’est l’instant où la femme « donne (alors) à la lumière » : « dare alla luce » ! Épilogue satisfactoire : comme femme, à la fois elle donne, avec lumière, une appartenance d’elle-même et à la fois elle met l’enfant en lumière. Elle le fait participer à son rai de lumière. Elle l’y introduit. Au registre du signifiant, on sait, bien sûr, combien voix et lumière peuvent aller de concert dans les cures !