Je voudrais remercier C. Dumezil qui m’a fait discrètement parvenir un texte qui : « me fera bien rire ». Effectivement c’est un texte en chinois et son survol me laisse à penser qu’il s’agit d’un article dont il est l’auteur. Je lui ai indiqué qu’il me faudra un dictionnaire.

Mais, par ce geste élégant, il me passe la parole en tant que j’interviens ici comme délégué, auprès de l’IAEP, du groupe de Chengdu.

Je commence donc en parlant chinois :

我先想对不在这儿的中国同事说一个句子,现在我很不好意思。


Je vous traduis cette phrase, mais en vous précisant que rien ne garantie le résultat, donc je disais en chinois : « La psychanalyse est-elle une maladie s/t extuellement transmissible » ? Il est clair que ce n’est pas cela que j’ai dit, puisqu’en réalité j’ai dit : « je voudrais d’abord dire à mes collègues chinois qui ne sont pas ici présents : je suis très embarrassé ».

C’est cela qui est passionnant en Chine c’est que l’on a aucun contrôle sur la transmission du message.

Mais plus sérieusement en préparant cette courte intervention j’ai fait un rêve et puisqu’il est question de clinique, et que je pense qu’il n’y a de clinique psychanalytique que celle du psychanalyste je vous propose de vous pencher, avec bienveillance, à mon chevet car je vais associer le plus librement possible. J’ai donc rêvé que je venais d’obtenir le prix Goncourt pour un livre portant le titre suivant : Je me deuille. Le jury m’a fait savoir qu’il s’agissait d’un très beau titre mais qu’il conviendrait maintenant que j’en écrive le roman. Ce que je vais faire maintenant.

En1964 (année de la fondation de l’École freudienne de Paris) élève d’H. Ey, mon maître qui le demeure, nous avions coutume à Bonneval le samedi soir de jouer au bridge. Il ne savait pas bien jouer et avec les autres internes nous le laissions gagner. Vers minuit, le téléphone sonnait, il y passait au moins une demi-heure et revenait, la conversation terminée, en grommelant : « il m’emmerde celui-là ». Un jour alors que le scénario se reproduisait-il laissa échapper l’identité de « celui-là » : Lacan. Quel était ce personnage qui mettait mon Maître en transe ? Lacan voulait savoir si les femmes en proie à des hallucinations auditives, entendaient les voix les nommer par leurs patronymes ou leurs prénoms.

Effectivement il m’emmerde celui-là, et s’il m’arrive de m’emmerder dans des réunions de lacaniens (nous autres les lacaniens), il m’arrive aussi d’être dérangé par tel ou tel de mes collègues. Vous supposez bien qu’H. Ey était dérangé par les questions de Lacan au point de consacrer tout un chapitre de son livre sur les hallucinations à la théorie freudienne représentée par l’enseignement de Lacan.

Lacan pour H. Ey était le seul psychanalyste qui vaille au point donc de déconstruire en toute amitié et respect sa théorie, Lacan le lui rendait bien, ils restèrent amis jusqu’à la mort d’H. Ey.

En 1967, année de la mise en place de la procédure de la passe, un drame personnel me poussa à renouer avec H. Ey (j’étais en froid avec lui car j’avais refusé de suivre ses volontés : il voulait me nommer (« lisez mes études, passez le concours et je vous nomme jeune homme ») médecin chef d’un hôpital psychiatrique, ce que j’avais refusé). Il m’écouta parler pendant trois heures, pour conclure : « on ne peut plus être psychiatre sans faire une psychanalyse ». Je lui demandais chez qui ? la réponse ne faisait pas de doute, chez Lacan, mais surprise car il me dit : « cela n’a pas d’importance, ce qui est important c’est de faire une psychanalyse ».

Je n’ai pas pris le chemin de mon Maître dans la relation de transfert qui unissait ces deux piliers de la Chose, mon analyste fut P. Aulagnier, membre alors de l’École freudienne de Paris. Un long contrôle avec G. Pankow me bouleversa tout autant.

J. Nassif à bien voulu répéter le mot de légitimité et je me demande avec vous : en quoi je suis légitimé comme faisant partie d’un ensemble « nous les lacaniens » ?

Il y a plusieurs manières d’être légitimement en position de « transmettre » l’enseignement de Lacan.

  1. 1.les frères et sœurs de divan. Les vrais légitimes en position de transmettre aussi bien ce que fut leur psychanalyse avec Lacan. Ce n’est pas mon cas.

  2. 2.Ceux qui firent leur psychanalyse avec un lacanien, mais alors pourquoi ne transmettraient-t-ils pas leur psychanalyse avec leur psychanalyste dont le nom disparaît sous celui de Lacan. Ce fut mon cas, mais avec une psychanalyste qui scissionna sur la question de la désignation des passeurs.

  3. 3.Ceux qui font partie d’une autre famille, la famille administrative et juridique. Je n’ai pas épousé la fille du prophète.

  4. 4.Être membre de son école, je le fus comme psychanalyste praticien. Pour demander mon admission j’ai brodé pendant une heure sur mon trajet psychanalytique. Au terme de cette heure on m’a demandé : « quel métier faites-vous ? », surpris j’ai répondu : « psychiatre », « que ne me le disiez plutôt ! ». Ainsi après avoir vérifié que je n’étais pas paranoïaque, je fus admis membre de l’École freudienne de Paris. Les cartels 3+1 comme minimum (ce trois plus un catholique déjà (en 1950) glosé par C. G. Jung), ce 5+1 comme maximum. Le septième Lacan ne sera pas le jour du repos. Structure institutionnelle qui ne contreviendrait pas par avance à la transmission de son enseignement.

  5. 5.La passe. Ma demande d’inscription à L’École freudienne de Paris, masquait la vraie demande : je voulais faire la passe. Chez J. Clavreul un jour je lui demande de me sortir le chapeau pour tirer des passeurs, il refusa me demandant de réfléchir, je devrais, lui semblait-il, d’abord faire un contrôle avec un lacanien. (Il est vrai qu’entre-temps mon analyste avait fondé le Quatrième groupe). Quinze jours plus tard je revins, sans avoir réfléchi, et lui indiquais qu’il ne pouvait refuser. Je fis donc la passe au terme de laquelle J. Clavreul me reçu à nouveau. Un long entretien dont il ne me reste que cette phrase : « vous êtres analyste, mais pourquoi n’avez-vous pas réussi à déboucher les oreilles de votre analyste ? » Mais très cher : « vous y êtes passé avant moi ». Le « parler pour ne rien dire » a cessé et J. Clavreul m’a alors indiqué : « si vous n’avez pas été nommé c’est pour des raisons politiques », cette phrase concluante m’a évité dans cette période de « péter les plombs » et l’en remercie.

  6. 6.La présentation de malade, je n’y assistais pas et puis je suis contre.

  7. 7.Assister à son séminaire, entendre la voix. Oui Lacan m’a parlé, comme ce vieux de mon enfance qui pendant la troisième guerre mondiale, au coin du « cantou », le soir à la veillée nous contait des histoires, transmission orale sans le texte, et puis l’enfant s’endormait,

  8. 8.Et maintenant. Le corpus textuel donne lieu à sa transmission universitaire, et à son établissement, c’est-à-dire le texte, sans la voix. Mais aussi l’énorme travail de l’établissement libre : la voix dans le texte. Sans parler, puisque les chinois sont absents, de la traduction dans d’autres langues que le français.

  9. 9.La mort de Lacan est pour moi un enseignement.


Je peux me légitimer, donc, des points 2, 4, 7, et 8, mais avec cette restriction que je ne saurais voir disparaître les noms de mon analyste P. Aulagnier, ni celui de G. Pankow. H. Ey demeure un Maître, et si ce Maître ne reconnaît que Lacan comme digne de ses critiques, cela nécessairement valide à mes yeux celui de Lacan et son enseignement. Parfois seul le nom de Lacan fait enseignement.


Mais après ces préliminaires, il importe de passer à la question qui, me semble-t-il, nous rassemble aujourd’hui, dans ce séminaire de L’IAEP organisé par l’association Espace Analytique : en quoi chacune des associations membres de L’IAEP transmettent-elles l’enseignement de Lacan, dans la mesure où ce mouvement ne reprend pas la structure de l’École freudienne de Paris qui serait censée ne pas contrevenir, par avance, à cet enseignement dont le séminaire, faut-il le rappeler, se tenait hors de la dite École ?

En quoi la fonction de délégué serait-elle lacanienne ? Le groupe de Chengdu dont je suis le délégué par son directeur se revendique du nom de Lacan, en Chine, où la pensée freudienne est introduite depuis les années 1920, mais aussi et surtout junguienne (qui serait plus en harmonie avec la « pensée » chinoise). Mais que deviennent dans ce tableau ceux dont je ne suis pas disposé à faire l’impasse, P. Aulagnier et son pictogramme, G. Pankow et sa pâte à modeler qui pour moi n’est pas sans rapport avec une écriture, celle même aussi bien dont J. Oury nous parle sous le titre de la « fonction scribe », sans parler plus avant de la « ruse graphique » de J. Bonhomme auteur d’un livre (Le miroir et le Crâne) qui n’est pas sans nous poser cette question ironique : que faisons-nous de nos « infortunés ? ».

Vous voyez poindre la question de la graphie chinoise. Cette graphie que C. Dumézil m’a transmise, me demande-t-il de traduire son texte ? Je lui réponds pour conclure que si je fus le psychanalyste de Huo Datong directeur du Groupe de Chengdu, il est devenu, par la force des choses mon passeur en Chine, réalisant un rêve et une position de mon analyste jamais je ne donnerais le nom d’un de mes analysants à une institution (comme passeur), à quoi je répondais : « s’il m’arrivait de penser qu’un de mes analysants était dans la passe je ne le désignerais comme passeur que pour autant que je deviendrais son passant ». Je suis incapable de lire ce que Huo Datong fait passer en Chine, et je refuse de me le faire traduire ; pour un jour le lire j’apprends le chinois, c’est donc le conseil que je donnerais à C. Dumézil en remerciement de son geste inaugural.

Ma position est, comme me l’indiqua Luis Esmeraldo, en 2001, lorsque j’entraînais le groupe de Chengdu dans l’IAEP, impossible, c’est pourquoi je mets fin aujourd’hui à mes fonctions de délégué, Huo Datong n’ayant pas souhaité nous faire parvenir un texte indiquant sa position.

En conclusion je dirais que s’il y a échec c’est celui de l’École freudienne de Paris, ce qui ne veut pas dire que la passe serait une réussite. Y a t-il échec de l’IAEP ?

L’organisation de ce séminaire par l’Association Espace Analytique ne répond pas à l’esprit de l’IAEP, la question posée en effet était en quoi les associations de l’IAEP (sinon les autres, École freudienne comprise) ne contreviennent pas, par avance, à la transmission de l’enseignement de J. Lacan : extrait de l’annonce de ce séminaire : « Comment la théorie lacanienne est-elle aujourd’hui transmise et commentée dans chacune des associations qui composent l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse ? »

 

Intervention au séminaire

de l’Inter Associatif Européen de Psychanalyse, IAEP



Michel Guibal


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Séminaire organisé par l’Association Espace Analytique

les 2 et 3 décembre 2006