De la salle

Est-ce que le portable n’a pas cassé le silence de l’analyste ?


Jean Florence

Lorsqu’il n’y avait pas de portable cette situation n’existait pas, j’ai été pris au dépourvu et ce qui m’intéressait c’était le contraste de mes deux réactions. Dans la première j’étais dans la situation de la psychanalyse, dans la seconde j’ai réagi par identification, j’avais les oreilles embouteillées


Michel Guibal

Je voudrais intervenir sur la surprise que j’ai eue en lisant le titre. Dans ma mémoire on disait plutôt « mobile » et que « portable » correspondait à l’ordinateur.

J’ai traduit portable en allemand, ça, donne « Trägen, » ce qui est important pour la psychanalyse il a donné « Ubertradung » (transfert)


Jean Florence

Aucun mot n’est innocent, c’est important que l’on puisse faire jouer le porteur, le portable, dans le « mobil-homme » il y a aussi l’idée de mobile.


Philippe Porret

À propos du titre « Comment faire cas d’une analyse ? ». Il y a un double sens.

Comment fait-on de la psychanalyse un cas qu’on expose, c’est là-dessus que je te propose un quatrième. Faire cas c’est une difficulté dans les contrôles, non seulement quelle opération de discours ou même à quel genre littéraire ça appartient. Est-ce que ça tire du côté du dessin ou du rêve, par exemple, du côté de la peinture (« Ceci n’est pas une pipe »). Différence en français entre dépeindre et peindre.

Dépeindre Miao Sou contracte le calque et le retracement, le récit : la narrativité, l’écrit. Parce que si un cas dépeint ça pose la question soit du côté de la vérité, soit du côté de la réalité, dépeindre c’est trouver une ligne de crête entre les deux.


Jean Florence

J’aime bien ta comparaison parce que la peinture, il faut que quelqu’un la regarde, c’est une recréation à chaque fois que cette peinture est vue

La création qu’est le cas s’adresse aux analystes, ça se construit, mais aussi il faut que quelque chose en revienne au patient de manière à ce que ça ne soit pas une défense et illustration de la théorie psychanalytique.


Philippe Refabert

Je me sens en grande sympathie pour l’exposé de Jean Florence, je pense que cet exposé pourrait être mis sous la rubrique « vous avez répété le crime » (Ferenczi).

Dans le premier cas vous avez été en relation avec l’enfant toujours vivant dans l’analysant.

Nos collègues chinois se sont interrogés sur la disposition du cabinet du psychanalyste. Je voudrais dire comment mon cabinet est disposé

J’ai un certain nombre d’objets, j’ai des coussins, j’ai une petite table, j’ai des papiers, des crayons, j’ai des jouets et j’utilise ces objets que selon la demande. Je n’utilise le divan que lorsque l’enfant toujours vivant dans l’analysant s’est réveillé. Je sais que l’enfant s’est réveillé lorsque la grande personne qui est devant moi a pleuré. Avant il n’est d’aucun intérêt de suggérer à un patient de s’allonger. Dans le second cas est-ce que Jean Florence a fait payer la séance manquée du fait de sa bévue transportée par le portable.


Jean Florence

Nous avons ensemble convenu que c’était une séance il l’a payé.


Philippe Refabert

Heureusement pour toi. Je voudrais parler de cette séance où un crime a été commis.

L’inconscient veille

Un autre enfant pourrait ne pas rêver, ne rien signaler, ou encore rompre son analyse, mais signaler par un silence que quelque chose s’est passé, que son analyste a commis une bévue et qu’il ne signale pas par de la représentation mais par des actes.

Il a été beaucoup parlé durant ses trois jours du transfert, le plus souvent un parent fait un transfert sur son parent. La psychanalyse a été fondée par Freud qui a proposé un cas exemplaire, Dora. Un cas où le parent ferait un enfant pour que la vie continue, ce cas d’école que Freud a systématisé dans le complexe d’Œdipe, il donne la vie pour que la vie se poursuive et il donne la mort. Mais ce cas d’école ne se rencontre jamais, toujours le parent non pas pour expulser, mais pour bannir une chose qui n’existe pas en lui. IL bannit quelque chose en lui qui n’a pas d’existences, il s’agit de crimes qui n’ont pas été instruits, de douleurs qui ne sont pas devenues encore des souffrances. C’est cette chose-là qui fait le lien incestueux entre les parents et les enfants. Un événement qui n’a pas trouvé de lieu psychique.

J’ai entendu avant-hier un analyste dire qu’il était trop petit lorsqu’a eu lieu la Révolution culturelle. Pour moi, la barbarie a eu lieu lorsque ma mère avait entre quatre et six ans, j’ai été psychothérapeute de l’âge d’un an, jusqu’à ma troisième psychanalyse.

Pour revenir à cette chose qui a eu lieu pendant des générations et qui s’exprime dans l’analyse, l’analyste va le ressentir, il va être l’objet du transfert, il va être chargé de traduire cette sensation qu’il a ressentie. Est analyste celui qui, comme Jean Florence celui qui est capable d’être surpris par le réel, c’est-à-dire cette chose qui n’a pas encore atteint l’existence. Analyste objet du transfert de ce réel et traducteur dans un espace sémiotique.


Jean Florence

Ce que tu dis m’évoque l’enfant revenu. Lorsqu’il n’est pas venu à sa séance, je me suis senti extrêmement mal, et ce qui me parle beaucoup c’est le côté criminel, j’avais le sentiment de l’avoir abandonné.


Jean-Jacques Moscovitz

Le téléphone portable a la possibilité de faire des photos, tel analysant vous enverra la possibilité de vous envoyer la photo du bureau pour demander qu’à la séance où il vient, il y a de plus en plus de lumière, de quelle sorte d’objet s’agit-il avec un téléphone portable. Jean Florence a parlé de prévention. L’irruption du dehors de la séance dans son dedans a de beaux jours devant elle.

Je passe aux choses plus sérieuses, quand Freud évoque un cas clinique c’est toujours lorsque quelque chose de nouveau doit être transmis par lui, avec Dora le transfert, L’Homme aux rats, le Fantasme, L’Homme aux loups, la forclusion etc. Lorsque nous parlons de cas clinique c’est lorsque nous avançons quelque chose de nouveau et que nous ne pouvons pas faire autrement. Pour reprendre ce que disait Refabert à propos du crime, il est certain que le mot « cas » évoque le « cadavre ». Un cas clinique d’une certaine façon est un meurtre fondateur d’une nouveauté. Dans l’exposé de Jean Florence apparaît le téléphone portable comme nouveauté. Le patient aurait pu très bien envoyer une photo.

Un cas clinique étudié en commun est comme un meurtre en commun qui fonde un lien entre psychanalyste sur la clinique. D’où des précautions à prendre ; souvent lorsque l’on parle d’un cas clinique, c’est dire ce qui se passe dans la tête de quelqu’un, d’un analysant, comme si on pouvait le savoir et ça commence à être un petit totalitarisme vrai. C’est pourquoi les interprétations de tous pourraient abonder et pourtant on ne peut pas faire autrement. Pour le cas de l’analysant de la porte D. Il est vrai que Florence était en place du médecin que le père avec son moto-home voulait aller trouver à toute vitesse, la phrase « Je vous attends » a eu un effet d’interprétation sur l’angoisse du père. L’asthme cesse, n’est-ce pas en rapport avec la fonction paternelle qui a pu être localisée et travaillée dans la cure. L’asthme, c’est de la jouissance. La phrase, « je vous attends » a coupé dans cette jouissance et a produit du sujet. La satisfaction dont témoigne Jean Florence était-elle en rapport avec la fonction paternelle qui a pu être mise en fonction ;


Jean Florence

Je pense que nous sommes tenus d’avoir une nouvelle vigilance. Pour qu’il nous envoie une photo, il faudrait avoir les outils pour la recevoir, ce qui n’est pas mon truc.

La satisfaction, l’asthme il n’en avait jamais parlé. C’est bien la surdétermination. Le symptôme asthme disparaît et grâce à cela il entre en analyse.

Sa plainte « ma mère ne s’intéresse pas à moi » et « aux fêtes de famille, elle ne regarde pas mes enfants ». C’est là qu’émerge la fonction paternelle.


Wang Li

Nous faisons l’analyse à partir de règles. Nous comprenons comment le désir est réprimé par les règles. Dans ce texte, l’acte manqué du psychanalyste représente une chose plus profonde. C’est un franchissement des règles de l’inconscient et ça représente beaucoup de choses pour l’analysant. Moi au cours d’une situation tout à fait hasardeuse, j’ai vu mon analyste se mettre en colère et c’est ce même soir que je rêvais de mon psychanalyste. Et là une nouvelle porte était ouverte. L’inconscient du psychanalyste peut être saisi par l’analysant et ça ouvre son propre inconscient, mais ça peut aussi provoquer une situation contraire.


Jean Florence

Il est important que dans l’analyse, le psychanalyste n’est pas un expert. Faire une analyse ne l’empêche pas d’avoir un corps vivant et de faire un acte manqué. Et les analysants saisissent très bien les actes manqués, les lapsus de l’analyste. Il y a vraiment un vrai travail analytique lorsque l’analysant reconnaît ces formations de l’inconscient chez l’analyste et que l’analyste le reconnaît. Si l’analyste ne le fait pas ça peut précipiter l’analysant dans une formed ‘auto-accusation ou, s’il n’en va pas trop mal, de vraie colère.


Henriette Michaux

La sonorité de la langue chinoise nous apprend. Formidable transfert à la langue chinoise qui nous a déplacés vers la Chine. Vous nous faites entendre que le cas tombe dans l’oreille comme il tombe sous le regard.

À travers les trois types de sens : réel, réalité des faits ; l’émotion ; le fait de rendre visite. Pourriez-vous préciser l’espace de traduction, une traduction qui serait proche de l’interprétation musicale ?


Jean Florence

Vous mettez le doigt sur quelque chose qui est mon propre transfert et qui date de mon adolescence, et qui a été relancé lorsque j’ai lu l’interprétation des rêves. L’essentiel de la méthode freudienne pour le rêve est qu’on ne lise pas les images du rêve comme on regarde les dessins ; parce qu’il y a une tromperie, un déguisement. Un déplacement. Et ce qui peut nous guider : l’écriture égyptienne et l’écriture chinoise sont nos guides. Une phrase que nous devrions écrire sur le fronton de nos cabinets de psychanalystes : pour l’interprétation il faut être philologue mais surtout pas psychologue. C’est intéressant que la Chine s’appelle « le milieu » comme si la Chine était constitutionnellement transitionnelle.


Ying Li

Lorsque j’ai lu ce texte sur l’intrusion du portable, j’ai ressenti ce lien entre la psychanalyse et l’amour. Le portable représente l’amour ; le résultat de l’analyse surprend l’analyste. Quand le portable représente la réaction affective de l’analyste. Le psychanalyste s’est mal porté pendant une semaine. Ce que j’ai ressenti c’est un transfert d’amour, ce transfert d’amour, je l’ai ressenti au travers de M. Guibal, et je l’ai ressenti aujourd’hui. En parlant de cet amour, il a ouvert mon cœur ; en tant que bouddhiste qui est allé se faire analyser, je voudrais à partir de certains concepts bouddhistes dire ce qui nous a été transmis par les psychanalystes étrangers.

Dans les concepts bouddhistes, il y a cette phrase : « Po Jeu » Sagesse et mère de bouddha ; la compassion est la mère de la sagesse. Et donc la sagesse est la grand-mère de Bouddha. Je voudrais rappeler une phrase de Guibal, la psychanalyse est une rencontre avec la compassion

L’amour (compassion) est la grand-mère de Bouddha.

        Bo Re Nai Zhu Fo Zhi Mu

        Ci Bei Nai Bo Re Zhi Mu

        Gu Ci Bei Nai Zhu Fo Zhi Zhu Mu


Monique Tricot 

Peindre / dépeindre.

La sculpture est l’art retenu par Freud, car cet art procède par retrait des couches. Cette métaphore tient tant que la visée de l’analyse est de lever le refoulement. La visée de l’analyse est de donner lieu pour que les traces deviennent de l’inscription et ensuite introduisent de l’oubli.

La clinique actuelle.

Les deux patients dont a parlé Jean Florence semblent avoir une séance par semaine, même si l’inconscient ne permet pas le temps pour permettre de l’inscription il faut de la scansion mais il faut aussi du temps et ces séances si peu fréquentes sont un problème.


Jean Florence

La fonction du moi, c’est d’en mettre une couche. C’est là qu’on voit le paradoxe, s’il n’y avait pas de moi il n’y aurait pas d’analyse.

Freud ignorait la sculpture moderne, il en avait peur. Il avait peur de l’art moderne.


Philippe Refabert

Je me sens ici chez moi. Ces deux séances mises en parallèle sont pour moi une bonne illustration de ce que la pratique analytique a de précieux, et d’unique.

    Dans le premier cas l’analyste reste analyste, c’est-à-dire qu’il reste, quoiqu’il arrive, attentif à “l’enfant vivant” dans son analysant. Entre parenthèses, l’expression “psychanalyste d’enfant” est un pléonasme. À tout bien considérer l’œuvre de Freud se résume à l’invention de deux concepts : “Enfance” et “Transfert”. Le concept “Enfance” est le point d’Archimède, celui de “Transfert” est le levier. Donc dans ce premier cas, Jean Florence fait signe à “l’enfant toujours vivant” dans l’analysant, l’adulte qui conduit une voiture dans les embouteillages, qu’il l’attend. Un enfant est attendu. Il en résulte, à la séance suivante, une catharsis, une remémoration de scènes traumatiques qui jusque-là n’avaient pas trouvé leur juste traduction en images et en mots mais, en lieu et place, donnaient lieu à des crises d’asthme.

    Dans le deuxième cas, l’analyste ne s’adresse pas à l’enfant mais à l’adulte seulement. Jean Florence parle assez joliment dans ce cas de [son] “peu de présence d’analyste”. En effet et qu’a-t-il fait dans ce cas, sinon faire ce que Freud fait à Ferenczi – comme Freud l’avait fait précédemment à Dora- c’est-à-dire répéter le crime. Ferenczi déclare dans son journal que l’analyste est [toujours] conduit [par l’analysant] à répéter le crime que ce dernier a subi dans son enfance, à son insu. Cela ne veut pas dire que l’analyste tombe dans le panneau à tout coup, mais qu’il y est exposé.

    Ceci me donne l’occasion de revenir sur les exercices de traduction que Jean Florence a eu le mérite de présenter au début de sa présentation. À la question comment traduire le terme de “cas” en chinois, Jean Florence propose trois couples d’idéogrammes, dont le deuxième m’intrigue. Si bing li m’intrigue, c’est que j’ai trouvé dans mon dictionnaire chinois- français que le phonème li du quatrième ton était aussi le signifiant d’un idéogramme donné pour « crime » justement.

Voici la scène à laquelle ce constat a donné lieu :

Le dictionnaire en main, je m’approche de la tribune pour montrer la chose à Jean Florence qui ne comprend pas mon propos, cet idéogramme ne figure pas dans son petit dictionnaire à lui.

Décontenancé je me tourne vers Huo Datong qui me déclare, lui, qu’il ne connaît pas ce caractère. Confus, je regagne ma place.

À la pause du déjeuner, toujours avec mon dictionnaire en main, j’expose ma déconvenue et mon affaire à un autre analyste chinois, Qin Wei. Je recueille là un tout autre son de cloche. Il me dit que ce fait – que li signifie « crime » -, lui paraît maintenant évident mais qu’il n’a pu intervenir tout à l’heure parce qu’il avait oublié le signifié de ce signifiant polysémique. Que d’ailleurs il n’est pas le seul dans ce cas et qu’à son avis cet idéogramme et le sens qui est attaché au signifiant li du quatrième ton a subi un refoulement assez général. Dans son cas particulier il peut rapporter le temps et l’intensité du refoulement au meurtre de son grand-père par les communistes au tout début de la révolution.

    Plus tard j’en reparle à Huo Datong qui me dit avoir pensé que mon dictionnaire n’avait pas pu recenser un idéogramme aussi ancien.



 

Discussion

à propos de la communication de Jean Florence


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