Dans le n° 11 d’Essaim, Huo Datong nous adresse une missive venue de Chine, Singularité de la formation des psychanalystes en Chine. Comment devient-on psychanalyste ?


Nous sommes ici pour débattre avec le Groupe Psychanalytique de Chengdu, du trajet de la psychanalyse et en particulier pour ma part, de celui de la psychanalyse d’enfants en France.

Un analysant en France puis en Chine devient psychanalyste ; autour de lui, comme cela arrive quand la psychanalyse apparaît, l’enthousiasme, le trajet personnel des cures, la pratique, le désir de savoir et l’étude de la théorie surgissent. Déplacement des études érudites chinoises sur l’étude des textes de la psychanalyse, d’abord lacaniens puis freudiens, faisant d’emblée avec Lacan, le retour à Freud.

« Désir de faire reconnaître son désir » dans la cure, il s’agit de quitter les trajets universitaires préparés. Devenant psychanalyste, des collègues, des relations, lui adressent cette même demande qu’il décide d’assumer.


C’est une pratique des cures pour ainsi dire épurée des demandes qui sont celles de la psychothérapie, du médical et particulièrement du psychiatrique, du psychologique.

Un groupe vit et fonctionne sur un campus universitaire au milieu des différentes branches universitaires enseignées et reçues par les étudiants à l’Université de Chengdu.

Qu’en est-il des maladies “nerveuses”, qu’en est-il des enfants ? Quelles demandes arrivent dans ce lieu psychanalytique d’une forme nouvelle ?

On peut donc, pour ceux qui viennent là, se passer de la sacro-sainte psychopathologie, de la formation médicale, psychologique, de l’apprentissage préliminaire dans les lieux de la folie, de l’enfermement ?

Est-ce qu’un psychanalyste de cette sorte pourrait recevoir « quelqu’un qui entend des voix » pour reprendre la métaphore de Michel Guibal concernant la folie.

Est-ce que l’étude des Cinq Psychanalyses de Freud et le retour et commentaire qu’en fait Lacan dans les différents écrits que nous possédons, commentaire sur L’homme aux rats, étude du cas de Dora, élaboration sur le cas de Schreber (dans le séminaire de Psychoses) suffiraient à nos collègues pour s’orienter dans le déroulement de l’histoire du névrosé, dans le discours du paranoïaque qui viendrait leur parler ?

Et l’enfant ? Vont-ils vouloir faire l’offre d’écouter une famille et de faire une cure avec un enfant ? Des enfants à l’Université… Mais fort heureusement les enfants ont presque toujours des parents et si l’offre leur est faite, « oui, je peux recevoir un enfant », ils ne manqueront pas d’être sollicités de toute part, par des parents désireux d’aider leurs enfants, leur enfant.


Cette intervention est faite conjointement par Mme N.Jaquot et par moi-même. Elle est nourrie par une pratique de la consultation psychanalytique avec les familles, et par la pratique des cures d’enfants pendant de nombreuses années dans une structure appelée consultation-médico-psycho-pédagogique. Il existe plus de 300 dispensaires de cette sorte en France. Dans ce lieu, nous avons mis en commun avec d’autres collègues, les expériences acquises dans un séminaire mensuel de clinique, de lectures des textes, de commentaires qui s’est avéré indispensable pour le travail. Un C.M.P.P. est une structure pluridisciplinaire où se retrouvent médecins, psychanalystes, rééducateurs, assistante sociale. Une circulaire du code de la Santé a fixé le fonctionnement de ces structures en 1963, dont le coût est assumé par la Sécurité Sociale.



La psychanalyse des enfants en France et en Europe.


Je parlerai de l’extension de la psychanalyse d’enfants et de la place qu’elle a prise dans la plupart des structures publiques s’occupant de l’enfance : hôpitaux, consultations spécialisées de jour, institutions thérapeutiques, enfants confiés à la Justice, à l’Aide sociale à l’Enfance qui est responsable de tous les enfants en danger, et même groupes d’aide scolaire. Partout, dans ces institutions, des psychanalystes ont leur place en tant que “thérapeutes”.


Puis je questionnerai l’existence même de l’analyse d’enfants qui a pris une telle place. « Une praxis qui est en train de devenir un mythe collectif » (J.B Pontalis et A.L.Stern Les Temps Modernes déc.1962) Existe-t-elle ? d’où vient-t-elle, comment s’est-elle construite ? L’exemple français peut ouvrir des voies à nos collègues chinois.


Dès 1945, à la fin de la deuxième guerre mondiale, des projets de soins pour les enfants, associant la psychanalyse ont vu le jour. La diffusion et l’extension de ces lieux, leur reconnaissance par l’État a donné une place à la psychanalyse des enfants dans la société et dans la culture, tandis que l’exercice libéral existait mais de façon beaucoup plus modeste. Elle a produit une ouverture à la parole pour un grand nombre de personnes, parents, enfants, personnes voulant s’occuper de l’enfance, dans la prise en charge des difficultés “d’inadaptation” scolaires, affectives, du comportement de l’enfant, qui n’étaient jusque-là que médicales ou éducatives. Le malaise psychique, les manifestations de la souffrance et de l’angoisse, les symptômes des enfants ont poussé les parents à rencontrer un “psy”, et ont sorti les enfants de la pure sémiologie médicale. L’enfant a été extrait de sa place de toujours, celle d’un objet étiqueté, qui dans le champ social ou médical peut faire les plus grands ravages, “cet enfant est un arriéré, un débile, un délinquant”.

Il lui a été reconnu une position de sujet parlant et “surtout à celui qui semble être le moins capable de parler”.

Les parents demandent quelque chose pour leur enfant, “qu’est-ce que c’est ? Il y a une ouverture au sens inconscient de la situation, le pressentiment que le conflit œdipien de l’enfant et aussi leur propre désir est en jeu”. Ils se plaignent de leur enfant, que le scandale du symptôme disparaisse, qu’il se “normalise”. Mais avec Lacan est apparu pour les psychanalystes ce fait : les parents demandent à travers l’enfant, pour eux-mêmes.


Je ne peux que survoler les sources, le lieu de naissance de la psychanalyse d’enfants en Europe. En quatre-vingts années c’est devenu un immense savoir.

À Vienne en 1920, les psychanalystes commencent à observer les enfants. C’est une demande que leur a faite Freud. Il s’agissait des collectivités s’occupant d’enfants délinquants, ou dans le milieu pédagogique. Anna Freud était une institutrice. Les psychanalystes, dans le grand enthousiasme de la science débutante, explorant l’espace psychique et découvrant dans l’enseignement de Freud, la sexualité enfantine et la construction désirante du mythe œdipien, pensaient qu’on pouvait élever psychanalytiquement les enfants, et les débarrasser de toutes sortes de maladies névrotiques.

Changer le monde futur !

À cette époque, les enfants des psychanalystes sont analysés.

Mélanie Klein dans une visée de progrès pour ses propres enfants, analyse deux d’entre eux, et établit sa propre recherche. Il ne s’agit rien moins, dans sa théorie que de restaurer chez l’enfant la capacité de penser.

Anna Freud, jeune adulte, est analysée par son père.

Tout est possible.

Les deux premières analystes d’enfants, reconnues comme telles, proposent dans les congrès des observations d’enfants traités.

La psychanalyse d’enfant est née et elle est d’emblée contestée et sources de questions embarrassantes pour la Psychanalyse.


Mélanie Klein prétend adapter la cure type aux enfants, dès le plus jeune âge, le jeu et la parole sont l’association libre de l’enfant. Chez lui, existe depuis le début de la vie, œdipe précoce, pulsion destructrice primordiale qui va se lier à la pulsion libidinale, relation d’emblée aux objets que sont les fèces, le sein, le pénis. Régression et possibilité de transfert sont présentes. Elle analyse et interprète jusqu’au refoulement primordial.

Anna Freud préserve la théorie freudienne de tout remaniement et pense que la cure de l’enfant ne peut se faire qu’après la constitution du moi et l’arrivée du surmoi. Elle théorise les mécanismes de défenses, le conflit intrapsychique devient le rébus à élucider. Elle réfute la pulsion originelle destructrice qui semble mettre en question le dogme freudien de la dualité des pulsions de vie et libidinale. C’est cependant une très grande clinicienne (voire son texte : Survie et développement d’un groupe d’enfants, une expérience bien particulière dans L’enfant dans la psychanalyse, NRF.)

Les deux analystes sans le vouloir, apportent des questionnements majeurs à la théorie, et à la cure d’adulte. La grande critique faite à l’analyse d’enfant étant qu’elle se passe “dans le champ du désir en action” et que le temps du refoulement et de l’après-coup n’ont pas leur place. La théorie lacanienne du trauma psychique, celui de la rencontre du sexuel et de la parole amènera une réponse à cela dans la mise en route chez l’enfant dès le plus jeune âge du fonctionnement symbolique dans son inscription de la langue.


Les événements historiques, la montée du nazisme, ont fait que Mélanie Klein et Anna Freud se sont retrouvées en 1939 à Londres où la querelle s’est amplifiée, même sous les bombes, paraît-il.

J’ajouterai que la diffusion de la psychanalyse d’enfant a suivi le chemin de l’émigration forcée des psychanalystes viennois, allemands, hongrois, en France, en Angleterre, aux Etats-Unis.



L’analyse avec un enfant repose chez lui, comme pour l’adulte, sur un désir de savoir, et sur une adresse socialisée à l’autre par la parole, qui fait que l’enfant parle, joue, dessine, s’exprime. L’analyste met en place un cadre, une règle, s’assure que les référents de l'enfant, ses parents, l’autorisent à cette relation particulière. Françoise Dolto subordonnait une cure à la présence et l’accord du père, et à l’acquiescement de l’enfant. Les limites dites sont que l’enfant ne devra pas s’en prendre au corps de l’analyste et à son lieu de travail qui est une “extension” de sa personne, et aussi qu’il peut tout dire ou exprimer. L’analyste écoute, l’enfant “parle”, l’analyste traduit et interprète ce que l’enfant exprime de son fantasme et désir inconscient.

Ce dispositif, le fait que l’analyste n’est pas désirant incestueusement pour cet enfant, fait tomber les entreprises de séductions et déplace les symptômes dans lesquels l’enfant, objet du désir inconscient des parents est assujetti dans le manque à être en forme de liens qui sont autant de manifestations du collage incestueux dans lequel il se trouve. L’équivalent symbolique de l’enfant et du pénis lui donne un statut particulier dans le fantasme inconscient maternel. L’analyste « commence par se débattre régulièrement avec cette double exigence qu’il ressent à tort comme contradictoire, reconnaître l’enfant comme sujet et ne pas méconnaître qu’il est tout aussi objet ».

Peu à peu une parole vraie est énoncée par lui, qui est reconnu par le psychanalyste.


L’arrivée de l’enseignement de Lacan a transformé pour beaucoup la pratique de l’analyse d’enfants. Dans l’écoute de la parole des parents qui est devenue une écoute analytique du désir inconscient, et dans la pratique même de la cure la prééminence du “matériel”, dessin, jeu, a laissé une place plus grande à l’écoute même de la parole.

Lacan n’a pas parlé de la pratique de l’analyse d’enfant, mais de la place de l’enfant dans le désir inconscient de la mère, du père. « Le symptôme de l’enfant supporte ce qu’il y a de symptomatique dans la structure familiale ». « L’enfant réalise par sa présence, l’objet “a” du fantasme maternel ». « Il lui donne immédiatement accessible, ce qui manque… l’objet même de son existence apparaissant dans le réel. Il en résulte qu’à mesure de ce qu’il présente dans le réel, il est offert à une plus grande subordination dans le fantasme ». (Notes sur l’enfant, 1969. et Autres Écrits).

Le texte d’une Conférence à Genève sur le symptôme (1975), fait du symptôme une production du trauma psychique lorsque le sexuel rencontre la langue particulière dans laquelle cet enfant, déjà parlé avant sa naissance, apparaît. L’emprise sur la destinée du sujet est d’autant plus forte qu'elle s’inscrit dans des articulations signifiantes. Tel signe visible sur le corps d’un nouveau-né déclenche chez le parent à qui ce signe revient du dehors la plus terrible des angoisses et de mauvais présages pour l’enfant qui ne sont en fait que telle histoire vécue par lui, parent, dans le passé et oubliée. C’est de l’œdipe inconscient du parent dont il s’agit, qu’un psychanalyste présent dans cette maternité ou ce service de pédiatrie pourra entendre et interpréter.


En ce qui concerne l’écoute des parents, il ne s’agit pas tant de repérer dans l’histoire familiale des deux lignées, les événements importants, pour situer l’enfant dans sa généalogie, mais d’écouter comment les parents parlent de cela, ce qui compte pour eux, de recevoir leur demande, leur plainte, l’identification dans laquelle ils sont ainsi que l’enfant avec eux, quels signifiants, quels vœux inconscients planent autour d’eux. Dans l’urgence pédiatrique ou même “psychologique” les parents parlent de l’enfant et d’eux-mêmes, avec une vivacité qui ne se retrouve pas dans les consultations préparées, balisées, “testées”. Ce travail avec les parents devient primordial dans un grand nombre de cas, constituant une consultation psychanalytique. Il permettra à l’enfant de retrouver une certaine liberté avec le symptôme. Il y a aussi des enfants qui feront une demande d’analyse à recevoir comme telle.



Qui sont les analystes qui travaillent avec les enfants ?

Je vais parler des analystes lacaniens dont je connais mieux le trajet.

Freud pensait que les femmes étaient plus aptes à analyser les enfants, à cause de leur désir maternel. Il y a des hommes analystes d’enfants. En fait il n’y a pas de spécialisation comme les pédopsychiatres ou les instituteurs. C’est certainement un intérêt particulier pour l’enfant en tant que personne « allant devenant » disait Françoise Dolto. La plupart  des analystes d’enfants reçoivent aussi des adultes et mènent des cures d’adultes en privé, et reçoivent aussi des enfants en privé. Il y a aussi les contrôles des analystes en formation qui travaillent dans les structures publiques. Lacan qui faisait des analyses de contrôle, s’intéressait beaucoup à ceux qui travaillaient avec les enfants. Beaucoup d’analystes ont travaillé dans les débuts dans ces structures, à la fois banc d’essai où ils recevaient des familles et des enfants, et moyen d’assurer des ressources.

Au fil du temps certains analystes ont continué dans ces institutions et chez eux. Les analystes qui se sont occupés, s’occupent, ou s’occuperont des cures d’enfants sont très nombreux en France, mais ils ne sont pas désignés dans les groupes, écoles, associations analytiques. Chaque école lacanienne possède les siens qui organisent sans trop de régularité des colloques et des journées de travail.

Il existe aussi des revues concernant l’enfance et l’adolescence.


Quel a été en France le chemin parcouru ?

En 1939, très peu de consultations existaient, elles se comptaient sur les doigts d’une main et se trouvaient au sein d’une très jeune discipline médicale, branche de la psychiatrie, la neuropsychiatrie infantile. Le premier professeur, Georges Heuyer est nommé en 1950. Dans son service à l’hôpital, avant guerre, une psychanalyste géniale, Sophie Morgenstern, qui inventa pratiquement le travail sur le dessin d’enfant, dont Françoise Dolto fut l’élève, a planté les premières pousses de cette pratique. Elle se suicida à l’entrée des Allemands dans Paris en 1940.


Pendant la guerre, la France est écrasée sous l’occupation allemande. Le gouvernement de Pétain est particulièrement conservateur et réactionnaire. Ce sont les thèses d’Alexis-Carrel, eugéniste et raciste qui triomphent. Les enfants sont laissés à eux-mêmes sur le plan psychique, ce qui leur laisse une certaine liberté (le film Jeux Interdits). On essaie de ne pas les laisser mourir de faim. C’est la chasse à l’homme pour les familles juives. 11 700 enfants français et étrangers seront assassinés en Allemagne.



Comment la psychanalyse d’enfant a-t-elle pris une place si éminente en France ?

À la Libération, des pédagogues, des médecins, dans un pays profondément ébranlé dans ses repères symboliques, un pays « où il manque du monde » (Michel Fenneteau), ont ressenti la nécessité d’offrir une “guidance infantile” aux familles. Les carences symboliques du père, comme instance interdictrice dans un pays où beaucoup d’hommes ont été prisonniers en Allemagne pendant quatre ans, marquent les familles. Les événements d’une science marquée par son passé récent et de plus en plus déshumanisant ont produit un appel à une instance tierce qui s’est très bien reconnue dans la consultation du “psy”. Le psychanalyste, autrement que le psychothérapeute, « aura à donner au père venu le consulter comme au fils, le droit de s’accomplir comme sujet. »


À cette époque, c’est dans le domaine psychiatrique que les premières expériences se sont passé. Un mouvement extraordinairement fécond va balayer les hôpitaux psychiatriques disséminés dans les départements français par l’intermédiaire des psychiatres chefs de services, leurs assistants et leurs internes qui se reconnaissent dans un renouveau psychiatrique particulier, la Psychiatrie Institutionnelle. Venue de la Résistance, de l’engagement de nombreux intellectuels et psychiatres au Parti Communiste, et de la Psychanalyse, la prise en charge et la vie des malades mentaux est transformée. C’est l’institution qui devient soignante.


Dans ces années cinquante-soixante la santé mentale des enfants devient l’affaire du Ministère de la Santé et de la Sécurité Sociale (crée en 1945). C.M.P.P. et secteurs infanto-juvénile sont responsables du diagnostic et du traitement et de la prévention concernant l’enfance. Les troubles mentaux sont sortis du handicap, de la dégénérescence, de l’anormalité. Une politique de soins est instaurée et est ouverte à tous.

Les psychanalystes, de formation médicale ou psychologique occupent ces postes de travail. Les institutions sont sous le contrôle du médical mais le travail psychanalytique y est presque toujours possible.


Ces dernières années, il y a eu une régression de cette grande ouverture sociale à la psychanalyse qui est due à plusieurs facteurs mais surtout au fait que les nouvelles générations de psychiatre ont abandonné peu à peu la psychanalyse au profit des médicaments et parfois des thérapies comportementales.



La conclusion

Plusieurs expériences ont produit des effets de transmission non encore totalement mesurables. Madame le Docteur Jenny Aubry a eu à diriger un grand service parisien où il y avait autant de psychanalystes que de médecins. Maud Mannoni a ouvert un centre à Bonneuil dans la banlieue parisienne qui a été un lieu d’accueil et de recherche pour les enfants psychotiques. Des dizaines d’expériences psychanalytiques ont fonctionné ainsi en France. Madame Monique Tricot présente à ce colloque a été l’initiatrice depuis 1983, d’une expérience psychanalytique dans les Centre de Protection Maternelle et Infantile qui est très originale et utile pour les mères de classes sociales éloignées d’habitude, de ce genre de consultations

La vivacité de l’expérience de l’analyse d’enfant n’est prête de s’éteindre.



NB. les citations entre guillemets viennent du texte de J.B.Pontalis et A.L.Stern cité plus haut.







J’ajouterai une ou deux vignettes cliniques concernant des consultations psychanalytiques :

               

Je vais poursuivre de façon brève, par trois consultations : consultations psychanalytiques. Celles qui mettent en présence dans une structure publique comme un CMPP, CMP, un dispensaire, une institution médico-pédagogique à la fois “soignante” et éduquante, une famille avec un enfant et un consultant médecin ou pas, mais qui se situe dans une relation de parole psychanalytique, l’équivalent de ce que nous appelons entretiens préliminaires. La définition éthique ou technique préalable est qu’il ne s’agit pas d’une investigation diagnostique ou pronostique ou d’une visée de prévention, toutes démarches qui ressortissent à un acte médical, psychiatrique qui serait suivi automatiquement d’une prescription thérapeutique, même si elle est “sociale”.

Cette consultation est un échange de discours, de paroles où la demande de chacun va trouver une place, une écoute. Il s’agit d’ouvrir la possibilité dans la parole du père, de la mère, du tuteur et enfin de l’enfant à une élucidation pour chacun, du désir, du fantasme, de ce que le symptôme véhicule même si c’est le symptôme qui prend le devant de la scène.

Dans la majorité des cas, la seule possibilité de venir en aide à un enfant à la fois dans l’immédiat et assez souvent dans le futur est cette mise en place d’une consultation de cette sorte, même s’il faudra aussi une participation conjointe d’un orthophoniste, d’un psychomotricien, d’une assistante sociale et parfois d’un médecin pédiatre.

Cette consultation est le préliminaire à une éventuelle analyse de l’enfant.


Voici trois consultations :


La première

Je reçois chez moi un soir un coup de téléphone d’un père. Il a eu mon nom par un ami qui est loin quelque part en France. Un patronyme et n° de téléphone qui circulent. C’est déjà une ouverture préalable au transfert. L’urgence et les paroles du père sont telles que je me sens être immédiatement, « l’adresse » de cette histoire. Sa fille a seize ans, elle s’est ouvert les veines avec un cutter.

Toute la nuit les parents ont couru les hôpitaux, consultation psychiatrique, retour en salle de chirurgie. Rendez-vous est pris le lendemain matin au CMPP. L’adolescente est là avec sa mère. Il y a quelques mois, on a découvert à l’école qu’elle buvait de grandes quantités de bière. Les parents prévenus, l’infirmière de l’école les adresse dans une consultation pour adultes alcooliques. Elle ne veut pas parler au médecin qui lui donne antidépresseurs et anxiolytiques, la définissant comme une malade et ouvrant à cette adolescente le passage de l’alcool à une toxicomanie par les produits qui shootent. Ici non plus elle ne veut pas parler. Elle veut “des médicaments pour guérir de tout ça”. Sa violence contre elle-même, contre ses parents contre tous, se referme sur son silence. Ce silence il faut pour le moment le respecter. Mais comment tisser le lien social avec elle ? Avec ses parents tout à fait désolés ? La mère voudrait bien que sa fille parle… Un peu comme les parents amenant un enfant victime d’abus sexuels et qui voudraient que l’enfant avoue, dise la vérité. Pas à eux ! mais à quelqu’un d’autre, un médecin. Ici je propose à la mère de me parler, elle, de son enfance, quand elle avait l’âge de sa fille, de sa famille à elle… Ainsi va se tisser un travail du symbolique dans les discours des différentes personnes, de la famille autour du silence attentif de la jeune fille.

La consultation psychanalytique vérifie cette assertion : un enfant ça ne grandit pas tout seul”, qui s’oppose à la parole commune “les enfants, ça pousse tout seul”.

C’est dans le temps de la consultation que va se rassembler autour de l’enfant, tout ce qui l’étaye et le construit, ou tout ce qui lui manque. Je cite ici une phrase de Michel Fennetaux (dans “psychanalyse chemin de lumière”) : “comment ne pas voir que la psychanalyse s’indique comme le lieu où se trouve posée la question éthique centrale du temps où nous vivons. Elle n’est obsolète qu’au regard de ceux qui, sans toujours le savoir, ont déjà pris leur parti du meurtre”. Cette question se pose vraiment dans chaque consultation d’enfant.


La deuxième consultation

Un petit garçon avec son père et sa mère. Un peu rêveur, un peu tendu. Sa mère me dit que cet enfant, on ne sait pas par quel bout le prendre : tantôt tout va bien à l’école, tantôt pas du tout. C’est pareil à la maison. La mère dit qu’il lui pose une question. Même l’instituteur dit pareil, il lui pose une question. Le père, très tendu, et très silencieux et montre quelque chose qu’il ne dit pas : son visage comme d’une extrême jeunesse, avec une très ancienne tristesse, et des cheveux blancs. Son nom propre est un nom de l’Europe de l’Est, Pologne ? Russie ? Le signifiant qui se dit chez eux, chez moi, est la question, et c’est l’enfant qui l’incarne. Après quelques hésitations, je pose la question au père : d’où vient-il, d’où vient son nom ? Il peut alors me dire sûr d’être entendu, qu’il s’est toujours posé la question, sans jamais avoir reçu de réponse, sur son père, maintenant disparu, dont il savait qu’il avait passé avant sa naissance, pendant la tourmente de la deuxième guerre mondiale, cinq années dans un camp en URSS. Il dit qu’il a toujours pensé que ses difficultés à lui, venaient de là, et que ça doit être la même chose pour son fils.


La troisième consultation

Elle se déroule chez moi et commence par deux actes manqués. J’oublie le rendez-vous donné avant des vacances scolaires, mais je suis là. La mère va dans la rue à un autre numéro. Avec le téléphone portable, tout s’arrange et nous nous rencontrons quand même. La mère vient à un moment de remaniement de sa vie, elle a déménagé la veille. Je comprends qu’elle va refaire sa vie. Elle vient avec son garçon qui a dix ans. Il n’y a pas de symptôme, elle ne veut pas qu’il souffre, il est émotif, tout de suite les larmes aux yeux au moindre refus, à la moindre réflexion.

Son fils est trop imaginatif… Il est aussi particulièrement charmant et attachant. L’enfant lui est causant et souriant s’adressant aux adultes, à moi, à sa mère avec un très grand sérieux.

Mais lui se plaint d’un symptôme, à l’école, il n’a pas d’interlocuteur. Les copains, ce qui le passionne, ne les intéressent pas. Car il a une passion qu’il veut sans cesse nourrir. Il a une curiosité insatiable pour l’Histoire, la grande Histoire, la préhistoire et aussi les sciences. Il est entouré de livres de jeux scientifiques, les autres matières ne l’intéressent pas. Il parle tout le temps, mais pas comme une parole d’angoisse qui comble tous les interstices, non, il peut se taire, il sait s’arrêter, mais il a tant de choses à dire… à sa mère, à moi, au monde.

La mère me demande modérément un quotient intellectuel puis y renonce facilement, devant ma réponse négative. Q.I, médicaments, tout ce qui va étiqueter l’enfant et faire taire la parole est éludé par moi au profit de la poursuite du discours. Cet enfant a évidemment une demande… sur l’homme de Néandertal ou sur la planète Saturne et ne demande qu’à poursuivre. Et sa mère peut me dire à la fin de cette consultation, déchiffrage d’un symptôme qui n’existe pas, que ce qu’elle craint pour son enfant « merveilleux » ce sont les symptômes qui ont fait de la vie de son géniteur si brillant et si imaginatif, une vie catastrophique.


                           

Psychanalyse d’enfant

Maria Landau


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