Nous pensons que d’autres, par la suite, retraceront l’histoire de ce mouvement. D’ailleurs l’Histoire, en bonne partie, ne s’éclaire-t-elle pas à la lumière du temps présent ? Il faudrait pour cela repartir de la dissolution de l’ex-École Freudienne de Paris, et en évaluer les effets. Nous évoquerons seulement cette fin d’une époque, très éprouvante pour beaucoup. D’où l’importance des aspirations positives que représente l’Interassociatif. La lutte pour le travail, l’amitié, les échanges, semblait avoir à un moment donné, inversé le mouvement. Dans cet historique du mouvement interassociatif, il convient de citer l’expérience de « PASSERELLE ».

Cette expérience est née de l’idée de deux d’entre nous : Alain Didier-Weill et Michel Guibal. Elle consista à proposer aux différentes associations de l’ex-E.F.P., de mettre au travail, entre analystes, l’hétérogène né de l’appartenance à des lieux institutionnels divers ; de prendre en compte également la part non-institutionalisable de l’analyste, la part de désir en lui, qui échappe à son appartenance moïque à un groupe donné. Passerelle a fait le pari d’essayer de substituer, à l’hétérogénéité de groupes ne se parlant pas, une hétérogénéité fondée sur une parole de lien social. Cette expérience rendue possible par l’éthique des relations qui se sont maintenues entre psychanalystes, et qui ont survécu à la force de l’acte politique de la dissolution, a été nécessaire pour évaluer, de façon critique, la place de la Psychanalyse, dans les sciences et dans la modernité.


Ces deux paragraphes se trouvent dans le bulletin N° 1 de l’Interassociatif de Psychanalyse, daté de 1991 et je le donne en introduction, en ouverture de ce séminaire de l’I-EAP. Il vient en aboutissement de trois ans de partenariat de travail, et ainsi au terme de ce séminaire, le Groupe de Chengdu, qui l’organise, sera membre (ou non) à part entière, c’est-à-dire avec doit de vote, au sein de la coordination de l’I-EAP.


Mais en dehors de ces enjeux, je dirais administratifs, il y en a, pour moi, un autre plus théorique : celui de l’hétérogène à mettre au travail, ou pour le dire comme Michel Foucault, celui de l’hétérotopie, concept que F. Jullien reprend dans le cadre de son « écart par la Chine ». Il est clair que le Groupe de Chengdu prend le risque d’incarner, pour nous, occidentaux, l’hétérotopie ou l’hétérogène. Pour moi, le mettre au travail, c’est indiquer que si la Chine est hétérotopique par rapport à l’occident, nous sommes, nous européens, pour la Chine, hétérotopique aussi bien. Donc mettre au travail ces hétérotopies inversées, et élargir la question jusqu’à l’idée d’hétérochronies.

Enfin ne pas oublier que si S.Freud emmène l’hypothèse de l’inconscient en Chine, en 1921, par B.Russel interposé, J.Lacan la conduit jusqu’à la question du « sujet de l’inconscient », ce qui, pour le moins, devrait nous permettre d’éviter le risque d’une nouvelle ontologie, risque que la Chine pourrait nous aider à contourner.

Le « sujet de l’inconscient », pour ces quatre jours, je l’entends dans la pluralité des langues et donc dans la mise en scène de la traduction.


Il y a d’abord des utopies, Les utopies, ce sont les emplacements sans lieu réel. Ce sont les emplacements qui entretiennent avec l’espace réel de la société un rapport général d’analogie directe ou inversée. C’est la société elle-même perfectionnée ou c’est l’envers de la société, mais de toute façon, ces utopies sont des espaces qui sont fondamentalement, essentiellement irréels. Il y a également, et ceci probablement dans toute culture, dans toute civilisation, des lieux réels des lieux effectifs, des lieux qui sont dessinés dans l’institution même de la société, et qui sont des sortes de contre-emplacements, sortes d’utopies effectivement réalisées dans lesquelles les emplacements réels, tous les autres emplacements réels que l’on peut trouver à l’intérieur de la culture sont à la fois représentés, contestés et inversés, des sortes de lieux qui sont hors de tous les lieux, bien que pourtant ils soient localisables. Ces lieux, parce qu’ils sont absolument autres que tous les emplacements qu’ils reflètent et dont ils parlent, je les appellerai, par opposition aux utopies, les hétérotopies ; et je crois qu’entre les utopies et ces emplacements absolument autres, ces hétérotopies, il y aurait sans doute une sorte d’expérience mixte, mitoyenne, qui serait le miroir. Le miroir, après tout, c’est une utopie, puisque c’est un lieu sans lieu. Dans un le miroir, je me vois là où je ne suis pas, dans un espace irréel qui s’ouvre virtuellement derrière la surface, je suis là-bas, là où je ne suis pas, une sorte d’ombre qui me donne à moi-même ma propre visibilité, qui permet de me regarder là où je suis absent - utopie du miroir. Mais c’est également une hétérotopie, dans la mesure où le miroir existe réellement, et où il a, sur la place que j’occupe, une sorte d’effet de retour ; c’est à partir du miroir que je me découvre absent à la place où je suis puisque je me vois là-bas. À partir de ce regard qui en quelque sorte se porte sur moi, du fond de cet espace virtuel qui est de l’autre côté de la glace, je reviens vers moi et je recommence à porter mes yeux vers moi-même et à me reconstituer là où je suis ; le miroir fonctionne comme une hétérotopie en ce sens qu’il rend cette place que j’occupe au moment où je me regarde dans la glace, à la fois absolument réelle, en liaison avec tout l’espace qui l’entoure, et absolument irréelle, puisqu’elle est obligée, pour être perçue, de passer par ce point virtuel qui est là-bas.

Michel Foucault, Dits et écrits 1984, « Des espaces autres »(conférence au cercle d’Études architecturales, 14 mars 1967). Architectures, Mouvements, Continuité, N° 5, octobre, pp. 46-49.


 

Introduction au colloque

Michel Guibal


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