19 novembre 2002

Commentaire du texte de Huo Datung intitulé « L’inconscient est structuré comme l’écriture chinoise »




Écriture ou signifiance, l’inconscient est tributaire du trou qui articule les lettres en écrits, les signifiants en réseaux qui jouent (écrits et réseaux) de significations. Mais quelle place a la lettre vis-à-vis du texte et le signifiant vis-à-vis du savoir textuel ?

Quels sont les rapports de l’inconscient avec le langage, verbal et écrit ? Lacan, dans son aphorisme classique : « L’inconscient est structuré comme un langage » se contente d’indiquer la direction à suivre. À l’occasion il commence son commentaire du « comme », mais pas plus. C’est dire qu’il reste du pain sur la planche (en français : du travail à faire) pour spécifier le(s) rapport(s) que pointe le « comme ». Serait-ce un « comme si », comme Freud en utilise le concept ?

Avant même d’entrer dans le texte de Huo Datong, je préciserai ma position — c’est donc à la fois ma position et le texte de Huo Datong que je commenterai, passant de l’un à l’autre.

L’inconscient avait-il une consistance propre, une autre constance que celle du langage ? Je soutiens que l’inconscient n’existe pas plus que le sujet (barré), l’Autre (barré), l’objet a, etc. C’est un concept cherchant à saisir l’insaisissable d’une fonction. Plus exactement, aujourd’hui je tiens que l’inconscient est la transcription de la fonctionnalité en des termes qui en donnent, comme on peut dire, la valeur, précisément en des termes réels qui sont les objets, ou imaginaires : les images ou symboliques : les mots (pour en parler banalement).

Pour ma part j’aurais tendance à soutenir que l’inconscient est langage — bien que ce soit en un sens particulier, qui amène probablement Lacan à dire « comme. En effet, quelle autre consistance aurait-il ? Plus exactement, l’inconscient est fonctionnel et, bien plus, fonction à la puissance 2 : il est implication d’une fonction dans une autre (voire elle-même : fonction quadratique) — je dirais : produit d’une fonction par une autre (ou par elle-même). Je considère que la fonction de base est la représentance (Repräsentanz) de Freud, laquelle opère sur elle-même


(1) en tant que Vertretung (synonyme de Repräsentanz) pour produire son parcours de valeurs, lequel la constitue en objet ; ainsi la fonction (phallique) produit-elle l’objet (a) en tant que signification (Bedeutung) du phallus ;

(2) en tant que suppositio dont procède la significantisation qui constitue le signifiant proprement dit ;

(3) en tant que repraesentatio qui induit l’image spéculaire dont se soutient le sujet.


La fonction phallique a donc pour le point trois devenirs (dans un schéma tétrapodique) :

         en tant qu’unaire (Un), elle implique le(s);

         en tant que signifiance S1, elle implique le(s) S;

      en tant qu’absence de garantie de l’Autre (S(A/ )), elle implique l’image (i(a)) que l’Autre vise à faire admettre comme la sienne au sujet.

Ces trois éléments sont des valeurs (respectivement réelle, symbolique, imaginaire) de la fonction, soit les appareils ou les montages qui en permettent l’appréhension quand elle-même est insaisissable. Ce sont ces extensions qui constituent la saisie de ce qu’elle est en intension, quand elle est comme telle inaccessible. J’inscris le langage au niveau de l’extension symbolique (mots, syntaxe, propositions, signifiants), la langue comme « maternelle » au niveau de l’extension réelle (objets, lettres…), le discours, avec son côté tangible, au niveau de l’extension imaginaire. Je situe lalangue, dont Lacan fait un concept modulable, au niveau de l’intension.

J’appelle ainsi « inconscient » la structure productrice de l’intension fonctionnelle dans son lien aux extensions.


















« En face » de quoi je positionne la conscience comme la dialectique entre les extensions (entre les objets, les images, les mots) :








Ainsi le clivage du sujet opère entre intension et extensions. Ce clivage que Huo Datong applique à l’inconscient, trouve d’autant plus son expression graphique qu’on dédouble un pont des extensions pour arriver à un schéma hexadique, passant de









Qui est un des modes de mise à plat du tétraèdre des discours, à







ou







Ainsi le rire, avec son côté hiéroglyphique, peut-il inscrire sa Darstellbarkeit (figurabilité) selon








Le regard en arrière (Rücksicht) sur celle-ci (Rücksicht auf Darstellbarkeit : eu égard aux moyens de la mise en scène, pour Lacan) s’établissant depuis la position du sujet, via l’objet :







J’appliquerai ce schéma aux propositions de Huo Datong. (On trouvera entre parenthèses son numérotage des paragraphes.)


*


On ne saurait confondre le langage dans une université symbolique et une langue comme réelle. Toute langue participe du langage et le langage s’inscrit bien nécessairement dans une langue. Tout dépend de la façon dont lalangue commande cette opération linguistique d’engagement subjectif dans le réel particulier d’une langue. Cet engagement est si particulier que chaque sujet a sa propre langue maternelle : à chacun son chinois, son français, etc. Par exemple, je suis tributaire de l’accent de ma mère qui ne distinguait pas les e ouverts ou fermés (é ou è), et je dois en conséquence faire un effort pour les prononcer distinctement dans mon français. Il faut revenir à Chomsky pour bien considérer que le langage n’existe pas et qu’il n’est que l’idéalité que supposent les langues. Il n’empêche qu’on ne saurait ne pas y faire référence. Dès lors, à chacun son inconscient, si l’on peut dire, et l’inconscient générique n’existe pas.

Or il n’y a pas d’inconscient personnel ni de sujet individuel : comme le sujet fait référence (continuité/coupure) à l’Autre, l’inconscient fait référence (identité/séparation) à la réalité.

C’est là que Freud parle dans « Die Verneinung » du langage (on peut dire aussi bien : de la langue, die Sprache) des premières pulsions orales : ce qui se donne comme bon ou mauvais et qui appelle à être accepté ou craché, se transcrit en intérieur ou extérieur, et plus avant en sujet ou objet, Lust ou Unlust, etc. Mais le français a un usage de « langage » et « langue », qui les superpose souvent.

Ceci étant, je dirai, à lire Huo Datong (1.1), que le chinois est plus équivoque que le français, puisque les mots unisyllabiques y sont la norme. Dès lors il n’est pas étonnant que, en plus du contexte linguistique de la phrase, le caractère écrit permette de trancher entre ces homonymes lexicaux parce que phonétiques (un même phonème peut aller jusqu’à « énoncer » plusieurs dizaines de caractères, c’est-à-dire constituer plusieurs dizaines de mots, 1.2).

La question vient de ce qui fait la différence flexionnelle en français et en chinois (pour se limiter à ces deux langues — et je ne connais pas le chinois).

Arrêtons-nous sur l’idée de « formation de l’inconscient » comme Huo Datong en parle : « la formation de l’inconscient ». Je soulignerai l’idée de formation selon la production en quoi consiste pour moi le passage de l’intension aux extensions. C’est dire que pour moi l’inconscient est formation. De là l’idée qu’il n’y a d’inconscient qu’en termes de formations, d’où les dites « formations de l’inconscient », en quelque sorte « concrétions » que sont les modes langagiers par lesquels se fait valoir l’intension, soit la fonctionnalité signifiante : rêves, lapsus, actes manqués, oubli des noms, traits d’esprit…

Avant d’aller plus loin, je précise : si Freud parle de clivage du sujet (Ichspaltung) et Lacan, dès lors, de refente du signifiant (S1 → S2), aucun des deux, me semble-t-il (sous toute réserve), n’avance ce concept de « clivage de l’inconscient » qu’utilise Huo Datong. Il n’empêche que ce concept me semble recevable, de ce que précisément l’inconscient se partage entre intension et extensions ou plus avant entre, d’une part, les liens entre intension et extensions (ce que j’appelle strictement « inconscient »), et, d’autre part, la dialectique entre extensions (que j’appelle conscience). En quelque sorte, l’inconscient est à la fois inconscient et conscience. C’est d’ailleurs ce que Freud dit du Ich.

Donc, Huo Datong propose de suivre la voie du sinogramme pour s’avancer sur la question de « la structure de l’inconscient, son clivage et ses opérations » (1.2) : « la structure de l’écriture chinoise […] offre une clé […] pour comprendre la formation de l’inconscient ».

Il est sûr que Lacan différencie inconscient et linguistique : les catégories de la condensation et du déplacement ne sont pas exactes décalques de la métaphore et de la métonymie. D’où le « comme ». À soutenir que ces catégories redoublent (ou se redoublent dans) les mécanismes de composition des sinogrammes, Huo Datong peut dire que « l’inconscient est structuré comme l’écriture chinoise » (2.1).

Il décrit donc cette décomposition du signifiant, en ce qu’il inclut la lettre, selon le schéma de Freud dans sa Contribution à l’étude des aphasies. Disant cela, je soutiens qu’il ne s’agit pas de limiter le signifiant à l’image auditive, ni à l’image visuelle (lecture).

Or Huo Datong dit en quelque sorte que le caractère chinois, avec la persistance de son côté représentatif, maintient dans ce qu’il fait valoir de représentation comme mot (Wortvorstellung) un fond de représentation comme chose (Sachvorstellung). À l’arbitraire du signe de Saussure, Huo Datong oppose ce qui s’impose de similarité morphologique entre la chose et le caractère (2.1).

À partir de là, je ne saurais suivre Huo Datong lorsqu’il effectue le forcing de faire cadrer la triade signifié, phonétique, sinogramme dans celle de Lacan, classique aujourd’hui, soit respectivement le réel, le symbolique et l’imaginaire. En effet le signifié n’est pas strictement réel, il est pour la signification, pas pour le sens, plus symbolique, sans parler de ce qu’il véhicule d’imaginaire, pas strictement imaginaire (il l’est pour sa figure, mais il est symbolique pour sa valeur signifiante, mais aussi il articule le réel, comme c’est probant en physique ou dans les mathèmes) et le système phonétique n’est pas que symbolique (il porte son imaginaire propre et ses effets réels). C’est dire que la schématisation entre le son, le caractère, et le signifié a un « caractère » borroméen « marqué » : comme chaque rond du nœud lui-même, chaque élément de cette triade est à la fois réel, symbolique et imaginaire. Dès lors la situation des fonctions métaphoriques et métonymiques dans cette schématisation (2.2) laisse à désirer. Je reviendrai sur ces raisons métonymico-métaphoriques. Mais je dirai d’ores et déjà que la métonymie constitue le lien borroméen entre son, sens et lettre (pour parler comme Jakobson), la métonymie y a valeur de dissolution du nouage entre les registres, aucun ne valant sans les autres (pas sans) ; et que la métaphore spécifie à la fois l’identité d’un registre et l’homogénéité entre eux (entre tous), soit l’identité de chacun vis-à-vis de chacun des autres.

Ce schéma borroméen implique qu’il n’y ait rien de premier ni de primordial ni qui prenne le pas (la primauté) sur les autres. Par la même occasion, on peut préciser qu’il n’y a pas de construction de l’inconscient opérant de façon temporelle, selon un temps chronique. Plutôt a-t-elle la valeur que représente la bande de Mœbius. Je ne dirai donc pas qu’il y a deux « étages » (2.2) de l’inconscient, correspondant à deux étapes de sa constitution :

« d’abord un état disjoint » dans trois ordres, à la base de l’inconscient,

puis un état lié. L’état disjoint me fait irrésistiblement penser à la psychose. Mais l’on ne saurait parler, comme je le conçois, de borroméen dans la disjonction de ses constituants.

L’évolution pictographique des caractères tant vers l’abstraction que la concrétude des choses (1) d’arbre à bois, de la matière de bois à chaise ou à cercueil, ou jeu d’échecs, 2)  de l’arbre singulier à la pluralité : forêt ou à la partie : racine, extrémité des branches, pour s’en tenir aux exemples de Huo Datong) amène celui-ci à schématiser deux directions d’extension pictographique. Or cette extension du pictogramme (par adjonction ou « surlignement » d’éléments) suit strictement les modes associatifs de la pensée conceptuelle. Huo Datong parlera de lien sémantique. Est-ce dû, comme semble le soutenir Huo Datong, au fait que pour ce faire le pictogramme est sa propre voie figurative, détachée de tout lien de nécessité au phonème ? Le son reste ici arbitraire, quand le caractère a cessé de l’être (voire même : ne l’a jamais été). Dès lors un phonème peut aller jusqu’à correspondre à plusieurs dizaines de caractères.

Dès lors on peut constituer, à lire Huo Datong, les schémas suivants :
















Pour l’axe sémantique, Huo Datong va parler de lien de similarité. Je dirais plutôt ici lien métonymique, association de contiguïté (partie pour le tout, matière pour l’objet, élément pour l’ensemble), souvent plus exactement synecdochique. À l’envers Huo Datong parle de contiguïté pour mettre en jeu la dispersion des pictogrammes sans lien sémantique.

Quoi qu’il en soit, on peut soutenir que la « chaîne » d’écriture, détachée de la phonématique, flotte sur la chaîne signifiante, mais qu’elle s’y rapporte (avec le même effet de coupure) comme les éléments signifiés. Disons plutôt que la « chaîne » d’écriture est aussi discrète (non continue) que le sont les caractères qui la constituent.

Huo Datong envisage ainsi trois types de coupure dans le borroméen entre son, caractère et signifié :

entre caractère et son, chacun « flottent » pour son propre compte sur le signifié (3.1 et 3.2) ;

entre caractère et signifié (3.3 et 4.3) ;

entre son et signifié (4.4).

La coupure entre pictogramme et signifié implique que le premier ne représente plus que le son, d’où la « syllabographie grossière » à laquelle ont mené les emprunts de l’écriture chinoise. La même coupure existe dans l’écriture égyptienne ou dans l’écriture grecque archaïque.

Évoquons les conséquences des analogies que pousse Huo Datong entre son, figure du caractère, signifié et symbolique, imaginaire, réel. Cela l’amène à interpréter les hallucinations

visuelle, comme rupture entre sinogramme (son propos est ici restreint à l’écriture chinoise, mais l’on s’attend à ce qu’il aille plus loin), et son : la figuration du caractère prend le pas sur le signifiant et sa flottaison à l’égard du signifié rend opérante toute figuration ; Huo Datong va jusqu’à soutenir que « l’idéogramme de l’écriture chinoise correspond à (…) l’hallucination visuelle » ;

auditive, comme résultat selon le même raisonnement de la même rupture entre sinogramme et son, mais cette fois considérée du point de vue du son.

Deux conséquences de la coupure entre imaginaire et symbolique :

De la rupture entre le caractère et le signifié naît l’amnésie, conséquence de la coupure entre imaginaire et réel.

De celle entre le son et le signifié (entre symbolique et réel) résulte l’aphasie (mais Huo Datong semble plutôt parler de schizophasie que d’aphasie).

Là Huo Datong distingue les manifestations d’un désir libéré (hallucinations) et celles qui sont tributaires de sa « forclusion » (4.5 : aphasie et amnésie).


*


Dès lors on entre dans une dialectique plus poussée entre caractère, son et sens. On a vu les deux premiers « stades » de l’idéogramme comme tel et de ce qui s’y ajoute comme emprunt. Vient maintenant le stade idéophonographique », ce qui suppose que les problèmes suscités par les emprunts aient été globalement réglés (5.1).

Ici je dirai que Huo Datong entre dans un forçage par trop imaginaire en faisant comprendre sa schématisation gauche-droite, soit figure-son pour lui, à la différenciation physiologique des hémisphères cérébraux, respectivement droit et gauche (respectant le chiasme des latéralisations) : le cerveau gauche est celui du langage (ici réduit à la verbalisation), il traite ce qui vient de la droite du champ visuel (sic), et le cerveau droit est celui de la vision (sic), il traite ce qui vient de la gauche, soit l’idéophonogramme. Cela reste à voir. Parle-t-on ici vraiment de physiologie ?

Huo Datong prend l’exemple de l’idéogramme qui signifie « mère » et se prononce ma (un ma que Huo Datong réfère aussi à maman). Il laisse de côté le signifié pour ne considérer que la dualité figure-son. L’idéogramme ma associe ces deux autres qui signifient chacun séparément « femme » et « cheval ». Mais l’élément phonique « femme » du pictogramme ne se prononce pas. Seule en subsiste la figure idéographique et inversement l’élément « cheval » ne joue qu’un rôle phonétique, sans plus de valeur représentative ou de figuration référée à un cheval. Ce dernier pictogramme n’implique que le son ma. Huo Datong parle là d’un double « refoulement » (5.1), le caractère « femme » est devenu muet et celui « cheval » est devenu non représentatif. Pour Huo Datong cela associe imaginaire (femme) et symbolique (cheval).

Dans l’ordre du forcing analogique, ramener la figure du sinogramme à l’imaginaire et le son au symbolique, et de là, respectivement, aux dites représentations de chose et représentation de mot, me semble excessif. D’une part, parce que la traduction française des termes Wort- et Sachvorstellung laisse à désirer : ici pas de s de composition des mots (comme dans Vorstellunsrepräsentanz), donc rien qui in… au génitif (le de français), et donc, selon les habitudes de traduction mal conçues lorsqu’elles se juxtaposent au mépris de la langue : représentant-représentation, comme disent Laplanche et Pontalis, mais qui peuvent se défendre lorsqu’on choisit l’opposition : représentation-mot ou représentation-chose (comme on dit « représentation-but » pour Zielvorstellung) au sens de représentation en tant que mot ou passant par le mot, ayant consistance de mot, et représentation en tant que chose (Sache : un truc, pas un objet matériel, et donc plus vague que l’objet tangible, comme on parle de la loi ┬ ou de la loi ┴  en mathématiques : loi truc et loi anti-truc). D’autre part, parce que Lacan pointe, à mon avis à juste titre, la représentation comme mot au niveau de l’écrit. Le mot écrit (la figuration par lettrage) a valeur de représentation, à mon sens, réelle. Cela ne cadre pas avec les analogies de Huo Datong.

En fait, Huo Datong a une conception de l’inconscient par feuilletage (de un à quatre niveaux, cf. § 5.3 ; Freud : …). C’est dire qu’il fait essentiellement jouer la métaphore comme constituant de l’inconscient (système de recouvrements). Mais s’agit-il ici de clivage comme l’annonce son titre ? Je dirais pour ma part que le lien que constitue paradoxalement la solution de continuité du clivage est d’abord du lien métonymique, qui fait glisser d’un trou à l’autre ce qui s’y inscrit comme manque (objet métonymique). Reprenons :

1er étage : disjonction du réel, du symbolique et de l’imaginaire (§ 2.3) ;

2e étage : liaison du réel, du symbolique et de l’imaginaire (§ 2.2) ;

3e étage : manifestation arbitraire et combinaison libres de l’imaginaire et glissement arbitraire et déplacement libre du symbolique (§ 5.3) ;

4e étage : reconstitution mutuelle des parties omises entre imaginaire et symbolique (§ 5.3).

Le niveau 3 est dit psychotique en référence aux forclusions qui s’y jouent. La répartition situe le niveau 4 comme névrotique : « refoulement réciproque (sic) […] entre les représentations acoustiques et [les représentations] visuelles ». Cette recomposition et cette réorganisation de l’imaginaire et du symbolique impliquent une écriture du réel que les insuffisances dialectiques des pictogrammes, des idéogrammes et de leur complémentation par emprunt n’ont pas permis de signifier : gains imaginaire et symbolique du réel.

Huo Datong est ainsi amené à repenser l’opération de refoulement en ce qu’elle constitue (de façon réciproque, texto) le préalable à la recomposition des liens signifiants depuis l’insaisissable de la fonction de désignation (c’est mon terme ici, R.L.) que l’association femme-cheval = ma permet d’accepter au double détriment de ce qui vaut strictement comme femme ou comme cheval = ma. Le plus étonnant est la façon dont Huo Datong implique là encore le cheval dans le lien ambivalent du petit Hans à son père : refoulement opérant dans le registre de l’imaginaire, dit-il, l’image du cheval voilant celle du père et la poussant dans l’inconscient. Double mouvement de condensation et déplacement dont dépend toute manœuvre de refoulement. De la même manière qu’une telle représentation (à valeur de) chose supplante ainsi une autre représentation (à valeur de) chose, Huo Datong émet l’hypothèse de la supplantation d’une représentation (à valeur de) mot par une autre représentation (à valeur de) mot. Cela nous donne divers types de refoulement.

α) Premier cas : le refoulement touche le composant phonétique de l’idéophonogramme, il participe de la constitution du rêve, du fantasme.

β) Deuxième cas : le refoulement touche ici le composant figuré de l’idéophonogramme, il participe de la constitution de l’aphasie hystérique, du lapsus.

χ) Troisième cas : ici le refoulement est « chiasmé » (représentation (…) chose/représentation (…) mot) et « correspond au cas de la langue », donc rien de plus commun.

δ) Quatrième cas : refoulement aussi chiasmé (de la représentation (…) mot à la représentation (…) chose) : peinture, écriture idéographique.

Au total, nous avons un simili groupe de Klein (au sens où cela n’en constitue qu’une étape).









Les flèches vont dans le sens de l’action du refoulement.

Soit cette autre organisation des refoulements entre eux :







c’est-à-dire encore (sans recouvrement d’un quadrangle par un autre) :










qui reprend :






(Ces divers schémas correspondent à ce que propose Huo Datong au § 5.5.)

Je suis bien d’accord avec Huo Datong lorsqu’il soutient que l’inconscient comporte aussi bien des représentations (…) mots que des représentations (…) choses : pourquoi faudrait-il que lettre, signifiant et même sujet soient uniquement conscients ? De fait, si l’on adopte ma proposition de ne pas prendre l’inconscient comme la tombe silencieuse, l’oubliette où enfermer ce qui déplaît, mais bien comme ce qui construit l’appareil permettant de saisir la fonction (phallique nommément),








alors la conscience







N’est pas sans rappeler ses racines inconscientes et le refoulement a valeur de déconstruction des appareils, spécifiant ce que Freud appelle processus secondaire, pour revenir au processus primaire :











ce qui  permet à la conscience de retrouver ses racines inconscientes. Ce rapport indissoluble de la conscience à l’inconscient tient aussi à l’absence de définition établie de la représentation chez Freud (comme chez Brentano : qui dit même que la représentation n’appelle pas de définition puisque tout le monde en a l’idée !). C’est pourquoi je prends les vocables Wort- et Sachvorstellung comme des spécifications de ladite représentation, qui ne peut exister qu’en termes de chose (ce qui implique la figurabilité) ou de mot (ce qui implique le signifiant).

Pour suivre donc Huo Datong sur son idée du nœud borroméen (qui soit dit en passant n’est constitué de ronds « enlacés », § 6.1, mais de ronds noués à 3 au minimum — je n’insiste pas), la fonction phallique — autrement dit la signifiance (à distinguer du signifiant) ou la castration de l’Autre ou l’unarité signifiante de lalangue — y est dissolution : le nouage est dissous entre les ronds qui ne tiennent pas entre eux de façon organique (ce serait là l’enlacement) mais de façon fonctionnelle (simple disposition). La structure borroméenne, comme la structure tétraédrique ou la structure tétrapodique, est un schème de l’inconscient, comme du sujet. Mais cette représentation n’est pas la seule. Tout dépend de ce sur quoi il faut insister.

Aussi Huo Datong a raison de pointer (§ 6.3) en quoi, au-delà de l’homogénéité des registres dans le nœud borroméen, la dialectique entre deux d’entre eux est nécessairement différente de celle opérant entre l’un de ceux-ci et le troisième. C’est pour moi affaire d’inscription. Tout dépend de la façon dont on inscrit tel ou tel élément à telle ou telle place, dans tel « espace » du nœud, en tel point-nœud.

Reste que ce qui « compte » est le vide dont le borroméen n’est que la complexification des rapports qu’il entretient (fonctionnellement) avec lui-même et dont lettre, signifiant, objet, sujet… ne sont que les appareillages extensionnels. Ici les clivages de l’inconscient sont assurément multiples :


- entre signifiance et signifiant,






- entre signifiance et lettre (ou objet),






ce qui se démultiplie :







- entre signifiance et sujet (métaphore commandée par l’énonciation),







mais aussi

entre signifiant et lettre (§ 6.4)






entre lettre et sujet






pour ne rien laisser subsister d’un tel clivage symbolique (réversif) entre signifiant et sujet (puisque le sujet n’est que métaphore du rapport signifiant) :






Par contre Huo Datong ne devrait pas parler de « sujet montrant » (§ 6.5), car le signifiant n’est pas affaire de désignation par l’index comme tout un pan de la linguistique le laissait entendre. Lacan a remis les points sur les i dans sa discussion posthume avec Merleau-Ponty.

Mieux vaut opposer sujet de la parole et sujet de l’écriture






Selon les deux axes du rapport à la signifiance (« pur » symbolique) et du rapport à la lettre (réelle).

En fait il faut attendre la dernière phrase du texte (§ 6.5) pour comprendre ce qui y fait difficulté : Huo Datong pense en termes de pleins et de vides (ce qui ne recouvre pas la distinction des caractères et de leur entour de blanc) quand le fond même de la lettre est pour Lacan un fond évidé : la lettre fait trou, comme le signifiant ou le sujet (ou l’Autre). Ces éléments n’ont de valeur que propulser à son rang moteur ce qu’il en est de la signifiance comme trou ou de la fonction comme intensionnelle.


II. La représentation comme langage


Plus exactement, il va s’agir maintenant de la « représentation » picturale chinoise en tant que langage, selon ce qu'en élabore François Cheng.

Le livre de F. Cheng commence là où se termine l’article de Huo Datong :

« Plongeant » racines dans une écriture idéographique (qui a privilégié l’usage du pinceau et… la tendance à transformer les éléments de la nature en signes), […], cet art […]. » F. Cheng y parle effectivement de « combinaisons des unités par couples », de « distinction des niveaux, etc. », comme se prêtant au mieux à l’analyse structurale. Là où l’Occident parlerait d’ » inspiration », la peinture chinoise met en jeu le Vide comme « le lien interne où s’établit le réseau des souffles vitaux. » en un « système qui procède par intégrations des apports successifs plutôt que par ruptures ».

Quand je fonde la production de la parole sur le concept de fonction d’engendrement, je la retrouve précisément dans cette conception fondamentale de la peinture chinoise comme prenant « part aux « gestes » mêmes de la Création » (p.7). La peinture suscite ainsi le « lieu […] où la vraie vie est possible ».


*


« Le vide se présente comme un pivot dans le fonctionnement du système de la pensée chinoise » (p. 21), surtout si on le considère pour ce qu’il est : « un élément éminemment dynamique et agissant ». C’est bien comme cela que je conçois la fonction engendrante, en tant qu’évidée : une béance causale, comme dit Lacan. Il est condition des transformations, introduisant coupure et réversibilité, « permettant aux unités composantes du système de dépasser l’opposition rigide et le développement en sens unique ».

Ainsi le Vide, que le nuage peut représenter fait-il lien entre l’Eau (évaporée en nuage) et la Montagne (dont le nuage prend forme). La Montagne peut ainsi se fondre en nuage et l’Eau s’ériger en montagne.

Cette « fonction active du Vide » opère tant dans la peinture que dans la musique, la poésie, etc., et F. Cheng va insister sur ce rôle fonctionnel.

Dès la philosophie taoïste, le Vide est au fondement des choses, jouant un rôle fonctionnel essentiel en Chine. La Voie (le Tao) représente l’Origine, confondue avec le Vide. Par là c’est l’état suprême auquel on doit tendre. Le Tao n’anime les Dix mille êtres que par le Vide dont procèdent les Souffles (p. 29). Le Vide vise la plénitude, qui atteinte prend les caractères du vide. Son creux est représenté par la vallée. Si le Plein constitue le visible de la structure, le Vide en structure l’usage.

F. Cheng dresse le tableau suivant (p. 31) :

        Tao = Vide originel

        Un = Souffle primordial

        Deux = Yin-Yang (souffles vitaux)

        Trois = Yin-Yang + Vide médian.

Le Yin-Yang, en tant que principe d’alternance, domine les êtres et leurs rapports. Mais ce qui lui permet de fonctionner c’est le Vide médian. Si la Chine avait disposé de la bande de Mœbius, le schéma circulaire du Yin-Yang l’aurait intégrée à sa représentation. Rapport du Vide et du Plein, rapport d’alternance, de réversibilité passant par le Vide : distinction locale et identification (confusion) globale. Sans le Vide, le plein reste statique. Au réel marqué du Plein ne s’oppose pas, mais y parvient, le Vide qui en permet la transformation selon sa raison fonctionnelle. Le Vide signifie à la fois séparation, transformation et unité et constitue le tiers terme.

2 = 3, et 3 = 1 — question de topologie, on passe tel quel au borroméen.

 

L‘inconscient est structuré comme l’écriture chinoise


Commentaire de René Lew


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