Quelques données sur l’évolution

de la santé mentale en Chine

Observations entre 2008 et 2017


Daniel Gorans

(pédopsychiatre et thérapeute familial)

 

Les observations résultent d’une dizaine de séjours de travail, effectués essentiellement dans la Province du Shandong (153 000 km2, 95 millions d’habitants) traversée par le Fleuve Jaune jusqu’à son embouchure dans le Golfe de Bohai, en Mer Jaune.

Région à l’histoire riche et ancienne, connue pour abriter entre autres Qufu, ville natale de Confucius, le mont Tai Shan, principale montagne sacrée des taoïstes, Qingdao…

Agriculture, industries et pétrole en sont les richesses économiques. L’urbanisation y est galopante, comme partout ailleurs dans l’Empire du Milieu.

En 2016 et 2017, ces séjours ont comporté une part dans d’autres régions et métropoles (Hangzhou, Guangzhou, Zhengzhou, Shijiazhuang, Beijing…)


Contexte général


- Les projets de réforme générale du système de santé en Chine étaient sur les rails lorsque notre coopération a débuté et ce n’est sans doute pas un hasard. En effet, depuis les années 1980, l’assurance maladie avait à peu près complètement disparu, plongeant dans la pauvreté de nombreuses familles rurales ou peu aisées lorsqu’un de ses membres avait besoin de soins coûteux ou longs, ou bien les conduisant à y renoncer : « Kan Bing Nan, Kan Bing Gui ». Il y avait aussi d’importantes inégalités dans l’accès aux soins (zones rurales versus zones urbaines). La participation de l’état au financement des hôpitaux était tombée de 90 % à 15 %. Globalement, le gouvernement ne couvrait plus que 18 % des dépenses de santé, les assurances 30 % et les patients 52 %. Ce sont les gouvernements locaux qui finançaient 90 % des dépenses de santé publique. En avril 2009 (au moment où une première délégation de collègues chinois était reçue à Nantes) était donné le coup d’envoi de la réforme de santé :

  1. -90 % de la population devait bénéficier d’une assurance médicale de base avant fin 2011 ; 100 % en 2020.

  2. -7 000 établissements nouveaux devaient être construits dans le même délai.

- Plus récemment, le 13e Plan quinquennal (2015-2020) préconisait la formation de 600 000 médecins
par an pour améliorer les soins de premiers recours, mais chaque année seulement 13 000 parmi les 100 000 formés s’orientent vers la médecine générale.

- Dans le même temps, pour désengorger les hôpitaux, en particulier ceux offrant des soins de qualité (dits de 3e catégorie) où convergent de nombreux patients venant parfois de fort loin, le développement de soins de proximité, dans des centres de santé communautaires est encouragé.

- La formation de 250 000 infirmières, l’envoi de 100 000 médecins en zone rurale, la modernisation des hôpitaux de 1re et 2e catégorie, l’accès facilité aux médicaments de base doivent désormais contribuer à cette amélioration.

- Bien entendu, les difficultés sont nombreuses mais le volontarisme politique, à tous les niveaux produit des effets spectaculaires. Un exemple concerne la décision il y a environ 3 - 4 ans de former des psychologues scolaires pour que tous les établissements en aient un (sachant que le nombre d’élèves y va de quelques centaines à quelques milliers.) Un an plus tard, tout était en place, sans que nous sachions quelle formation a été donnée aux professionnels concernés.

  1. -Dans ce contexte, les équipes hospitalières ont été sans aucun doute encouragées à développer des coopérations avec d’autres pays, en vue d’améliorer la qualité des soins proposés.


Constats réalisés en octobre 2008 (fondés sur les visites et les discussions)


• Les soins psychiatriques en Chine sont dispensés en milieu hospitalier. Il n’y a pas (du moins dans la Province du Shandong), de structure de soin ambulatoire extra-hospitalière.

• Il y a deux types d’établissements. Ceux qui dépendent de l’administration civile, anciens hôpitaux militaires qui soignent gratuitement les militaires et où les frais des patients civils sont pour moitié prix en charge par l’état, pour moitié à leur charge (ou à celle de leur famille). Ceux qui dépendent de l’administration de la santé, ou établissements publics, où les soins sont le plus souvent entièrement à la charge des patients et de leur famille.

• Il n’existe pas de structure spécifique pour l’hospitalisation des enfants et des adolescents. Lorsqu’une telle hospitalisation est nécessaire, les moins de 16 ans bénéficient d’une chambre particulière et d’un soignant référent. Les familles préfèrent s’adresser aux services de neurologie plutôt qu’à ceux de psychiatrie et demandent facilement les traitements « les plus coûteux » (les enfants uniques sont précieux). Certains psychiatres rencontrés nous ont cependant affirmé avoir une file active importante d’enfants et adolescents mais nous n’avons vu (en 2008) d’enfant hospitalisé (du fait de notre insistance) qu’à Dongying (près de Weifang) : enfants porteurs de handicaps, abandonnés, en attente d’adoption par des Chinois.

• Les personnes âgées de plus de 60 ans sont accueillies dans des services spécifiques.

• Chaque service comporte un secteur (en général un étage) pour les femmes séparé de celui pour les hommes. Dans la plupart des services de l’hôpital public visité, un membre de la famille réside avec le patient lorsque le service est « ouvert ».

• Chaque service est composé majoritairement de petits dortoirs (6 à 10 lits) avec sanitaires collectifs en bout de couloir. Quelques chambres à 1 ou 2 lits sont réservées à ceux qui en ont les moyens.

• Un service de l’hôpital public de Jining reçoit des personnes dépendantes de drogues, souvent placées par la justice. Ce service donne l’impression d’être organisé sur un mode proche du système carcéral (présence policière dans le service, patients en pyjama devant leur lit au garde à vous à notre passage (annoncé par un coup de sifflet ; parloirs vitrés pour les visites…)

• Les traitements sont surtout médicamenteux, à base de psychotropes modernes. Le recours à la sismothérapie [1] est fréquent, parfois sans anesthésie générale, à la demande des patients et de leur famille car cela réduit la durée et donc le coût de l’hospitalisation. La psychothérapie est rare et nous avons visité ce qui nous a été présenté comme l’une des seules unités de psychothérapie de la région. Y sont pratiquées des thérapies cognitivo-comportementales [2] individuelles ou en groupe, la technique du bac à sable et, dans le service d’addictologie, une forme de rééducation morale, sans doute en lien avec le confucianisme.

• Les dossiers de soins individuels sont clairement organisés. Plusieurs établissements parmi ceux visités disposent de vidéo surveillance des chambres, dortoirs, salles communes et sanitaires, les écrans pouvant équiper le bureau infirmier ou celui du président de l’hôpital (toujours un psychiatre à l’époque auquel est associé un responsable du parti communiste).

• La formation des psychiatres dure un an (après cinq années d’études de médecine) et est sanctionnée par un examen national qui comporte trois épreuves. Le taux de « primo réussite » est d’environ 50 %. La formation théorique s’appuie sur des manuels chinois et nord-américains (ou australiens), la formation pratique comporte de nombreux stages.

• L’équipement : en 2008, il y avait 1 124 hôpitaux pratiquant la psychiatrie, 645 exclusivement (environ un hôpital pour 2 millions d’habitants) et 479 départements de psychiatrie dans des hôpitaux généraux (environ un service pour 2,75 millions d’habitants). 150000 lits (dont 85 % dans les hôpitaux psychiatriques) en tout, soit un peu plus de 1 pour 10.000 ha. Soit 10 fois moins qu’en France !

• 16 millions de personnes en Chine (en 2008) souffraient de troubles mentaux sévères (psychoses), soit 1,23 % de la population.

• Parmi les 340 millions de mineurs (moins de 18 ans) environ 30 millions avaient des troubles mentaux ou du comportement (il nous a semblé que les troubles d’adaptation scolaire étaient intégrés à ce chiffre)

• Les troubles mentaux représentaient 20 % des dépenses de santé (10 % en France en 2006 hors dépenses de prévention.)

• Les structures de soin extra-hospitalières étaient inexistantes, tout comme les soins privés, à part quelques exceptions.

• Nos collègues, interrogés sur l’usage des médecines traditionnelles chinoises (MTC) ont de manière surprenante, affirmé qu’ils ne les utilisaient plus depuis les années 1970…

• Parallèlement à l’échange effectué cette année à Binzhou quelques psychanalystes nantais ont commencé à travailler avec une équipe de Qingdao, spécifiquement sur la psychanalyse lacanienne. Nous nous sommes rencontrés et avons convenu de poursuivre les échanges séparément, les domaines envisagés étant très différents (psychanalyse lacanienne d’un côté ; santé mentale, pédopsychiatrie dans leur ensemble de l’autre).
Après avoir convenu d’un plan pluriannuel d’échanges, une délégation de l’hôpital de Binzhou est reçue en avril 2009. L’ensemble des visites (Centre psychothérapique Le Pin en Mauges) rencontres et discussions, aboutit à leur demande d’être formés aux thérapies familiales systémiques [3].

• Deux mois plus tard, les locaux adaptés avec glace sans tain, micros, mobilier, étaient installés et l’invitation à amorcer une formation à cette technique réitérée. Un seul membre de l’association a eu la possibilité d’assurer la première sensibilisation en octobre 2009, avec exposés théoriques et rencontres de familles, en présence d’un interprète, bien entendu.

• Cinq familles ont accepté un rendez-vous de thérapie familiale, les séances alternant avec des exposés théoriques. Toutes, sauf une mettaient en avant des difficultés scolaires (essentiellement une baisse des résultats) particulièrement inquiétantes pour les adolescents devant présenter le « gao kao ». Il est apparu que derrière ce symptôme difficulté scolaire, les difficultés relationnelles dans les familles et les fragilités psychiques des enfants et adolescents étaient très variées et assez semblables à celles rencontrées en France.

• De fil en aiguille, la demande de formation aux thérapies familiales s’est étendue à d’autres équipes hospitalières, celle de Linyi étant aujourd’hui la plus avancée dans ce domaine.



Actuellement (2017)

• Deux équipes hospitalières (bientôt trois) pratiquent les thérapies familiales dans des locaux adaptés.

• Désormais, la sensibilisation à cette approche est ouverte à différentes catégories professionnelles (médecins, enseignants, psychologues, travailleurs sociaux…), venant parfois de loin pour y assister.

• Plusieurs dizaines de familles ont été reçues, certaines deux ou trois fois. Dans deux situations, un membre de la famille a poursuivi le travail en communiquant avec nous en anglais par internet.

• Nous avons été surpris par la richesse émotionnelle durant les séances, par la sincérité et l’engagement des familles dans le travail, même lorsque le contexte était inapproprié (une trentaine de personnes en formation assistant à la séance assises en rond autour du « système thérapeutique », c’est-à-dire la famille et le ou les thérapeutes).

• Ces témoignages de confiance de la part de la famille ne vont pas dans le sens d’une crainte culturelle de « perdre la face », y compris parfois pour des fonctionnaires haut placés.

• Par ailleurs, les frontières entre thérapeutes et clients semblent très différentes d’avec celles existant en occident : cette année, plusieurs parents participaient à la formation et assistaient aux séances des autres familles avant de s’y trouver eux-mêmes ; des secrets familiaux impliquant un des responsables de l’hôpital étaient abordés en séance par un membre de sa famille…

• En parallèle, les relations avec nos collègues ont considérablement évolué : progressivement, d’une simple désignation au loin de leur lieu d’habitation, nous sommes passés à des repas festifs chez les uns ou les autres ; d’un accueil à l’hôpital en costume cravate ou tailleur cravate et chemise blanche à décontraction vestimentaire durant les visites ou les conférences, sans cravate ni costume…

Ces évolutions s’accompagnent d’un intérêt croissant pour une grande variété de sujets et de techniques. Outre la trentaine de conférences sur autant de thèmes différents de pédopsychiatrie et sur les thérapies familiales, effectuées par l’AFCSM [4] (au cours de dix séjours en Chine) et des quatre conférences données par nos collègues lors de leur venue en France, des spécialistes viennent de l’étranger (Etats-Unis, Australie, Allemagne, Grande Bretagne, Japon, Corée…) parfois régulièrement, pour développer des formations, qui sur la pleine conscience, qui sur des thérapies « positives », sur la prise en charge de l’autisme, de la maladie d’Alzheimer… et ce à travers toute la Chine. Nos collègues Chinois s’approprient rapidement tout ce qu’ils estiment utile et efficace et l’ajoutent à leurs propres outils, parfois séculaires.

Les collègues avec lesquels nous travaillons régulièrement (deux hôpitaux et un CHU) s’intéressent particulièrement aux thérapies de groupe : ateliers thérapeutiques utilisant des médiations (photolangage [5], écriture, motricité…) animés par les infirmiers et/ou les psychomotriciennes et groupes de psychodrame psychanalytique pour enfants ou adolescents animés par des psychologues… Nous nous déplaçons le plus souvent à plusieurs (entre 1 et 6) ce qui n’est pas sans poser de gros problèmes de financement…

Deux conventions de coopération officielles sont signées, impliquant directement notre association. De plus, nous sommes sollicités depuis deux ans par l’entreprise basée à Beijing « New-Health », qui organise congrès et formations dans toute la Chine.

Pour les outils séculaires comme les médecines chinoises traditionnelles (MTC) ; après avoir affirmé les deux premières années qu’elles n’étaient plus utilisées (les collègues redoutaient qu’elles soient jugées désuètes, voire ridicules), un praticien nous a été présenté en 2010, des traitements ont été proposés… et testés par nous à plusieurs reprises, une conférence sur les MTC donnée à Nantes par un collègue de Linyi. En 2016, plusieurs services hospitaliers dédiés aux MTC ont été visités dans différentes régions, en particulier un hôpital à Beijing dont l’action est soutenue par le Président XI Jinping.

Un autre aspect concerne la construction ou la reconstruction de bâtiments hospitaliers à la taille et la modernité impressionnantes, tant pour accueillir les personnes âgées plus ou moins dépendantes, que les nombreuses spécialités médicales. L’équipement en matériel dernier cri est de mise, parfois sous employé (exemple de scanners, constaté par un collègue pédiatre dans les hôpitaux de plusieurs provinces). Tout semble se passer comme si l’équipement matériel allait plus vite que la formation des personnels habilités à recevoir les patients ou à utiliser les appareils.

Dans le domaine de la santé mentale, des ordinateurs sont installés dans les hôpitaux pour faire passer les tests psychologiques, pour les traitements par biofeedback [6]…

L’écart entre la vitesse d’équipement en matériel, les besoins croissants en demande de soins de qualité par la population d’une part et le nombre pas encore suffisant de professionnels de santé formés d’autre part pose, un problème majeur de « burn-out » chez les professionnels, problème qui commence à être pris en compte. Par ailleurs les patients sont souvent mécontents et il y a également des difficultés fréquentes dans les relations soignants-soignés. Pour y faire face, des groupes Balint se mettent en place. Dans le domaine de la santé mentale, les centres de soins spécifiques de jour et de proximité sont encore rares, voire inexistants.

Leur développement est semble-t-il en cours : il existe des structures privées dont nous ne connaissons ni le financement ni le fonctionnement.

Les priorités de santé publique actuelles concernent les pathologies des personnes âgées et la cancérologie. Pour autant, la santé mentale, celle des enfants et adolescents est à la source de sollicitations croissantes de notre association, désormais bien au-delà du Shandong.


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ChEncore_Psychiatrie_00.html










































































































1 Ou électrochoc, utilisé surtout pour traiter certaines dépressions graves


2 Thérapie brève visant à remplacer idées négatives et comportements inadaptés par des pensées et réactions en adéquation avec la réalité.

































3 Thérapie avec la famille (parents et enfants dans la majorité des cas) : elle vise à des changements dans les relations et part de l’idée que la famille est un système vivant qui a les mêmes propriétés que tout autre système vivant.











































4 Association France Chine pour la Santé Mentale « jiao liu » (échanges), organisatrice d’échanges, de conférences et de formations avec nos collègues Chinois. https://www.net1901.org/association/ASSOCIATION-FRANCE-CHINE-POUR-LA-SANTE-MENTALE-JIAO-LIU-ECHANGES,783296.html


5 Méthode fondée sur l’approche psychanalytique utilisant des photos avec le plus souvent un groupe pour favoriser l’expression des émotions et la recherche de leur sens.

















6 Technique qui utilise la mesure des signaux électriques de plusieurs fonctions organiques (rythme et activité cardiaque par exemple), leur visualisation par le patient en temps réel et la possibilité pour lui de « rétroagir » sur ces activités biologiques.

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