La santé en Chine

un pays, deux médecines



 

Connexions n°45: La santé en Chine, un pays, deux médecines

le 19/6/2008 à 7h55


Le nouveau Connexions, le magazine de la Chambre de Commerce est sorti et est consacré à la santé en Chine. Nous publions ici deux articles qui permettent de comprendre les enjeux de la réforme.

1 - Les Chantiers de la réforme



Après avoir obligé les hôpitaux à s'autofinancer, le gouvernement doit réinjecter de l'argent public pour soigner les moins favorisés.

Pendant plusieurs décennies, la Chine a bénéficié d'un système de santé « relativement égalitaire », même s'il existait une médecine  privilégiée pour cadres, dotée d'excellents hôpitaux, notamment militaires. Le système de santé, basé sur la prévention, mêlant biomédecine d'origine occidentale, médecine traditionnelle chinoise et pratiques populaires, a permis d'élever rapidement l'espérance de vie de 35 ans en 1949  jusqu'à 72 ans aujourd'hui.

Les soins primaires et la prévention étaient facilités par l'encadrement fort de la population dans les communes populaires et dans les danwei. A partir des années 80, l'exode rural et le démantèlement de nombreuses danwei ont abouti au délitement de la solidarité dans les campagnes et, dans les villes, « le bol de riz » en fer a volé en éclats. Conséquence : l'élévation de l'espérance de vie a fortement ralenti et le pays n'est plus à l'abri d'une catastrophe de santé publique. De plus, il règne une grande inégalité dans les prestations, avec des hôpitaux de qualité très différente et une partie de la population totalement exclue du système de santé.

Pourtant, affirme Jean-Louis Durand-Drouhin, Conseiller pour les affaires sociales à l'Ambassade de France en Chine « La Chine est un pays où l'on sait soigner. Il existe un personnel compétent, bien formé en Chine ou à l'étranger. Dans la plupart des grandes villes, les hôpitaux disposent des moyens techniques et d'équipements qui sont au niveau, voire un cran au-dessus des hôpitaux universitaires français. Cela permet de bien soigner les couches moyennes (300 millions de personnes environ). »

Mais, ajoute-t-il aussitôt, « la Chine doit soigner un milliard de Chinois qui ont des moyens très limités. C'est là où le bât blesse. Il y a une vingtaine d'années, une réforme a été entreprise. Le choix a été de favoriser l'autofinancement du système hospitalier, qui représente la quasi-totalité des soins en l'absence d'une médecine de ville. Sans système de protection sociale suffisant, c'est le patient qui doit, avec son épargne de précaution faire face aux frais médicaux. Pour la majorité des Chinois, une maladie grave, un accident peuvent faire tomber une famille dans la pauvreté.»

Le désengagement de l'Etat

Depuis la fin des années 80, la participation de l'Etat au financement des hôpitaux  est, en effet, tombée de 100 à 15%. Jusqu'à 50% des revenus de l'hôpital sont désormais assurés par la vente de médicaments. Cette quasi-privatisation de l'hôpital public a ouvert la porte à des abus et de la corruption : suréquipement, surconsommation d'examens et de médicaments, création de lits dit « de luxe »… Tout concourt à ce que l'hôpital devienne un lieu à but lucratif, reconnaît  Chen Bo Wen, conseiller auprès du ministre de la Santé. Au détriment de la bonne gestion du système de santé et d'un bon rapport qualité-prix des soins.

Actuellement, le gouvernement ne couvre plus que 17,9% des dépenses totales de santé (contre environ 50% aux Etats-Unis et 80% en Europe). Les assurances médicales paient 29,9% et les patients 52%. Cela explique que les Chinois actifs économisent entre 40 et 60%  de leurs revenus, en prévision d'un accident de santé.

Le système est particulièrement inégalitaire puisque les deux tiers des financements publics bénéficient au tiers de la population la plus riche. Comme ce sont les gouvernements locaux qui financent 90% des dépenses de santé publique, alors que certains offrent désormais des services de qualité, d'autres n'ont même pas les ressources nécessaires pour payer leurs salariés. Les migrants non dotés de hukou (permis de séjour) n'ont pas accès à l'hôpital sur leur lieu de vie et se retrouvent dans une zone de non-droit. Leur seul recours est alors de se tourner vers les ONG, chinoises ou étrangères, qui prennent en charge, autant que possible, la santé des populations sans couverture médicale.

Certes, récemment, sur le papier au moins, le nombre de personnes couvertes par une assurance-maladie a augmenté mais « la protection offerte reste limitée, les remboursements faibles, voire inexistants quand le malade n'est pas hospitalisé », explique l'OMS . De plus les écarts se creusent entre les provinces d'inégale richesse, entre les ruraux et les urbains, ainsi qu'entre les différents groupes socio-économiques. « Aujourd'hui, 45% des urbains et 75% des ruraux n'ont pas accès à l'hôpital, et ne se font pas soigner par manque de moyens », explique Jean-Louis Durand-Drouhin.

Une volonté de réforme

Le gouvernement a commencé à prendre la mesure du problème. En 2007, il a annoncé une augmentation significative de sa contribution financière dans les zones rurales, reconnaissant que le financement public de la santé était au cœur des problèmes de coûts et de la difficulté d'accès aux services de santé. Depuis 2006, le gouvernement a fait de gros efforts pour mieux définir son rôle en matière de santé.

Un comité de coordination comprenant 14 ministères et conduit par la NDRC2 et le ministère de la Santé cherche à mettre en pratique les orientations définies par le 11e plan : accroître les investissement publics, développer la prévention, le contrôle sanitaire et un filet de sécurité pour la population pauvre, favoriser les services de santé communautaires, mieux répartir les ressources, mieux réguler la production et le marché des médicaments, soutenir le développement de la médecine traditionnelle chinoise.

« En matière de réforme, on observe une volonté politique face au risque de tension sociale et de déstabilisation, mais se pose un problème de moyens », analyse Jean-Louis Durand-Drouhin. Pour réformer, il faut réinjecter de l'argent public de manière maîtrisée. Une partie de la réforme consiste à encadrer l'investissement pour éviter que la course à la rentabilité et au profit aboutisse à la satisfaction des besoins des plus riches au détriment des couches défavorisées.

Une action est menée au niveau des médicaments pour développer des génériques, lutter contre la corruption et le manque de médecins, pour développer le contrôle de l'utilisation des médicaments, pour contrôler la rémunération du personnel. Il y a urgence, car la santé est aujourd'hui le problème numéro 1 aux yeux des Chinois, affirment les sondages.


Par Anne Garrigue


2 - « Il faut appliquer les réformes »


Hubert Stüeker,  expert auprès du projet EU-Chine pour le développement de la sécurité sociale chinoise

Connexions : Comment fonctionne l'assurance médicale en Chine ?
Hubert Stüeker : Deux systèmes coexistent : l'urbain et le rural. En 2006, 187 millions d'urbains étaient couverts et 400 millions de ruraux. De plus, un nouveau système en vigueur pour les familles et les chômeurs en ville a été mis en place en 2007 et vise une couverture universelle en 2010. Mais il faut voir ce qui se cache réellement derrière ces chiffres.

En ville, l'assurance médicale est sous la juridiction du ministère du Travail et de la Sécurité sociale. En l'absence de médecine de ville, tout passe par l'hôpital. Prenons l'exemple des retraités pékinois. Ils ont tous un compte d'assurance médicale individuel et un compte commun. En cas d'hospitalisation, l'assurance médicale rembourse la totalité des frais — une fois défalqués les 20% à la charge de l'assuré et dans les limites d'un plafond de 76 000 Rmb —, à condition qu'ils correspondent à des médicaments ou des soins répertoriés dans les prescriptions remboursées. Par contre, si ces soins ne font pas partie de la nomenclature, le patient n'est pas remboursé. En soins ambulatoires, le patient tire sur son compte individuel et, une fois ce compte épuisé, paie de sa poche. Ce système est pervers car il incite les hôpitaux, pour être mieux remboursés, à faire entrer le patient à l'hôpital même pour des broutilles et pousse à la surconsommation de soins et de médicaments. 

A cela s'ajoute le fait que le patient qui arrive à l'hôpital doit d'abord impérativement s'enregistrer et payer 20% du coût prévu — alors qu'il n'a pas encore vu de médecin. S'il ne paie pas immédiatement, il est renvoyé sans soin. Certes, il y a des catégories de patients — officiellement pauvres, c'est-à-dire appartenant à une catégorie reconnue comme pauvre — qui peuvent être pris en charge mais l'hôpital peut se réserver le droit de refuser leur admission par manque de ressources…

C. : Et dans les campagnes ?
H. S. : Le système d'assurance médicale dépend du ministère de la Santé. Ce n'est plus l'individu qui est assuré mais une famille sous la forme d'un système créé en 2004 et appelé système médical coopératif rural. Ce système a motivé un fort mouvement d'enregistrement, ce qui est une bonne chose. Aujourd'hui, l'assuré paie 10 Rmb par an et par famille, le gouvernement local 40 et le gouvernement central 40. Cela fonctionne de façon variée. Et seulement pour les soins ambulatoires. La part restante à la charge du malade étant très élevée — entre 50 et 70% des dépenses —, la couverture n'est jamais supérieure à 40%. Certes les prix des médicaments et des soins sont moins élevés qu'en ville, mais l'assuré doit concrètement d'abord payer la totalité puis aller se faire rembourser, ce qui lui est souvent impossible.

C. : Y a –t-il des réformes en préparation?
H. S. : En fait, les principales réformes ont déjà eu lieu. Mais il faut maintenant les appliquer et il y a beaucoup à faire. Il est vrai que les autorités chinoises envisagent d'autres réformes. Mais on voit se mettre en place beaucoup d'expériences pilotes sans que rien ne soit encore systématisé pour prendre force de loi.

C. : Quel est le rôle du projet Eu-Chine pour le développement de la sécurité sociale chinois auprès des autorités ?
H. S. : Nous fournissons une assistance technique. Il ne s'agit pas d'exporter un modèle européen — non unifié — mais de mieux faire entrer le facteur social dans le coût du travail en Chine.

C. : Certaines de vos propositions ont-elles été acceptées?
H. S. : Jusque-là, elles ont été toutes rejetées. Nous proposons un système plus transparent du financement des hôpitaux, qui les obligent à rendre des comptes, pour ne pas pousser à la surconsommation de services et de médicaments. Notre objectif est que le système puisse traiter la population vulnérable de façon moins aléatoire.       

Propos recueillis

par A. G. et J-C. Dehaye

 

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