* voir par ici




Cet article est une remarquable tracé à̀ travers l’œuvre de Lacan dans son rapport au chinois et sa bascule vers la topologie.

Il se termine par un éloge de la poésie, la meilleure chose que l’on puisse faire en l’occurrence, car l’article reprend toutes les confusions et occultations initiées par Lacan et répétées depuis par tous ceux qui se laissent fasciner par son indiscutable poésie. A ce sujet l’auteur souligne à plusieurs reprises la propension de Lacan à « Sidérer et réveiller » son auditoire par des « coups », des surprises, telles qu’écrire une phrase ou un caractère chinois au tableau, jeter un nœud borroméen dans la salle, etc., Lacan comparant lui-même cela au coup de pied ou au koan mystérieux du moine zen. Je ferais à ce propos la même remarque que pour les deux citations : sidérer et réveiller, ce n’est pas la même chose, c’est même exactement antinomique. Sidérer, c’est endormir, c’est le processus hypnotique par lequel le maitre assure son emprise sur un auditoire. Ça ne réveille pas du tout, ça concentre l’attention au contraire sur un geste dont la trouvaille poésiétique ravit, au sens de Lol. V. Stein, et laisse l’auditeur dans l’admiration la plus totale endormant tout sens critique. D’où la confusion que je m’attache à repérer.

La principale de ces confusions est déployée dès l’entrée par les deux citations de philosophes chinois :

Hé Yàn [1] (何晏; c. 195 – 249) :

Ce dont on parle et qui nʼest pas dicible,

cela que lʼon nomme et qui nʼest pas nommable,

cela que lʼon voit et qui nʼa pas de forme,

cela que lʼon entend et qui nʼa pas de son, cʼest le Dao dans son entier.

Laozi :

Trente rayons se rejoignent en un moyeu unique ; ce vide dans le char en permet l’usage

D’une motte de glaise on façonne un vase ; ce vide dans le vase en permet l’usage

On ménage portes et fenêtres pour une pièce ; ce vide dans la pièce en permet l’usage

L’Avoir fait l’avantage, mais le Non-avoir fait l’usage

Elles sont censées donner description de la même chose. Or, en distinguant le symbolique, l’imaginaire et le Réel, Lacan a apporté d’éminents outils de distinction dont il use lui-même sans la moindre rigueur.


Pour moi (c’est là mon trait de pinceau), la première citation renvoie au Réel, la seconde au symbolique. Il faut y avoir été confronté dans son analyse pour remarquer tout de suite la différence. Il n’y a que ce trait de pinceau là, éminemment singulier, qui permette de s’y repérer sans coup férir. Je suis en effet tombé, dans un nombre incalculable de rêves sur ces zones dont il est impossible de dire quelque chose, de nommer quelque chose, de choses vues mais qui n’ont pas de forme, de chose que l’on entend et qui ont bien un son, mais pas de nom. Voilà le Réel, dans sa définition : qui résiste absolument à la symbolisation définition de Lacan lui-même, qui ne l’empêchera pas d’abuser du mot « réel » dans un foule de contextes où il signifie « réalité », laissant à la postérité des monceaux de cheveux arrachés par la perplexité. Le Réel par son inertie, par son inaptitude à toute saisie, résiste et empêche la machine de tourner.

La seconde citation renvoie au symbolique. Elle décrit au contraire très bien le vide qui permet à la machine de tourner, aux portes et fenêtres de s’ouvrir, aux vases de contenir.

Il y a eu suffisamment de débat là-dessus entre chinois, le Dao pouvant être vu par eux de différentes façons. La traduction de la première phrase du Dao de Laozi, donnerait ça :

Mot à mot :

« Le tao qui est le Tao n’est pas le tao »

que l’on peut entendre ainsi :

« Le Tao qu’on tente de saisir n’est pas le Tao le nom qu’on veut lui donner n’est pas son nom adéquat. »

ou encore :

« Le Réel qu’on tente de saisir n’est pas le Réel le nom qu’on veut lui donner n’est pas son nom adéquat. »

lui-même.

Le problème, c’est que saisir le symbolique ce n’est pas facile non plus, mais ce n’est pas du tout la même chose, Réel et symbolique étant aussi antinomiques que la surface et le trou. Lacan en a eu l’intuition dans Le Sinthome, en énonçant : l’imaginaire, c’est la surface, le symbolique c’est le trou, le Réel ex-siste à la surface. Malheureusement il ne cesse de revenir à d’autres acceptions et emplois du mot « trou » et du mot « Réel ». Certes, le Réel est insaisissable et si on en saisit quelque chose, ce n’est plus le Réel, c’est de l’imaginaire, circonscrit par le trou du symbolique.

Ainsi, mon exploration des rêves montre que chaque fois que le symbolique à l’œuvre dans le rêve se heurte à un Réel insaisissable, il construit à la place de l’irreprésentable une représentation de l’appareil à représenter. En gros ces irreprésentables tournent autour de l’origine, notamment le sexe féminin, et la fin, c'est-à-dire la mort. Et, les représentations de l’appareil à représenter qui s’y substituent constituent ce que l’auteur appelle Vorstellungsrepräsentanz, ou encore angle d’attaque, « trou du sujet, du trou intensif du corps et de la source centrale de surgissement du nœud borroméen ». Ici, le trou du renvoi à l’usage dernier de Lacan, et non à son usage premier dans « Du traitement possible de la psychose », dans lequel les deux « trous » Φ et P dans schéma I signifient « blocage de la fonction », et non « trou » au sens symbolique du terme. Il renvoie à Laozi plutôt qu’à Hé Yàn.

Alors, on peut certes y lire « le premier trait de pinceau », le S1, la fonction, bref tout ce qui va opposer une écriture à l’impossible à représenter du Réel. Mais ce premier trait n’est ni la surface floue et désorientée du Réel, ni le trou du symbolique comme tel, qui se lit dès lors comme ce qui en effet reste vide à côté de l’écrit tandis que le Réel se propose comme un plein en dehors de tout écrit. En topologie, c’est l’opposition de la surface désorientée (Réel) et infinie et du trou (symbolique) qui va tailler dedans une rondelle de surface orientée et finie (imaginaire, ou si l’on veut, réalité).

Je ne resterais pas fasciné par un Orient vu à la lorgnette de l’exotisme, car si la tradition de la calligraphie n’est plus guère répandue chez nous, elle l’a toujours été sous le pinceau des artistes, qui avaient plus à cœur de représenter la réalité, voire l’imaginaire de la mythologie, voire l’impression subjective d’une chose, et enfin le trait abstrait dans la sortie de la figuration, qu’un caractère comme tel. Chaque culture a sa particularité, mais je ne crois pas qu’on puisse dire que ce qu’on trouve dans une culture n’est absolument pas dans une autre. Sous la même forme bien sûr non. Mais sous des modalité différentes, oui. D’ailleurs l’auteur semble d’accord avec cela, sans cependant en souligner le trait saillant.

A propos du yi, qui est tout simplement notre « 1 » :

- D’un côté : « Il est, en fait, intraçable pour un Occidental, comme Lacan le souligne à maintes occasions ».

- De l’autre : « Les figures topologiques pouvant être considérées comme des dessins, des figurations, voire des œuvres d’art, comme l’ont fait des artistes, ou comme une écriture ».

Le mouvement de ce tracé en constitue toute la vigueur. Il se trouve que, ayant remarqué que la bande de Mœbius minimale était à trois torsions et non à une seule, j’ai appuyé sur la nécessité de la construire par trois mouvements, ce que l’on fait à chaque fois qu’on se confronte à une bande de papier. On m’a régulièrement renvoyé que ce n’était pas le mouvement de construction qui importait, mais l’objet fini, qui serait censé n’être qu’à une torsion. Mais alors où est passé le mouvement que l’on glorifiait l’instant d’avant ?

Il en est de même pour le nœud borroméen. À son propos, Lacan a dit tout et le contraire : qu’il était le Réel, qu’il était une écriture métaphorique (donc symbolique), qu’il était imaginaire, et enfin que rien ne pouvait représenter RSI, même pas le nœud borroméen. Ça se lit rien que dans les citations amenées par l’auteur :

- ces nœuds, c’est tout ce qu’il y a de plus réel ;

- la métaphore du nœud borroméen à l’état le plus simple est impropre.

À laquelle j’ajoute une citation empruntée au dernier séminaire (« La topologie et le temps ») :

- la topologie est imaginaire.

J’ai démontré comment, par un mouvement continu et successif de chaque rond autour des deux autres, on pouvait parvenir à une écriture différenciée de ses zones, en trou (symbolique), surface orientée (imaginaire), et surface désorientée (Réel). Ce mouvement montre que la zone centrale n’est jamais une zone désorientée, comme le décrit Lacan en y situant l’objet a et encore moins en y situant le point où se situerait la trace du pinceau comme premier point d’attaque du trait symbolique. Ici, l’attaque de l’écriture se rend victorieuse sur le Réel, tandis que ma démonstration mouvementée indique en quoi il reste deux zones (ci-dessous en jaune) dans cette écriture qui restent désorientées, le pinceau n’ayant jamais pu y avoir quelque accès que ce soit.

Ça me permet de retomber sur d’autres pieds de l’œuvre de Lacan, les deux « trous » du schéma I, Φ et P, qui sont fonctionnels comme trous symboliques dans le schéma R, mais cessent d’être des « trous » en ce sens dans le schéma I, cessant donc d’être des « trous ».



Voir : http://une-psychanalyse.com/structure_du_borromeen.pdf


La contradiction entre Hé Yàn et Laozi apparaît dans cette situation de poser là, au centre, le passage d’une corde dans l’endroit où l’on a situé l’impossible du passage de quoi que ce soit. Le choix de Lacan de ce centre, fixe, pour inscrire l’objet a est idéologique, parce que ce concept est central dans sa théorie. Ce n’est pas une déduction mathématique comme le mouvement que je propose le démontre.

Il me semble néanmoins qu’en imaginant ainsi le mouvement de la corde : « Elle replonge donc dans le fond sans fond du trou central pour répéter l’opération, indéfiniment », l’auteur, suivant la préscience de l’abord poésiétique de Lacan, supporte cette nécessité de trouver l’écriture d’un mouvement des cordes.

Je terminerai par un petit commentaire de ceci : « Et d’où le nœud est-il tracé, sinon des trous ou du trou du corps d’où se projette vers le tableau le bras du dessinateur-scripteur. “Je parle avec mon corps, et ceci sans le savoir” nous dit Lacan (Encore, page 108). »

En effet, ce que tout ceci occulte, non-savoir du corps, c’est la pertinence de la castration qui, comme explication imaginaire du Réel du sexe féminin, démontre l’implication du travail du symbolique pour s’en saisir. C’est ce qui rend la définition du symbolique comme trou la plus pertinente, trou en acte, trou en train de s’achever, terminé par endroit en travail dans d’autres… toujours en mouvement.

Le problème consiste à trop mettre de l’objet a (Hé Yàn) là où nous sommes bien angoissés à poser de la castration (Laozi).


2 février 2014

 

Commentaire de l’article de F. Scherrer :

Lacan, la calligraphie chinoise

et la naissance du nœud borroméen*


Richard Abibon


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